2 Juillet 2008
Christian Blanc, Secrétaire d'Etat (sitedéveloppementdurable. gouv.france)
Le lieu : Dock Pullman à La Plaine Saint-Denis, ville privée dédiée aux studios télé. Le dispositif scénique a de quoi surprendre : il s'agit de trois tribunes en U et à deux étages avec au centre tous les ténors de la région (Delanoë, Huchon, Karoutchi, arrivé en court de route, tout comme Devedjian et les présidents des conseils généraux Bartolone, Favier et autres...), et assis de part et autre, plus de 200 «petits élus» franciliens (100 collectivités représentées), membres de la conférence métropolitaine, instance informelle de concertation à l'initiative de la Ville de Paris.
Nous sommes le mercredi 25 juin. C'est le lancement des Assises de la Métropole, annoncé il y a plusieurs semaines par Pierre Mansat, adjoint au Maire de Paris en charge de Paris métropole. Christian Blanc, Secrétaire d'État chargé du développement de la «Région Capitale», jusqu'ici très discret sur sa nouvelle mission, est là, bien entendu. Par leur présence massive, les élus ont rappelé à l'État que le devenir de la métropole parisienne ne pouvait se dessiner sans eux. L'événement entérine l'émiettement des pouvoirs en Région Île-de-France et hypothèque même sans doute l'émergence d'un pouvoir d'agglomération pourtant indispensable. L'amorce, sans doute, d'un tournant politique.
«Chicago dans les années 1920»
En face des élus, un auditoire largement composé de technos, acteurs socioéconomiques et experts. Le tout éclairé de puissants projos et filmé avec d'impressionnantes caméras téléguidées. On est à mi-chemin entre le plateau télé et le comité politique des «égos». A la différence près que le public convié est très différent des émissions télé de La Plaine (ici toute la technostructure francilienne de l'aménagement et du développement territorial). Un des dix architectes-urbanistes, sélectionné par Sarkozy pour la consultation internationale d'urbanisme sur le Grand Paris, présent, déclare en sortant, à demi-amusé et non sans ironie : «On se croirait à Chicago en 1925, c'est la réunion de tous les chefs de la mafia».
Tous les grands élus franciliens étaient là, y compris ceux de la grande couronne. En gros, la plupart des élus étaient derrière Huchon, victimisé par l'État depuis des mois, lequel s'est autoproclamé «ennemi public numéro 1».
Tous ont défendu le SDRIF (Schéma Directeur de la Région Ile-de-France) et tous étaient d'accord pour la mise en place d'un échelon mou supplémentaire: un syndicat mixte d'études ouvert, chargé d'identifier les grands projets et les moyens nécessaires à leur réalisation, une structure d'étude, qui viendra se rajouter à l'atelier parisien d'urbanisme (APUR) et à l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Île-de-France (IAURIF), les agences d'urbanisme respectives de la Ville de Paris et de la Région Île-de-France.
Karoutchi avait tout prévu
On aurait pu imaginer que cette nouvelle structure intervienne sur un périmètre intermédiaire, à savoir celui du cœur de l'agglomération, communément appelée la «zone dense». Que nenni! Ce syndicat sera ouvert... à tout le monde, au risque de le transformer en auberge espagnole... Le Secrétaire d'État chargé du développement de la région capitale, Christian Blanc, déclarant lui aussi que l'État ne s'interdirait pas la possibilité d'y siéger...
Bref, comme l'a souligné Roger Karoutchi, Secrétaire d'État en charge des relations avec le Parlement, chef du groupe UMP au conseil régional, et candidat déclaré depuis le 22 juin aux prochaines élections régionales en Île-de-France : «Je me réjouis que la conférence métropolitaine aboutisse à la proposition que j'avais faite il y a un an».
Seul le Sénateur UMP Philippe Dallier, auteur d'un rapport remarqué sur l'avenir institutionnel de l'agglomération, s'évertue à dénoncer le statut quo autour du «mille-feuille institutionnel», auquel on rajoute une couche, «morcelant davantage encore le pouvoir» et qui plus est, «au moyen d'un syndicat mixte, qui ne sera même pas un organe de décision : je pense que j'ai assisté ce matin à la cérémonie d'enterrement des assises de la métropole».
Touche pas à la taxe professionnelle
Bref, l'idée d'une dynamique métropolitaine est effectivement remise à plus tard, le point de vue régional et celui des départements de grande couronne ont primé. Seul Philippe Laurent, Maire de Sceaux sans étiquette (membre de l'équipe d'animation de la Conférence métropolitaine et ennemi juré de Devedjian dans les Hauts de Seine) a voulu rassurer le bouillant Sénateur UMP en concluant : «la création de ce syndicat mixte n'est qu'une étape, et je le dit à ceux qui pensent que cela ne va pas assez vite mais aussi (...) à ceux qui pensent qu'on en resterait là». Pourtant (contrairement aux allégations du Monde), on voit mal comment cette structure syndicale pourrait préfigurer une intercommunalité à fiscalité propre du type communauté d'agglomération ou communauté urbaine, dans la mesure où le scénario d'une taxe professionnelle unique a été rejeté à l'unanimité par les élus. Car les communautés d'agglomération existantes ou les villes isolées (comme Saint-Ouen) sont réticentes à mettre au pot commun ce qui constitue souvent l'essentiel de leurs ressources. L'une des missions du syndicat mixte sera d'ailleurs d'étudier les possibles mécanismes de solidarité financière et les diverses hypothèses de péréquation et de mutualisation «au sein du cœur d'agglomération et à l'échelle régionale, en attachant une attention particulière aux liens entre cœur métropolitain et territoire régional», comme tente de le synthétiser le communiqué de presse des Assises...
À gauche, le fabiusien Claude Bartolone préfère évoquer un «grand emprunt européen» ou la mutualisation des droits de mutation. Les autres tablent sur le renforcement de l'intercommunalité en petite couronne comme une solution miracle pour la gouvernance métropolitaine : Patrick Braouezec bien sûr, attaché à une conception polycentrique de la métropole (et son bastion de Plaine Commune), mais aussi Dominique Voynet, qui a annoncé la création prochaine d'une énième communauté d'agglomération aux portes de Paris, depuis son nouveau fief de Montreuil : «Le projet de Grand Paris, bien mal nommé, j'ai bien peur qu'il ne débouche sur une forme autoritaire de recomposition territoriale». Et de justifier la création de cette nouvelle entité par la structuration des petites communes de banlieue face à l'ogre parisien (alors même que Montreuil peut s'apparenter du point de vue sociologique à un arrondissement de l'est de Paris).
Résultat de ce petit manège : cette poursuite de l'intercommunalité en petite couronne va se traduire par un assèchement du Fonds Régional de solidarité de la Région Île-de-France. En effet, la création d'un Établissement Public de Coopération Intercommunal (EPCI) permet aux communes d'être exonérées de la cotisation de la deuxième tranche de ce fond de péréquation, destiné aux communes franciliennes les plus pauvres. C'est ce qui a d'ailleurs incité Messieurs Devedjian, Santini et Fourcade à faire chacun leur petite communauté.
Des projets «égoïstes»
De son côté, le député-maire de Sarcelles, François Pupponi, a dénoncé le «laxisme des Préfets en Île-de-France qui ont laissé passer des projets d'intercommunalité égoïstes». En prenant l'exemple de la communauté de communes de Roissy Porte de France, voisine de la communauté d'agglomération Val de France (la sienne) autour de Sarcelles et Villiers le Bel : «La communauté de communes de Roissy est la plus riche de France alors que la communauté d'agglomération de Val de France, l'une des plus pauvres du pays», raconte l'élu, qui se demande : «Pourquoi Roissy empocherait toute la taxe professionnelle alors que les investissements aéroportuaires sont le fait de l'État ?». Et de rappeler d'un air grave : «Il ne faudrait pas oublier les 58 gendarmes plombés le lendemain de la mort des deux jeunes de Villiers, voilà la situation dramatique d'un quartier à 12 minutes du centre de Paris !».
Troisième partie de notre article sur les Assises de la Métropole, qui ont confirmé l'émiettement des pouvoirs en Région Île-de-France. Où l'on voit que Delanoë garde la main derrière Blanc.
Devant les enjeux de solidarité métropolitaine, Bertrand Delanoë tente de garder la main en proclamant : «J'ai une ambition économique pour Paris !». Manière pour lui de répondre à Christian Blanc ainsi qu'à François Fillon qui avaient vertement critiqué il y a quelques jours le manque d'ambition économique du SDRIF (Schéma directeur de la région Ile de France). Débarrassé du poids des Verts dans son exécutif depuis les dernières élections, le maire de Paris peut désormais souligner très tranquillement : «Moi je peux aider à l'ambition économique de la Région Île-de-France, car en tant que maire de Paris, je dois une certaine qualité de vie, pas seulement aux résidents de Paris, mais également à tous les usagers de Paris». Rappelant que la Ville de Paris contribue à la hauteur de 30 % au budget du Syndicat des Transports de l'Ile-de-France (STIF), Delanoë explique par ailleurs qu'il est tout à fait disposé à trouver des améliorations au SDRIF «de concert avec l'État».
Ainsi, tout comme son fort habile adjoint au maire Pierre Mansat, Delanoë essaye de concilier les susceptibilités des responsables politiques franciliens - Il rassurait ainsi son voisin Huchon par ces mots : «On ne peut pas concevoir une métropole francilienne sans une Région Île-de-France forte», et s'adressant à Christian Blanc, il expliqua : «On ne peut pas effacer d'un trait de plume le SDRIF, car ce schéma a été adopté à l'unanimité par les collectivités d'Île-de-France» - tout en sauvegardant la question centrale à ses yeux : enrayer la fuite des emplois parisiens et penser le développement économique à partir de «Paris Métropole», alors même que le précédent SDRIF de 1994 (toujours en vigueur) avait scrupuleusement ignoré la territoire de la Ville de Paris...
Autrement dit, Delanoë évacue le terrain de la gouvernance afin de mieux imprimer son leadership au moment même où l'État bouscule la frilosité de la plupart des élus franciliens de droite... comme de gauche. Face à un axe Braouezec-Voynet-Huchon, «en attelage» avec Karoutchi, on a bien senti un rapprochement Delanoë-Blanc... Mais les deux camps laissent de côté sans complexe les questions institutionnelles posées par le jeune sénateur Dallier. Sans compter que les financements sont loin d'être assurés, notamment en matière de transports.
On l'a vu avec le clou du spectacle : l'intervention de Christian Blanc qui clôturait la Conférence, expliquant qu'il allait s'inviter dans la rédaction du SDRIF en musclant le volet économique et en relançant les investissements routiers. L'ancien rocardien (passé au Nouveau Centre) a déclaré en effet : «Je reviens de la Silicon Valley, j'y étais encore hier, (...) et j'ai acquis la forte conviction que la voiture électrique, c'est vraiment pour demain (...), alors nous sommes tous dans une optique qui est celle du développement des infrastructures de transports en commun, je suis de ceux là, mais peut-être qu'on estimera dans trente ans que nous avons mal analysé la situation et que nous avons lancé des investissements à vingt ou trente ans dans des directions qui ne sont pas exclusivement celles que nous aurions du suivre...» En sous-entendant par là que pour résoudre le problème des transports en Île-de-France, il suffisait d'attendre 10 ou 15 ans que cette technologie pénètre l'ensemble du parc automobile, en se plaçant uniquement sur la questions des émissions, et en ignorant totalement le problème de la congestion des flux automobiles, et sans parler bien sûr des inégalités d'accès à cette chère voiture électrique.
Avec cette déclaration, le projet de métro en rocade autour de Paris apparaît sévèrement plombé, alors même que l'État n'a pas prévu de nouveaux financements pour la Région Île-de-France dans le cadre de la Loi d'orientation sur le Grenelle. Et pourtant les besoins en transports collectifs sont énormes : dans le cadre du Grenelle de l'Environnement, les investissements pour la Région Île-de-France ont été évalués à plus de 25 milliards d'euros d'ici 2020. Pour l'heure, l'État ne s'est engagé qu'en province (et à hauteur de 2,5 milliards au lieu des 4 annoncés à l'automne 2007 par Nicolas Sarkozy).
Un cabinet révélateur
Il convient de préciser que Christian Blanc, ancien PDG de la RATP, s'est choisi, comme Directeur de Cabinet, Marc Véron, ancien Directeur général délégué de Fret SNCF, dont le plan désastreux (dit «Véron») de redressement des comptes de 2004 à 2006 s'est traduit dès la première année par le démantèlement de 186 km de voies ferrées. L'objectif était de favoriser l'exploitation des axes massifiés les plus rentables. Résultat, un an seulement après la mise en œuvre de ce plan de «sauvetage», le trafic avait déjà régressé de 11,3% et quelques 600 000 camions de plus avaient été jetés sur les routes. Dès lors, on comprend d'où vient l'idée d'une relance des investissements routiers en Île-de-France. La composition du cabinet Blanc est également très révélatrice : des jeunes loups à la «sauce Madelin». De fait, Le Grand Paris de Blanc, c'est plutôt les petits paris à la sauce libérale (des anciens madelenistes pour certains, proches de Bédier et de Santini pour d'autres)...
Et d'ailleurs, que penser des moyens alloués par l'État aux équipes d'architectes et d'urbanistes engagées pour une consultation sur le Grand Paris ? Elles n'auraient reçu chacune de la part du Ministère de la Culture qu'une enveloppe de 200 000 euros pour travailler jour et nuit pendant 6 mois («Vous allez devoir faire charrette» leur avait assuré Sarkozy).
Pendant ce temps, il y a environ un mois, lors de la venue des Sénateurs à l'Élysée, Josselin de Rohan, avait demandé au Président ce qu'il comptait faire du mille feuille institutionnel. Réponse de l'intéressé : «C'est pas au programme, j'ai déjà fort à faire avec la réforme de l'armée, de la justice et de l'Éducation Nationale...»
Roger Bazile (urbaniste) et Marc Endeweld (journaliste)Jeudi 03 Juillet 2008 - 10:29