4 Juin 2008
LE MONDE | 03.06.08
François Mitterrand a laissé aux Parisiens la grande bibliothèque et la pyramide du Louvre, Jacques Chirac le musée des Arts premiers. Nicolas Sarkozy, lui, voit plus grand. Mercredi 4 juin, le président de la République reçoit à l'Elysée dix grands noms de l'architecture mondiale - parmi lesquels Roland Castro, Jean Nouvel ou le Britannique Richard Rogers - pour leur confier une mission : faire rêver les Français sur le Grand Paris. "Le propos n'est pas de construire des monuments à la gloire du régime", précise Henri Guaino, conseiller spécial à l'Elysée. "Il s'agit d'enfanter une nouvelle ville comme en son temps le baron Haussmann", assure ce défenseur de longue date du Grand Paris.
Alors que Bertrand Delanoë s'apprête à lancer de nouveaux projets de tours dans la capitale - notamment dans le 17e arrondissement aux Batignolles et le 13e dans le quartier de l'avenue Masséna -, le président de la République veut, lui, redessiner les contours de la métropole parisienne du XXIe siècle.
Les architectes lauréats se sont engagés à travailler chacun avec une équipe d'une vingtaine d'urbanistes, de sociologues, de philosophes, de géographes, d'ingénieurs, des bureaux d'études spécialistes du climat et des transports. Ils doivent rendre un "diagnostic prospectif" au début de l'année 2009 assorti de propositions "concrètes" pour inventer la métropole de "l'après-Kyoto".
Au total, c'est une armada de près de 250 personnes qui va fournir cartes, schémas, tracés de nouvelles lignes de métro ou de tramway, emplacement de pôles économiques ou de "nouvelles villes", selon le voeu du président de la République. "C'est une consultation fondatrice", s'enthousiasme Antoine Grumbach, l'un des architectes retenus.
Alors que depuis 1966, les grands schémas d'aménagement du territoire sont du ressort principalement des ingénieurs des Ponts-et-Chaussées sous la tutelle du ministère de l'équipement, "pour la première fois l'Etat demande à des architectes urbanistes d'imaginer l'espace urbain", se félicite un conseiller de la ministre de la culture, Christine Albanel.
Si le projet est ambitieux, son cheminement a été chaotique... Lorsqu'il lance l'idée d'un "nouveau projet d'aménagement global du Grand Paris" le 17 septembre 2007, à l'occasion de l'inauguration de la Cité du Patrimoine et de l'architecture, le président de la République ne cache pas son ambition de renouer avec la tradition de l'Etat bâtisseur. "Je veux remettre l'architecture au coeur de nos choix politiques" lance-t-il en présence de gloires de l'architecture, telles que Rem Koolhass, Zaha Hadid ou Tom Mayne, auteur de la Tour Phare à la Défense. A l'époque, l'Elysée envisage plutôt de lancer un "concours d'idées" auquel participeraient exclusivement des agences d'architectes.
L'idée d'une consultation théorique qui fasse appel à d'autres experts que les urbanistes ne viendra qu'ensuite et à l'instigation du ministère de la culture. "On a dû se battre pour ne pas se laisser imposer par l'Elysée un ou deux "architectes paillettes", confie un conseiller au ministère de la culture, qui se seraient d'abord préoccupés de proposer des icônes architecturales."
L'incursion des chercheurs en sciences de l'homme et de la société dans ce que les ingénieurs considèrent comme leur chasse gardée a suscité aussi agacement et résistances. Au point qu'avec un certain zèle, les services du ministère de l'équipement ont découvert un vice juridique dans le premier appel d'offres de la consultation lancée début 2008. Le ministère de la culture a dû annuler la procédure pour la relancer le 5 mars. La consultation aura pris entre temps six mois de retard.
D'autres critiques sont venues des économistes. Professeur à Paris-XII et expert du développement de l'Ile-de-France, Laurent Davezies, bien que sollicité, a refusé de participer à la consultation. L'urgence, ce n'est pas de "sortir les crayons de couleurs", estimait-il dans une interview au Nouvel Observateur en janvier 2008. Les "grands gestes poétiques" ne remplaceront pas les grands projets.
Nommé après le lancement de la consultation secrétaire d'Etat au développement de la région capitale, Christian Blanc s'est en revanche bien gardé de toute critique. Le 13 mai, en présentant sa lettre de mission, l'ancien patron de la RATP a souligné que les travaux des équipes pilotées par les architectes nourriraient sa réflexion. M. Sarkozy a de son côté veillé à l'associer au jury de la consultation et l'a convié mercredi à l'Elysée avec Mme Albanel.
Béatrice Jérôme
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Dix architectes urbanistes veulent transformer Paris
LE MONDE | 03.06.08 | 14h48
Les dix architectes urbanistes qui seront reçus mercredi 4 juin par Nicolas Sarkozy vont devoir réfléchir à la forme de la ville plutôt qu'à sa hauteur. Certains ont pris un peu d'avance.
Depuis quatre ans, Antoine Grumbach soutient l'idée que Paris devrait s'étendre jusqu'au Havre. Concepteur de l'aménagement urbain le long du tramway des Maréchaux, ce "réparateur d'espace public", comme il se définit, cite Jules Michelet : "Paris, Rouen, Le Havre, une seule ville dont la Seine est la grande rue." Le développement "radioconcentrique" de Paris depuis Philippe Auguste a entraîné, selon lui, "une perte d'identité de la métropole". Seule une extension le long de la Seine pourrait "lui redonner un vrai dynamisme économique autant qu'un imaginaire."
Sur les barricades avec M. Grumbach en 1968, Roland Castro crayonne depuis 1983 de nouvelles limites à la capitale. S'il n'a pas convaincu François Mitterrand de mettre la Grande Bibliothèque à la place du Stade de France, il espère persuader M. Sarkozy de transformer "le parc de la Courneuve en parc Monceau" ou de créer "une Défense-bis à Vitry".
Ephémère candidat à la présidentielle de 2007, il proposait de déménager l'Elysée à Saint-Denis et Matignon à Bobigny. Si ce combat lui semble aujourd'hui perdu, il veut toujours faire du Grand Paris un levier de transformation sociale. Il faut, dit-il, "requalifier des quartiers, les relier entre eux par de nouveaux transports pour réinscrire l'idée de solidarité" à l'échelle métropolitaine de 6 à 10 millions d'habitants. Autre architecte avec une démarche assez proche : Christian de Portzamparc.
Les autres lauréats ont moins théorisé l'idée du Grand Paris. Mais pour la consultation, Jean Nouvel s'est notamment associé à Michel Cantal-Dupart, qui a travaillé avec M. Castro au sein de la mission Banlieue 89. Yves Lion s'est allié à deux architectes urbanistes, David Mangin et François Leclercq. Lequel explique : "Il faut réinterroger les villes nouvelles. Elles ont un potentiel de développement considérable. Marne-la Vallée est 1,5 fois plus grand que Paris et 8 fois moins peuplée."
L'architecte allemand Finn Geipel travaille dans la même direction : une multipolarité qui partirait de ce qui existe, plutôt que d'imaginer de nouvelles villes comme le suggère Jacques Attali, "qui seraient insulaires car au milieu de nulle part".
Richard Rogers, qui a construit le Centre Pompidou en 1977 a aussi été le conseiller de l'ex-maire de Londres, Ken Livingstone. Pour autant, "Paris ne doit pas chercher à copier le Grand Londres, assure son partenaire Leenart Grut. Elle doit se développer à partir de son principal atout : sa dimension culturelle." La consultation a aussi retenu le groupe d'architectes hollandais Winy Maas, Jacob van Rijs et Nathalie de Vries (MVRDV) qui ont travaillé sur le projet de salle philharmonique à Paris, ainsi que l'Italien Bernardo Secchi. Le plus jeune de la liste est un Français : Djamel Klouche qui, à 42 ans, a déjà à son actif la réhabilitation de six tours à Rouen.
Béatrice Jérôme
Article paru dans l'édition du 04.06.08