1 Septembre 2008
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Adulé ou méprisé, le "prophète aux accents marxistes" ne laisse personne indifférent. La star de l'architecture Rem Koolhaas moque ses déclarations à l'emporte-pièce. Mike Davis le lui rend bien, sur les estrades. Avec lui, les conférences ne désemplissent pas. On se presse pour l'écouter, à l'affût de ses dernières analyses.
De passage à Paris au début de l'été, il fait cet aveu un peu gêné, au bar de son hôtel : "Je n'aime pas cette ville. C'est Beverly Hills, avec davantage de librairies et de musées." Los Angeles et ses ghettos de riches sont une obsession chez lui. Ou plutôt sa grille de lecture de la planète. Toutes les bonnes librairies vendent l'ouvrage qui l'a rendu célèbre en 1990 : City of Quartz. Los Angeles, capitale du futur (éd. La Découverte, 1998). Certains mythifient "LA" comme le modèle de la ville moderne ? Mike Davis, lui, y voit un triste laboratoire du futur, avec ses quartiers privatisés, sécurisés (gated communities) et une "polarisation à la Dickens entre riches et pauvres". Il y a vingt ans, le discours était nouveau.
Le ton aussi. L'écriture est très littéraire, nourrie de références à des romans de science-fiction. Entre pamphlet et traité de sociologie urbaine, l'enquête mêle des connaissances historiques, des informations de terrain, et regorge de notes bibliographiques. "Un objet livresque non identifiable, dans la veine de Paris, capitale du XIXe siècle, de Walter Benjamin", résume le journaliste et éditeur Marc Saint-Upéry dans la préface de l'édition française. En 1992, les émeutes de South Central, à Los Angeles, semblent donner raison à son auteur : la mégalopole explose.
Traduit dans plusieurs langues, City of Quartz devient un livre culte pour les étudiants. Le spatial conditionne le social, clame Mike Davis, lauréat du MacArthur Prize. Voilà du grain à moudre pour les constructeurs de demain. Quelques sociologues font la moue : il ne possède pas la rigueur universitaire.
Autodidacte, Mike Davis a fait des études supérieures tardives. Son parcours est "ordinaire", dit-il. "Celui d'un Américain qui a 20 ans dans les années 1960 et milite dans les mouvements pour les droits civiques. Cet engagement a changé ma vie." Il grandit près de San Diego dans une famille modeste : un père découpeur de viande qu'il remplace quand il tombe malade. Plus d'une fois renvoyé de son collège, le sale gosse quitte la maison à 18 ans, pour New York. Il rejoint les Students for a Democratic Society, organisation de la gauche étudiante radicale, et fait un bref passage au Parti communiste (1968-1969).
Pour vivre, il conduit des camions de 1969 à 1973. Reprend des études à la trentaine (University of California Los Angeles, UCLA) et se lie à des intellectuels au fil de ses voyages dans les années 1980 (Belfast, Londres, où il collabore à la New Left Review). De retour en Californie, toujours fauché, il reprend le volant et transporte, aussi écoeuré que curieux, des matériaux pour un gigantesque hôtel casino de Las Vegas... L'heure de la reconnaissance sonne en 1987 : il obtient un poste d'enseignant une journée par semaine à UCLA. "En un jour, à l'université, je gagnais plus qu'en six jours à bord de mon camion." Les étudiants en architecture, eux, découvrent un professeur original. Loin de Mulholland Drive - la célèbre artère où résident des stars du cinéma et de la musique -, Mike Davis leur fait découvrir Downtown LA, le centre-ville où vivent les laissés-pour-compte. Se sentir à l'aise dans tous les milieux, parler aux gens qui se présentent sur le chemin, bandes et gangs de Los Angeles compris, c'est l'une des forces de Davis. "Je peux aller partout", dit-il fièrement.
Aujourd'hui, l'enseignant des campus américains reconnaît mener "une vie de privilégié", même s'il habite un quartier bigarré de San Diego avec sa femme artiste et ses jumeaux de 4 ans. Il voyage plus souvent pour rendre visite à ses deux autres enfants (26 et 15 ans) que pour vendre ses derniers livres.
Au bout de deux heures d'entretien, on attend avec impatience son récit sur Dubaï, le nouvel eldorado des Emirats arabes unis, qu'il descend en flèche dans Le Stade Dubaï du capitalisme (éd. Les Prairies ordinaires, 2007 et sur le site de Mouvements ) Dubaï, ses tours mirobolantes, son sable qui vaut de l'or, ses ouvriers exploités, sa manne en provenance des Etats du Golfe. Mike Davis peint un tableau sombre, argumenté et très vivant de cet inquiétant paradis. On s'y croirait. Mais l'auteur réserve des surprises : "Je n'y suis pas allé", dit-il, en expliquant s'être appuyé sur des documents. Certains y verront une supercherie, d'autres loueront son talent...
"C'est un militant du savoir, à la Bourdieu. Un anthropologue capable d'analyser les rapports sociaux et de s'intéresser aux paysages imaginaires comme Hollywood", souligne François Cusset, historien des idées et directeur de collection aux Prairies ordinaires. "Après tout, Marcel Mauss a bien décrit la Polynésie sans y mettre les pieds", sourit Xavier Capodano, de la librairie Le Genre Urbain, à Paris, qui connaît bien le personnage. Ancien professeur de sociologie urbaine à l'université de Nanterre, il classe Mike Davis parmi les héritiers de Robert Ezra Park (1864-1944), sociologue et figure marquante de l'école de Chicago, mais aussi journaliste jusqu'à l'âge de 50 ans. "Un reporter militant, un chercheur de terrain", résume-t-il, tout en reconnaissant les limites de son oeuvre. "Mike Davis déconstruit, mais il ne développe pas vraiment d'alternative." Comment bâtir l'arche du XXIe siècle ? Vaste question, à laquelle Mike Davis n'apporte pas de réponse.
1947
Naissance à Fontana (Californie).
1969-1973
Camionneur et chauffeur de bus pour touristes.
1987
Commence une carrière d'enseignant dans les campus américains.
1990
Parution de "City of Quartz" aux Etats-Unis.
2007
"Le Pire des mondes possibles", (La Découverte éd.).
2008
Conférences à Paris sur l'architecture à l'heure des catastrophes.