Un numéro à ne pas manquer
Je reproduis l'édito qui est en accès libre sur le site de la revue. Pierre Mansat
Par Antoine Loubière
Qui s’en souvient ? En ces premiers jours du mois de décembre 1985 se tenaient au casino d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) – lieu magique s’il en est – les assises de la mission Banlieues 89 autour du thème “De la démocratie urbaine”. À cette occasion, furent présentées les premières esquisses d’un plan du “grand pari(s)” où de fines aquarelles accompagnaient la carte de la (dé)localisation de grands équipements structurants en banlieue et celle de la route des Forts. Le samedi 7, en fin de matinée, le président Mitterrand (François de son prénom), arrivé par hélicoptère, terminait ainsi son discours en s’adressant particulièrement aux organisateurs, Roland Castro et Michel Cantal-Dupart : “Moi, je suis sûr que vous réussirez. J’ai vu, constaté, éprouvé la somme d’enthousiasme, d’intelligence et de constance. Avec cela, on ne rate pas. Voilà pourquoi il faut transmettre le message. Je vous dis ça aujourd’hui, 7 décembre 1985, et dans dix ans, dans vingt ans, dans trente ans…”
Eh bien nous y voilà ! Été 2009 : le syndicat Paris Métropole est constitué, Pierre Mansat a droit (enfin) à son portrait dans Libération ; l’exposition consacrée à la consultation du grand pari de l’agglomération parisienne a dépassé les 100 000 visiteurs en quelques semaines… Et le gouvernement soumet au Conseil d’État un projet de loi Grand Paris, qui aura peut-être été présenté en conseil des ministres lorsque ce numéro paraîtra... L’utopie des missionnaires de Banlieues 89 serait-elle en passe de devenir réalité ? Pas si simple.
D’abord l’idée du Grand Paris ne date évidemment pas de 1985, ni même du plan Prost de 1934 qu’Urbanisme, créée en 1932, publie dans son n° 40 (désolé pour les collectionneurs, il n’est plus disponible !). Peut-être des propositions de Georges-Benoit Lévy (1880-1971), qui plaide dès 1907 pour un plan d’extension pour Paris /1.
En tout cas des années 1920, comme le rappelait Thierry Paquot dans “sa préhistoire d’une ambition” /2. Mais l’histoire de Paris n’est-elle pas d’abord celle de son extension continue ? Annie Fourcaut, l’historienne de cette relation Paris-Banlieues, retraçait, le 25 juin dernier devant l’Institut CDC pour la recherche /3, les différentes temporalités de cette irrésistible croissance, en commençant par la carte du “petit Paris” de 1833 enfermé dans l’enceinte des fermiers généraux de 1786 ! Que de chemin parcouru… pour en arriver où ?
À cette incroyable “consultation internationale hors normes”, dont Éric Lengereau, son coordonnateur, nous conte en détail la genèse et le déroulement, suite au discours du président Sarkozy, le 17 septembre 2007 lors de l’inauguration de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Par la magie du verbe présidentiel, le Grand Paris (re)devient une affaire de l’État, avant de lui échapper au moins pour un temps. Et c’est ce que certains ne lui pardonnent pas. Dans ce dossier, Marcel Belliot ou Jean-Paul Lacaze tiennent ferme sur une position décentralisatrice qui ne tolère pas ce retour de l’État sur la scène de la planification territoriale. Mais justement “la consultation révèle la crise du modèle français de planification”, nous explique Francis Rol-Tanguy, le directeur de l’APUR , tandis que Vincent Fouchier, “père” spirituel du nouveau SDRIF et subtil théoricien de la planification stratégique, trouve “d’excellents prolongements du SDRIF dans les propositions des équipes…”. Comprenne qui pourra.
Alors ces équipes pluridisciplinaires emmenées par une poignée de stars de l’architecture mondiale ? Le géographe Michel Lussault, qui a co-présidé le conseil scientifique avec Paul Chemetov, nous livre quelques impressions d’une “machine à penser” qui complète son lexique dont on recommande, après Olivier Mongin /4, la lecture à tout visiteur de l’exposition, à tout étudiant en architecture et urbanisme et même à tout professionnel soucieux d’appréhender au mieux la complexité des réalités urbaines contemporaines.
On pourra s’étonner que nous ne donnions pas la parole dans ce dossier aux équipes, pas plus d’ailleurs qu’aux “politiques”. C’est un choix délibéré de privilégier le regard et l’analyse de professionnels et de chercheurs qui tentent de tirer les leçons de cette consultation pour la pratique de l’urbanisme en France, ici et maintenant.
Thierry Paquot offre un aperçu du “Grand Paris en mots” que les différents ouvrages de ces équipes – que nous n’avons pas tous reçus, ni donc recensés – donnent à percevoir. Et nous recommandons au lecteur de s’y plonger pour ne pas en rester aux impressions superficielles de l’exposition. De son côté, François Chaslin nous guide dans les travaux des dix architectes-urbanistes. Quant à Ariella Masboungi, elle en tire les prémisses de la ville durable à l’échelle métropolitaine. Philippe Panerai se réjouit de la dynamique de la consultation, dont il avoue qu’elle l’a surpris. Si Frédéric Bonnet s’interroge sur les complémentarités et les concurrences des projets, Marc Wiel plaide pour sa part en faveur d’une “priorité à l’aménagement”. Enfin Ingrid Ernst, Perrine Michon, Frédérique de Gravelaine et Rosemary Wakeman nous emmènent à Berlin, Londres, Tokyo et New York voir comment le “grand” se décline ailleurs, après que Gilles Rabin, en bon porte-parole du Grand Lyon, ait indexé la grandeur sur l’efficacité de la gouvernance. C’est évidemment la clé du Grand Paris… Nous y reviendrons.
Antoine Loubière