28 Mai 2008
Interrogé mardi matin sur RTL, le président de la République était très attendu pour ses réponses sur le pouvoir d'achat et la hausse du prix des carburants. Puis, s'échappant des préoccupations immédiates des auditeurs, il s'est prononcé pour la construction de nouvelles villes en France. Le propos a pu surprendre.
En fait, Nicolas Sarkozy s'inscrit dans une tradition bien française. Celle du chef de la nation aujourd'hui le président, hier le roi qui entend façonner le paysage à son goût, le modeler à ce qu'il pense être les exigences de son temps. Notre pays s'est construit et organisé, siècle après siècle, autour de cette œuvre jacobine. Des fortifications de Vauban sous Louis XIV aux villes nouvelles de Paul Delouvrier sous de Gaulle, en passant par les chantiers du baron Haussmann sous Napoléon III. Sans parler des grands travaux de Mitterrand, de l'Arche de la Défense à l'Opéra Bastille. À chaque fois, il y a la volonté de laisser une signature, une trace dans l'histoire, une pierre sur l'édifice commun.
Chez Nicolas Sarkozy, davantage décrit comme un pragmatique que comme un homme de culture, la posture n'est pas de circonstance. Le geste architectural ne le laisse pas indifférent. Son discours prononcé à l'inauguration de la Cité de l'architecture, en septembre dernier à Paris, avait enthousiasmé l'aréopage de prestigieux architectes présents ce jour-là. Et peut-être faut-il voir aussi dans cette ardeur bâtisseuse le fondement de la politique de civilisation qu'il a exposée lors de ses premiers vœux à la nation.
La création de nouvelles villes, «où il fait bon vivre, qui tournent le dos, dit-il, à toutes les folies des années 1960», n'est pas une ambition simple à réaliser. Les villes nouvelles de Paul Delouvrier Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée, Saint-Quentin-en-Yvelines, Melun-Sénart n'ont pas toutes été des succès. Loin s'en faut. Mais le souci écologique est passé par là. Et c'est l'occasion de mettre en accord les conclusions du «Grenelle de l'environnement» avec un urbanisme réinventé. Une autre façon de marquer la rupture que Nicolas Sarkozy entend incarner.
C'est également dans cet esprit que le chef de l'État souhaite être le promoteur du Grand Paris. Une idée ancienne dont nul ne sait précisément à quoi elle doit ressembler concrètement. Le président de la République en a fait, bien sûr, un cheval de bataille politique contre la gauche. Mais, au-delà, il y a la nécessité de mettre la capitale au niveau de ses concurrentes étrangères. La lutte est sans merci pour séduire les entreprises et les investisseurs internationaux. Un secrétaire d'État, Christian Blanc, a été nommé à cet effet. Le symbole est fort. Il en dit long sur l'engagement présidentiel.
L'aménagement du territoire est du ressort de l'État, a insisté mardi Nicolas Sarkozy, qui rêve d'être le grand architecte de la France de demain. Au propre comme au figuré. L'entreprise n'est pas sans risque. Mais elle mérite d'être encouragée si elle reste au service de l'intérêt général. Et pas seulement pour figurer dans les livres d'histoire.
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Le plan qui valait un milliard
Bertrand Delanoë, maire de Paris, présente aujourd'hui devant le Conseil de la capitale son plan pour renforcer l'attractivité économique de la ville. Un milliard d'euros sera investi durant la mandature.
"Créons un contexte stimulant en favorisant la formation, l'innovation, la recherche. Le reste appartient aux chefs d'entreprises", souligne le maire de Paris Bertrand Delanoë dans son livre De l'audace ! publié la semaine dernière chez Robert Laffont. C'est aujourd'hui que le plan de renforcement de l'attractivité de la capitale sera présenté par la majorité rose-verte-rouge lors du second Conseil de Paris de la mandature
Jean-Louis Missika, nouvel élu parisien et adjoint au maire de Paris chargé de l'Innovation a pour mission d'élaborer des synergies qui rassembleront étudiants, chercheurs et investisseurs. Première priorité : donner un nouvel allant aux universités parisiennes. "Nous avons conscience que les campus parisiens ne sont pas à la hauteur", concède Jean-Louis Missika. Le projet de création du premier campus trans-périphérique entre la Porte de Clignancourt et la Porte de la Chapelle reçoit le soutien des élus parisiens, de droite comme de gauche. Les autres pôles universitaires parisiens, "Quartier latin" et "Paris Rive gauche" seront restructurés. Enfin, pour loger les étudiants, la création de 4000 logements étudiants est programmée. Insuffisant, juge-t-on à droite. "Nous voulons 1 000 logements étudiants par an", surenchérit Jean-François Lamour, président du groupe Union pour une majorité de progrès à Paris (UMPPA) au Conseil de Paris.
PARIS TROP ENGONCÉ
Toutefois, pour se développer, Paris est trop engoncé dans les 105 kilomètres carrés que délimitent ses portes. Pauvre en foncier vierge, la ville veut donner une dimension métropolitaine à la politique universitaire, afin que grandes écoles, universités et laboratoires de recherche s'épanouissent en banlieue tout en gardant un pied dans Paris. La capitale et les collectivités territoriales voisines devront donc s'entendre, "Il n'y a plus de querelle de bocage du genre Paris contre Saclay ou La Défense", positive Christian Sauter, adjoint chargé du Développement économique et de l'Attractivité internationale. C'est Paris métropole contre Shanghai." L'heure est à la mondialisation.
Pour faciliter l'initiative privée, la mairie projette de créer 55 000 mètres carrés supplémentaires de pépinières et d'incubateurs de jeunes sociétés. Une agence parisienne de l'innovation devrait voir le jour. Elle servira de "vitrine technologique" à l'agglomération et contribuera à la protection de la propriété intellectuelle (dépose de brevets). Enfin "le cycle d'amorçage du financement des jeunes entreprises est difficile, regrette Jean-Louis Missika. Même les capitaux-risqueurs ont du mal à prendre des risques. La mairie de Paris aura un rôle à jouer pour les soutenir."
Pour amplifier l'attractivité scientifique et économique de la ville aux yeux de l'étranger, un paquet d'arguments seront développés, comme la mise à disposition de logements de prestige pour les chercheurs, le lancement de commandes publiques dans le cadre du plan climat, la création de pôles technologiques, "clusters", (l'un lié à la mode, l'autre aux technologies de l'environnement), le déploiement de la fibre optique... Comme annoncé lors de la campagne municipale de l'hiver dernier, 1 milliard d'euros seront investis durant la mandature pour faire de Paris la "capitale de l'innovation", "soit une hausse de 40 % de l'effort financier de la ville dans ce secteur", souligne l'adjoint au maire de Paris chargé de l'Innovation.
"On ne connaît pas la destination précise de ce milliard", s'étonne Jean-François Lamour. "Il s'agit pourtant de 160 millions d'euros par an... Ce projet est construit sur du sable", tonne le député de Paris en soulignant néanmoins qu'il est favorable à "une opposition constructive." Jean-Louis Missika assure que le détail du budget est en cours de réalisation et qu'il "sera établi à l'automne". Le rendez-vous est pris.
Eric Nunès Le Monde
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Le grand Paris, c'est lui ! Ce matin, sur RTL, le Président s'est emparé d'un sujet à la fois très à la mode et très propice à tacler la gauche sur son terrain. L'interview a dévié incidemment sur le sujet, via la ligne A du RER. Saturée depuis des années, elle occupe l'actualité depuis le lancement d'une pétition par des usagers indignés et épuisés. En se penchant généreusement sur le sort de ces 1,1 million de travailleurs « serrés comme des sardines » tous les matins, le chef de l'Etat fait d'une pierre trois coups. D'abord, il montre son attention au quotidien des vrais gens qui prennent le vrai métro, en débloquant des fonds pour construire des rames à un étage. A 38% seulement d'opinions favorables, l'ex-Président bling-bling amateur de yachts opère ainsi sa révolution médiatique en mettant le nez dans les transports en commun... Quitte à le faire remarquer bruyamment, face à Christophe Hondelatte qui ose une saillie ironique : « Ah, j'adore vous entendre parler de choses pratiques ! », s'amuse le journaliste. Réponse cinglante : « Ce qui serait curieux, ce serait que le Président de la République ne s'en mêle pas ! » Ce serait, en réalité, d'autant plus curieux que le sujet permet à la fois de pointer un doigt accusateur sur Jean-Paul Huchon, le président de la Région Ile-de-France, et Bertrand Delanoë, maire de Paris aux ambitions présidentielles.
Ronchon Huchon
Parce qu'à 38% dans les sondages, Nicolas Sarkozy refuse d'être « le seul responsable de ce qui ne va pas en France » : « On peut pas être président de la région, maire de Paris, responsable territorial et puis dire sans arrêt, c'est pas moi, c'est les autres ! » Ah non, ça, on ne peut pas ! Surtout à l'heure où Christian Blanc est chargé d'examiner le projet de Grand Paris et où la droite (à commencer par Roger Karoutchi et Yves Jégo) rêve de modifier les contours électoraux de la région Ile-de-France pour la piquer à la gauche. Lorsque Nicolas Sarkozy déclare benoîtement qu'il y a « un vrai problème de gouvernance » et que « personne ne sait qui décide », il faut donc comprendre que tant qu'il n'aura pas modifié le découpage de la région, ce sera la chienlit. Au cabinet de Jean-Paul Huchon, ce matin, on était sur le pied de guerre. Une conférence de presse a été décidée en urgence dans la journée pour mettre les points sur les i. Il est vrai que ce doit être rageant de se faire ainsi prendre de vitesse par speedy Sarko... Le 10 avril dernier, Huchon avait demandé des mesures d'urgence pour augmenter le nombre de rames du RER A et ouvert des négociations avec la RATP et la SNCF pour trouver des solutions. Evidemment, sans l'appui du ministère des Transports, c'était plus compliqué. Au moins, maintenant, il sait « qui décide » de l'agenda dans sa région.
Anna Borrel Mardi 27 Mai 2008
Marianne2