4 Juin 2008
Les dix équipes d'architectes et d'urbanistes sélectionnées ce matin vont devoir définir leur perception de la future métropole. Premières pistes évoquées.
SIBYLLE VINCENDON
QUOTIDIEN : mercredi 4 juin 2008
Ce matin, Nicolas Sarkozy dévoilera la liste des dix équipes d'architectes et urbanistes sélectionnées pour dessiner l'avenir du Grand Paris. La liste n'est plus guère un secret depuis qu'une commission d'appel d'offres l'a dressée le 21 mai et que Libération et le Moniteur expert l'ont révélée (1). Richard Rogers (Royaume-Uni), Finn Geipel (Allemagne), le groupement MVRDV (Pays-Bas), Bernardo Secchi (Italie) et, côté français, Djamel Klouche, Yves Lion, Jean Nouvel, Christian de Portzamparc, Antoine Grumbach et Roland Castro enverront un représentant à l'Elysée. Chaque groupe aura cinq ou six phrases pour expliquer au Président sa vision du «Grand pari de l'agglomération parisienne», titre de la consultation.
Quarante-trois équipes avaient déposé un dossier pour faire partie des dix. Les retenus doivent maintenant réfléchir pendant sept mois sur «la métropole du XXIe siècle de l'après-Kyoto» et appliquer le fruit de leur pensée au cas particulier de Paris. Ils devront aussi creuser un thème de leur choix : mobilités, habitat, économie... Trois séminaires émailleront ces travaux, mi-septembre, mi-novembre et mi-janvier. Enfin, l'ensemble sera exposé à la Cité de l'architecture à Paris.
Il n'y aura donc pas une solution, mais des pistes multiples. Lancée par Sarkozy à l'automne, cette consultation aurait pu être l'alignement de quelques vedettes de l'architecture mondiale plus ou moins inspirées. Son organisation au sein du ministère de la Culture lui a donné une orientation beaucoup plus «jus de crâne», même si la liste des dix ne brille guère par ses découvertes de talents méconnus. Il est vrai que la réorganisation d'une métropole comme Paris n'est pas non plus un exercice pour débutants.
Tout ça pour quoi ? Avoir des idées et essayer d'y voir clair. La démarche de création d'une métropole a été entamée par Paris, avec la conférence métropolitaine initiée par Pierre Mansat, adjoint PCF aux Relations avec les collectivités territoriales. Elle s'est emballée depuis que Nicolas Sarkozy l'a prise en main, à sa manière ultravolontariste, avec évocation d'une communauté urbaine et, surtout, nomination d'un secrétaire d'Etat à la région capitale. Depuis, c'est guéguerre politique tous les jours sur ce qu'il y aura à gouverner.
Un peu d'urbanisme, donc, pour faire une pause. Déjà, les équipes ont esquissé stratégies et méthodes. Voici un best-of, glané au fil des dossiers.
(1) Libération du 23 mai.
Qu'est ce que la métropole ?
«La métropole a cessé d'être un lieu (que l'on peut dessiner) pour devenir une condition (que l'on peut, plus ou moins, décrire pour tenter de la définir).» Equipe Klouche
C'est quoi, une métropole ? Toutes les équipes disent en gros que ce n'est pas une ville, un endroit géographique, mais des réseaux et des flux. Il y a, écrit MVRDV, «un fonctionnement métropolitain de fait. [.] On peut très bien imaginer des cartes métropolitaines de flux et de réseaux, de bassins d'emploi, de logements et d'équipements complètement décalées entre elles, dans l'espace et dans le temps». La métropole, c'est aussi une organisation par pôles, tout le contraire de la ville «radioconcentrique» (un centre vers lequel tout converge). L'équipe Klouche évoque les développements de la grande périphérie : «D'autres modes de vie, [.] comme si la ville n'était plus du tout ce qu'on croyait ou ce qu'on voudrait qu'elle soit.» Enfin, sur le plan économique, la métropole est aussi une «position concurrentielle à l'échelle mondiale», écrit l'équipe Portzamparc. L'organiser, c'est éviter qu'elle ne soit que cela.
Quelles frontières ?
«Comment penser aujourd'hui Paris quand cette métropole est vendue par les guides Michelin avec Eurodisney en ouverture ?» Equipe MVRDV
Question majeure : jusqu'où va la métropole parisienne ? Réponse carrée de l'équipe Castro : «Le Grand Paris transforme une capitale de 10 kilomètres sur 10 en une métropole de 30 sur 30.» Réponse audacieuse de l'équipe Grumbach : le Grand Paris est «un territoire englobant à la fois Paris, Rouen et Le Havre». Toutes les grandes métropoles, estime-t-elle, «ont accès à la mer». Les autres urbanistes vont moins loin. «La perspective n'est pas un plus grand Paris, toujours plus grand, mais un Paris autre», note l'équipe Klouche. Le propos est subtil, mais n'aide guère à tracer une frontière. L'équipe Lion tente une ébauche : «Le centre économique principal va désormais de Nanterre à Montreuil et de Saint-Denis à Boulogne.» D'autres englobent l'Ile-de-France dans son ensemble, comme l'équipe Rogers, qui compte 11,3 millions d'habitants dans la métropole, soit «plus que Londres ou New York». La notion d'«archipel» revient souvent dans les dossiers, ce qui ne facilite pas non plus les tracés nets.
Quel lien au public?
«Une campagne de photographies aériennes sera menée lors de la phase initiale du travail [.] sous un angle type "vue d'oiseau".» Equipe Geipel
Comment montrer ce qu'on projette ? Problème clé de l'urbanisme. Les dix équipes doivent produire de quoi nourrir l'exposition qui clôturera le processus en janvier 2009. Pas facile. Deux maquettes de 2 mètres sur 3 sont demandées, mais l'avenir d'une agglomération ne se représente pas avec des maisons miniatures. Les résultats pourraient frôler l'art contemporain, avec ce que cela implique d'abstraction. Or, il faut aller vers les profanes. «Faire de l'urbanisme dans la région parisienne avec l'objectif de construire sur des territoires déjà construits implique d'emblée une relation forte avec le public», note l'équipe Lion, qui milite pour «une exposition itinérante et ambitieuse».
Cartes, plans, graphiques seront dans tous les dossiers, avec aussi de la vidéo à haute dose (équipe Lion), des films d'animation et un grand tableau multimédia (équipe Klouche) ou des atlas (équipe Grumbach).
Les maquettes géantes seront sans doute les rendus les plus spectaculaires. Mais pas forcément les plus faciles à décrypter, car elles risquent d'être très conceptuelles.
Quels thèmes ?
«Le paysage d'Ile-de-France n'est pas assez honoré. Où est la Marne, où est la vallée ? Pourtant, les ciels y sont exceptionnels, le climat plutôt confortable.» Equipe Lion
La consultation demande aux équipes de creuser des thèmes. Certaines annoncent clairement la couleur, comme celle de MVRDV, qui traitera de l'habitat et explorera «l'histoire des Paris du futur». En clair, un travail historique sur les plans et prospectives appliqués à Paris par le passé. L'équipe Klouche se penchera sur «les réseaux, les déplacements, les mobilités». Au fil des dossiers apparaissent les thématiques qui s'imposent dans une consultation sur la métropole «de l'après-Kyoto». «La problématique la plus structurante risque d'être la lutte contre le changement climatique», pose ainsi l'équipe Portzamparc. Pas facile avec Paris au milieu. «La patrimonalisation du bâti», qui empêche de modifier les immeubles, «constitue un obstacle spécifique au traitement [.] des "épaves thermiques" quasi-impossibles à rénover», pointe-t-elle. La question des espaces naturels, l'artificialisation des sols, revient souvent. L'équipe Grumbach veut développer «l'agriculture urbaine». Les quartiers sensibles sont peu évoqués, sauf par l'équipe Castro, spécialiste du sujet.
Quelle méthode ?
«L'historien, le philosophe, le géographe, l'économiste, le sociologue, l'ingénieur, l'architecte urbaniste, le piéton. tous parlent de la même chose, aucun n'en parle sur le même plan.» Equipe Portzamparc
Les dix équipes retenues fédèrent, sous la houlette d'un architecte urbaniste, des laboratoires de recherche urbaine, des paysagistes, des ingénieurs, des économistes, des graphistes, sans compter les multiples compétences sur lesquelles elles s'appuieront. Certaines équipes revendiquent jusqu'à 250 experts. D'où l'importance des méthodes de travail. «Le risque est grand pour cette étude de devenir une synthèse de l'art sur le Grand Paris», pointe justement l'équipe Lion. Une note méthodologique était demandée à chaque groupe. On y trouve des principes généraux, du type : «Proposer des stratégies et des desseins plutôt que des projets et leurs dessins» (équipe Nouvel). Mais aussi des organisations précises : master class avec l'université technique de Berlin, le MIT et Harvard (équipe Geipel), analyse statistique fouillée avec la London School of Economics (équipe Rogers). L'équipe Portzamparc désigne un directeur de projet et celle de Nouvel un comité de pilotage.
Qui gouvernera ?
«Une gouvernance urbaine efficace est la condition la plus importante pour permettre le changement urbain.» Equipe Rogers
Comment diriger le futur Grand Paris ? Epineuse question face à la mosaïque institutionnelle actuelle. Seul le Britannique Rogers promet la «définition d'un système de gouvernance [.] démocratique, efficace et capable de rendre des comptes». L'équipe Lion fait «le pari que c'est le grand projet qui inspirera le changement des règles et non l'inverse».
http://www.liberation.fr/actualite/societe/329605.FR.php
http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/54/07/70/quatrejuin_PM_lib-.pdf