1 Août 2008
Penser le Paris de demain
Anne Hidalgo première adjointe au maire de Paris, chargée de l'Architecture et de l'Urbanisme.
Le 8 uillet, le conseil de Paris s'est prononcé pour «le lancement d'un processus d'études, de débat et de concertation sur l'évolution du paysage urbain parisien sur sa couronne». De quoi s'agit-il ? Avant tout, de poser les conditions du débat sur la ville que nous voulons bâtir avec les Parisiens et les habitants de la métropole dans les prochaines années. Parce que cela répond à notre vision de la démocratie : réfléchir, débattre, confronter nos idées avant d'agir.
Le visage de notre cité change. Celle dont nous avons hérité et à laquelle nous sommes attachés ne ressemble pas à celle que nous léguerons aux générations de demain. Il est à mes yeux de la responsabilité des élus d'accompagner et même de précéder ce mouvement, en ouvrant le débat sans le caricaturer. Nous proposons d'aller plus loin : ne discutons pas de dogmes, mais de projets.
En premier lieu, bien sûr, le logement. Enjeu majeur de justice sociale, il constitue notre priorité pour la mandature qui s'ouvre. Dans les six prochaines années, tout sera mis en œuvre pour permettre la construction de 27 000 logements neufs sur le territoire parisien, dont au moins 13 500 sociaux. Pourquoi, au regard de la crise qui frappe un grand nombre de familles, nous interdire de dépasser les hauteurs fixées à Paris à 31 et 37 mètres, et qui constituent aujourd'hui une véritable limite ? Compte tenu de la petite superficie de notre capitale - quinze fois plus petite que Londres - pourquoi ne pourrions-nous pas envisager, là où c'est possible, de construire des immeubles de 50 mètres, autrement dit de 15 étages, pour que nos concitoyens puissent mieux se loger ? Ainsi, en évoluant ici et là sur les hauteurs, on libère 20 à 30 % de constructibilité supplémentaires. Voilà l'enjeu majeur du dialogue que nous souhaitons engager. Et soyons clairs, c'est bien l'ensemble de la couronne qui sera concernée, les arrondissements de l'est comme ceux de l'ouest.
Pour répondre aux défis de la compétition mondiale auxquels notre ville et les autres métropoles européennes sont confrontées, ne nous interdisons pas de construire plus haut. Non par orgueil, ou par sens de la démesure, mais bien par pragmatisme. Si notre ville souhaite rester dans la course à l'innovation et créer des emplois, il faut accueillir des entreprises innovantes, en favorisant leur installation et les conditions de leur croissance, en créant des pôles d'intelligence et d'excellence. C'est l'ambition qui nous anime, comme elle anime Londres, Bruxelles, Rotterdam, Madrid, Barcelone ou Berlin, libérées de certains tabous... C'est le cas de la porte de Versailles, où sur le site du parc d'exposition, nous souhaitons édifier un immeuble de très grande hauteur, une œuvre architecturale admirable, qui comprendra un hôtel, des bureaux, des activités en lien avec le centre des congrès. Notre ville doit rester l'égale des plus grandes et ne peut plus vivre sur sa seule renommée.
Pour les cinq autres sites que nous avons identifiés : Clichy-Batignolles, porte de la Chapelle, porte de Montreuil, Bercy-Charenton et Masséna-Bruneseau, il s'agit de territoires en friches, mal urbanisés, marqués par la présence d'infrastructures lourdes, routières ou ferroviaires. Ces territoires sont situés au cœur de notre métropole, au contact entre Paris et les collectivités voisines. Ils sont partie intégrante de notre cité et seront demain desservis par le tramway. La question est simple : souhaite-t-on en faire des quartiers beaux, utiles aux Parisiens et aux Franciliens, ou les laisser, comme c'est le cas depuis des années, à l'état de chaos urbain ? Et pour transformer radicalement ces quartiers, nous nous devons d'être imaginatifs et novateurs, sans nous interdire une réflexion sur la hauteur. Nous souhaitons donc, sur ces sites de la couronne, lancer ou poursuivre des études sur la question du paysage urbain, y compris en intégrant la possibilité de construire quelques immeubles de très grande hauteur, qui seraient autant de gestes architecturaux remarquables. Ils auront pour vocation d'accueillir des activités diversifiées, qu'elles soient économiques, commerciales, hôtelières et, pourquoi pas, un grand équipement public, comme le tribunal de grande instance à Masséna-Bruneseau ?
Bien sûr, nous entendons les critiques, qui souvent expriment des craintes : celles de répéter les erreurs des années 60 et 70, avec, par exemple, les quartiers Montparnasse et Olympiades, où l'urbanisme sur dalle, déconnecté du sol, a porté atteinte au paysage et à l'espace public parisiens. Notre ambition et celle des architectes et des urbanistes de talent qui nous accompagnent est tout autre : il s'agit de créer de véritables quartiers intégrés où beauté, qualités architecturales et impératifs écologiques se conjuguent harmonieusement. L'immeuble de grande hauteur doit retrouver à Paris un rapport au sol direct et simple, en lien avec des rues parisiennes qui font la qualité et la réputation de notre espace public.
Notre ville devra répondre au défi majeur du XXIe siècle : passer à l'ère de l'après-pétrole, défi posé à toutes les métropoles de la planète. Pour cela, ne nous trompons pas, la ville de demain ne sera pas une ville étalée, elle sera une ville accueillante, une ville durable, une ville offrant des hauteurs variées, réunissant sur un territoire limité, afin de réduire les déplacements et de favoriser les transports en commun, les emplois, les logements, les commerces, les espaces verts et les équipements publics. Elle sera irriguée par un réseau de transports publics performants avec notamment des tramways et des modes de déplacement plus inédits et non polluants comme Vélib' et demain Autolib'.
Une nouvelle civilisation urbaine émerge, sous nos yeux, avec des conséquences majeures en termes d'organisation du territoire, des rapports sociaux comme des rapports humains. Il revient aux responsables publics de relever ces défis majeurs qui nous sont posés en intégrant la part poétique, la part de rêve qui animent toute aventure collective en étant audacieux et en plaçant la beauté au cœur de ces gestes architecturaux majeurs.
C'est toute l'ambition du débat que nous souhaitons engager avec les Parisiens et les villes qui constitueront Paris-Métropole. Il dépasse la simple question des tours à Paris. Avec Bertrand Delanoë, nous posons la question de la ville que nous souhaitons bâtir ensemble, une ville forte et fière de son patrimoine d'hier, mais une ville ouverte au monde et à ses influences multiples, une ville qui prépare l'avenir et construit le patrimoine du XXIe siècle. Pour cela, devrions-nous nous interdire de regarder vers le haut ?