7 Juillet 2008
LE LOGEMENT DE TOUS AU SERVICE DE L'URBANITE
Loger tout le monde dignement
Synthèse du rapport au Ministre du logement et de la ville
Roland Castro, architecte
Juin 2008
Dans un contexte de forte pression immobilière, d'un nombre toujours croissant de demandeurs de logements sociaux et dans le cadre de la loi sur le droit au logement opposable (DALO), l'engagement du Ministère du logement et de la politique de la ville d'enclencher un processus de construction massive pose la question de la qualité des logements qui seront proposés à des populations fragiles économiquement et socialement.
La vocation de ce rapport est d'ouvrir un débat public en vue de libérer les initiatives, mobiliser les acteurs et de donner la priorité au projet sur les structures. Si nous devons penser aujourd'hui l'urgence, il est nécessaire de se donner les moyens de mobiliser la somme des expériences et des savoirs disponibles.
Le geste architectural est le produit d'une dialectique entre un ensemble de valeurs d'usage et de valeurs esthétiques et c'est peut-être dans cette rencontre que réside la qualité architecturale : un bon bâtiment magnifie et représente ceux qu'ils accueillent. L'intégration urbaine du logement social dans la ville, la densité et l'étalement urbain, la mixité sociale, fonctionnelle, typologique et générationnelle, l'empilement des normes qui tendent à brider la créativité et l'innovation, sont autant de sujets qui nécessitent une réflexion collective.
Des pistes d'innovation pourraient être explorées dans le cadre d'une mobilisation des professionnels du secteur (architectes, industriels, ingénieurs et promoteurs) sous l'autorité du Ministère du logement et de la politique de la ville. La libération de cette créativité tout en permettant la réduction des coûts initiaux serait à même de répondre à l'urgence de loger des familles tout en favorisant leur développement.
Si le boum créatif mondial en matière de création architecturale est indéniable, il s'est construit au détriment du grand acquis des années 80, que l'on a communément appelé « le retour à la ville ». Aujourd'hui le paradigme dominant dans le milieu de l'architecture mondiale valorise l'architecture de l'extraordinaire et les talents se mobilisent sur des tours en Chine, des opéras ou des grands équipements de renommée mondiale. Or les briques de la ville sont constituées de logements et d'activités aussi fécondables que de grands événements. C'est pourquoi, les efforts en matière de création architecturale dédiés au logement nécessitent les efforts conjugués du Ministère du logement et de la politique de la ville, du secrétariat à la politique de la ville, de la culture et de l'éducation afin de valoriser cette architecture dite de l'ordinaire, une architecture vernaculaire. Cela implique de sensibiliser les français à la culture architecturale et les succès des émissions télévisées et de la presse magazine traitant de l'architecture, de la décoration et de l'art de vivre sont des preuves de l'intérêt grandissant de nos concitoyens. Il est nécessaire de faire émerger la question de l'habiter et la question de la ville parce qu'il s'agit bien d'une question civilisationnelle.
Il s'agit de parvenir à mobiliser de façon permanente les acteurs qui tous concourent à la fabrication de la ville et du logement. Il n'est pas question ici de proposer la création d'une énième institution mais plutôt de s'appuyer sur les réseaux existants afin de mobiliser l'ensemble des acteurs. C'est pourquoi, une réunion annuelle sur le modèle des « entretiens de Bichat » pourrait voir le jour : lieu d'échanges et de débats, ces rencontres permettraient de capitaliser sur les expériences intéressantes afin d'en tirer des enseignements pour sa propre pratique. C'est donc un lieu d'analyses et de partage d'expériences réussies. La rencontre entre acteurs, la reconnaissance des savoirs de chacun, la mutualisation des expériences dans une atmosphère non institutionnelle à l'image du salon des artistes indépendants, est une source de qualification indéniable de l'ensemble des acteurs qui interviennent dans le processus de conception architecturale.
Au niveau local, le Ministre s'appuie sur la mobilisation des architectes conseil. En effet, une politique de projet doit s'appuyer sur des personnes nommées qui signent en leur nom et qui ne se réfugient pas derrière un texte, mais qui décident en conscience de juger de la qualité du projet quelles que soient ses singularités créatives. Nous proposons de parier, au sens pascalien du terme, sur les architectes-conseil de chaque département.
L'essence de ce rapport s'appuie sur l'idée que seule la mobilisation, l'engagement au service de la solidarité visible et habitable, d'individus responsables, capables d'interprétation, de jugements, d'initiatives, peut permettre de débloquer une société corsetée de juridique, frileuse d'innovation, dans laquelle l'idée de l'intérêt général est sous traitée au normatif.
Si notre pays se donne les moyens d'exercer dans l'habitat l'impératif de solidarité, se mobilise pour cela, il s'embellira dans tous ses quartiers : la beauté, l'urbanité de la ville, se verra, se sentira. Si « changer de peuple » s'est avéré impossible, comme l'a si bien dit Bertold Brecht, le grandir par la dignité de beaux quartiers et de belles villes est possible.
Madame le Ministre, mobilisez-nous !