21 Juin 2008
Et la vidéo de mon intervention
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Depuis que l'Elysée s'en mêle, le « Grand Paris » est devenu mode. Et nombreux sont ceux qui se mêlent à la discussion en toute mauvaise foi ou, pire peut-être, en toute ignorance. Ce qui n'a pas été le cas, ce jeudi 12 juin, lors de la rencontre organisée au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) par le réseau de l'Institut d'urbanisme de Paris (IUP), appelé Urba+ (voir programme : http://www.pierremansat.com/article-20254874.html). Ce jour-là, , urbanistes, acteurs du monde politique et économique ont donné leur point de vue du lieu dont ils parlaient. On était loin des discussions de café du commerce et des tactiques machiavéliques.
Sans surprise, il a été beaucoup question des inégalités sociales et des lignes de fragilité du territoire, ce qui a amené Gilles RABIN à se demander si « la région parisienne était un grand corps malade ! »
Sur la question du logement, Jean-Claude DRIANT, professeur à l'IUP, a rappelé que la pénurie d'offre est tout autant liée au nombre insuffisant de constructions (sur ce critère, l'Ile-de-France est avant-dernière en France, juste avant la Picardie !) mais aussi, à la « crise sélective de la mobilité ». En d'autres termes, le fossé s'accroît entre les propriétaires qui peuvent bouger et les locataires qui n'ont le choix - du fait de la rente immobilière - que de rester là où ils sont ou de s'éloigner des centres urbains, voire de quitter la région. Le taux de rotation dans le parc social est ainsi passé de 10% en 1998 à 6% actuellement. Comme l'a rappelé Jean-Luc VIDON, administrateur de l'AORIF (l'Union sociale pour l'habitat d'Ile-de-France), la moitié du patrimoine social de la région est concentrée sur 10% du territoire et l'écart augmente encore! Les files d'attente s'allongent, le mal logement se développe. Pour les décideurs politiques, le défi est double: construire, pour fluidifier la mobilité et rééquilibrer les territoires, mais aussi produire des types de logements répondant aux besoins des personnes, sans oublier les préoccupations de développement durable. Pour réaliser cet objectif, certains ont déclaré qu'il fallait un chef de file, comme il en existe partout ailleurs en France.
Côté emploi, G.Rabin a demandé à François BALLET, Secrétaire général scientifique de Sanofi-Aventis R&D (Val-de-Marne) ce qu'il « attendait d'un Grand Paris possible, souhaité, voulu ? » Pour le représentant de la firme pharmaceutique, l'affaire est entendue. La région parisienne est «attractive » car elle offre les profils d'expertise, la recherche publique, un réseau d'hôpitaux publics et la sous-traitance nécessaires. Mais la parcellisation des pouvoirs y est trop grande. Et de donner l'exemple du grand Lyon, où le leadership est plus clair. En d'autres termes, malgré la grande qualité des cerveaux franciliens du service public, en l'absence de leadership, le transfert des activités de la firme sous d'autres cieux est une option plausible.
La question de la gouvernance du Grand Paris ne pourrait donc attendre, contrairement à la déclaration radicale - « Ce sont les territoires qui décident de leur chef !» - lancée en introduction de la soirée par l'architecte-urbaniste, professeur au CNAM, Michel CANTAL-DUPART, qui, associé à Jean Nouvel, va coordonner l'une des dix équipes lauréates de la consultation internationale lancée par l'Élysée pour concevoir le futur aménagement du « Grand Paris ». (http://www.pierremansat.com/article-20182066.html?
Volatilité des entreprises, périmètres d'interventions élargies, mur du logement, un Etat qui veut reprendre la main, qu'en disent les responsables des politiques publiques ? Mireille FERRI, Vice-présidente du Conseil régional d'Île-de-France (Les Verts) chargée de l'aménagement du territoire, a répondu par un éloge à l'intelligence collective, telle qu'elle a été mise en œuvre dans le projet de Schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif) (ce schéma vise à répondre aux besoins actuels et futurs de la population en termes de logements, de transports, d'environnement et d'emploi). Le gouvernement, en décriant le SDRIF et en le jouant contre le projet du futur Grand Paris, a été désavoué par les résultats de l'enquête publique de fin 2007, la plus importante jamais réalisée (elle a touché 11 millions de FrancilienNEs) : le SDRIF a reçu un « avis favorable et unanime », assorti de quatre réserves essentiellement techniques, de la commission d'enquête publique, le mercredi 11 juin. Cette intelligence collective, M.Ferri la propose pour penser des espaces de coopération, institutionnels ou non, où coexisteraient les acteurs de différents échelons et où des formes souples de gestion règleraient les conflits d'usage et d'échelle. Dans ce cadre, Paris doit être envisagé comme le lieu central d'une organisation territoriale vaste, qui puisse travailler en interdépendance régionale, sur des sujets tels que, par exemple, la navigation fluviale.
Philippe DALLIER, Sénateur UMP de Seine-Saint-Denis, Maire de Les Pavillons-sous-Bois, membre de l'observatoire de la décentralisation du Sénat, lui, a déclaré avec force que le projet de la gouvernance est fondamental. Il a réaffirmé sa vision d'une gouvernance à trois niveaux : la commune, le Grand Paris et la région, tout en appelant au partage des richesses. Un point fondamental que ni Nicolas Sarkozy, ni Christian Blanc ne soulèvent...
En accord avec plusieurs des intervenants, j'ai ré-affirmé ma conviction de l'inadaptation d'un gouvernement par les institutions pré-métropolitaines actuelles, qui ne correspondent pas à une vision moderne de la ville, et où chacun campe sur son pré carré. Les inégalités de la région sont insupportables et les ressources comme les bénéfices doivent être partagées. « Je ne crois pas que le débat ait à porter, à cette étape, sur des problèmes de périmètre, voire même de nouvelles institutions, même si la question sera posée à un moment ou un autre » ai-je rappelé. « Je pense qu'on est à un moment où il faut réfléchir en termes d'emboîtements. La région a peut-être la bonne taille [ région métropolitaine], mais il faut s'atteler à la question non traitée : le cœur de la métropole ».
Paris a posé les termes du débat dès 2001 et a créé une scène provisoire de concertation, la Conférence métropolitaine, un lieu, une scène politique où les élus peuvent se parler, faire des diagnostics communs et qui redonne leur place aux maires - qui sont au coeur du système démocratique. Alors, quelle gouvernance ? Emboîtements des dispositifs, fédération de gouvernements locaux ? Et pourquoi pas, un OVNI institutionnel ? A géométrie variable. Paris Métropole.
Le débat sur le Grand Paris s'est étouffé à plusieurs moments de l'histoire. Il ne s'agit pas que cela se reproduise, au risque de voir les « territoires s'enfoncer de manière silencieuse » (M.Ferri) et de toujours plus de gestion urbaine répressive. Il en va d'une conception de la ville solidaire et active, où l'on ne se donne pas comme horizon l'attractivité, le positionnement international et la compétitivité de la croyance néolibérale. Dans ce débat, les citoyens doivent avoir toute leur place.
Pierre Mansat