9 Août 2008
>>>> le manifeste bilingue Agir pour les villes et le territoire
Le manifeste bilingue Agir pour les villes et le territoire est une réaction attendue, courageuse, à l'état des lieux qu'aura permis la trentaine de rencontres bilatérales organisées par l'Ambassade de France et son réseau culturel en Italie en partenariat avec 17 universités italiennes en 2007/2008 sous le titre : « Uni(di)versité : Quels projets pour les villes ? ».
Pourquoi un manifeste ? Pour prendre date, pour accompagner un mouvement, la relance d'un dialogue franco-italien sur les villes en repartant d'une question plus pressante encore, gênante peut-être, mais vitale, adressée à près de deux cents experts, professionnels et élus dont l'agencement des voix et des styles a fait la valeur scientifique et, souhaitons-le, l'impact politique de ces rencontres : qu'est-il urgent de penser et de faire aujourd'hui pour les villes et le territoire, si nous voulons améliorer notre vie collective ?
Uni(di)versité aura produit beaucoup de matière, conférences, débats, articles, synthèses, actes parus ou à paraître, dont les sites www.unidiversite.org et www.france-italia.it donnent un aperçu prometteur. Mais avec ce manifeste qu'il appartient à chacun de continuer à écrire, habitant et usager des villes, un appel est lancé : « laissez-nous un message ! », dans l'espoir d'ouvrir des brèches dans les cadres de pensée et d'actions déjà établis sur les villes, au rythme de ce qu'on y croit encore possible. Cette quatrième édition d'Uni(di)versité s'est développée à sa façon comme une ville : selon une croissance peut-être irraisonnée, mais ouverte, diverse, dans l'illusion constructive que puisse émerger des débats une communauté de pensée sans verser dans les lieux communs, tout en découvrant que les réalités, pour le meilleur et pour le pire, dépassent bien souvent les modèles.
Dépassée la curiosité pour l'action locale, dont les limites face aux problèmes des inégalités et de la criminalité obligent à réactiver aujourd'hui des actions publiques intégrées ? Dépassées les politiques de la ville focalisées sur les banlieues, les centres étant eux aussi des espaces de ségrégation, abandonnés ou surinvestis par les communes ? Dépassée l'opposition centre/périphérie, quand la centralité recule, se disperse pour se reconcentrer en constellations polycentriques ? Dépassée l'image de la ville-monstre dévoratrice d'énergie sur l'autel du consumérisme, quand on reconnaît aux villes une faculté d'agglomération et de renouvellement des systèmes productifs, quand on redécouvre qu'elles peuvent produire aussi de la biodiversité, de la ressource lente accumulée par les processus culturels et éducatifs ? Dépassée la crainte d'une ville télématique, alors que les villes ont toujours été reliées par des réseaux et des systèmes commerciaux, culturels, administratifs dont ne changent actuellement que l'échelle et la vitesse, ouvrant aux particuliers, aux entreprises et aux municipalités des voies accélérées de développement stratégiques et d'échange interrégional et transnational, créant des pôles d'agrégation immatériels et simultanés ? Dépassés aussi certains mots d'ordre, « mobilité », « mixité », dans des villes que l'on traverse sans s'arrêter, dans des cadres de vie « communs» où l'on ne forme pas « communauté », malgré une attention croissante aux espaces publics ? Dépassés les dispositifs de démocratie participative dans les quartiers, si les consultations locales n'ont pas d'effets sur la décision politique, qui se prend ailleurs ? Dépassée l'idée que la ville européenne aurait fait long feu, avec pour seul horizon l'étalement incontrôlé des mégalopoles, quand on revient à des modèles de villes denses, organisées pour accueillir la différence et promouvoir les mobilités douces ?
Des « villes », voilà qu'on passe dans ce manifeste à l'échelle du « territoire », à la ville faite paysage, mais aussi à la question de son découpage administratif, à l'histoire qui l'a fondé et aux nouvelles réalités économiques et environnementales qui obligent à le réviser. D'une logique du « projet », voilà qu'on passe avec ce manifeste à une incitation à «agir », pour proposer peut-être une dimension supplémentaire à la planification : l'appropriation libre, l'interstice et ses fécondités, quand un paysagiste, peut-être plus encore qu'un urbaniste, sait combien de temps il faut à une ville pour pousser, aux abeilles pour y faire leur miel. Peut-être plus aussi qu'un architecte, dont la responsabilité est plus que jamais interpellée, pour produire des espaces vivables et durables, plutôt que spectaculaires et attractifs.
Le programme d'Uni(di)versité s'ordonnait en quatre volets : Confronter les expériences urbaines ; Faire société en ville ; Réinventer les territoires urbains ; Documenter la ville. Les échanges qui ont nourri, traversé ces catégories ou qui en ont fait bouger les lignes, nous ont conduit naturellement à nous concentrer dans ce manifeste sur de nouveaux impératifs. Ordonnant les contributions ici présentées, ils se fondent sur quelques convictions qui nous autorisent à lancer un défi un peu risqué : avec Lefebvre et, peut-être contre Le Corbusier, le constat que la société fait la ville et non l'inverse ; la certitude que l'urbanité longue, sédimentée, est source de créativité globale et non le contraire ; que la ville, dévoreuse ou dispensatrice de bienfaits, est aujourd'hui devenue la scène de la condition humaine : le lieu et l'objet du partage et de l'exclusion, donc de toute politique. A partir de là, qu'aucune politique ne peut être pensée sans référence au territoire, à l'espace où se déploient les relations entre les hommes ; que l'univers habitable ne peut être vraiment vivable sans le sentiment du paysage ; que dans un monde étalonné et déterminé par la mobilité, l'urbanité, c'est à dire faire société, c'est aussi savoir ménager des haltes.
D'où les quatre axes forts orientant ce manifeste : Participer à la ville en tant que citoyens, c'est avoir accès à ses ressources, à ce qui donne plus de prise sur la vie (la décision politique, un bon système de santé), à ce qui élargit la conscience (l'éducation, la culture), à ce qui protège (le logement, les services sociaux). L'optimum de la démocratie découle de cet optimum de la vie urbaine qui rend la vie plus vivable...
Mais aussi : la modernisation des systèmes administratifs qui organisent notre vie collective passe par une bonne adéquation aux territoires. L'exercice de la démocratie doit trouver dans l'espace sa juste échelle pour répondre à la fois à la pression d'un environnement global de plus en plus complexe, et à une demande accrue de proximité et de lisibilité des mécanismes de décision.
Et puis, habiter la ville ne suffit pas. L'asile-hâvre du foyer ou de la cité se double de l'horizon du regard (la sky-line et au-delà), de l'espace plus large des déplacements quotidiens (les lieux de la mobilité), vécu, imaginé, intériorisé : le paysage de la vie, au cœur de l'identité construite par chaque humain, par chaque collectif qui sait souvent mieux que quiconque comment fonder sa propre "urbanité". Penser la ville par le paysage, est-ce ainsi se déprendre de la prétention technicienne à aménager, de la pensée aménageuse?
Enfin, la nouvelle économie urbaine de l'hypermobilité ne garantit qu'une minorité contre la précarité, la perte de temps, le bornage de l'horizon, l'assignation à une place où à un statut, la confiscation de l'existence (transport-boulot), le risque d'une mort absurde (accident de la circulation, réel ou métaphorique), tributs payés au monstre urbain. La civilisation urbaine pourtant offre des parcours balisés (les rues, les routes entre les cités, les cursus dans les institutions de la connaissance) jalonnés de stations ( les temples, les hôpitaux, les marchés, les auberges, les cérémonies...) qui protègent de l'aléa et de la menace du dehors ( la forêt, les pillards, la maladie, la "barbarie"...). L'éloge du pur mouvement est absurde : être mobile, c'est simplement le contraire de l'immobilisme et du confinement, c'est la fluidité garantie par la liberté de la halte, de la sécurité.
Notre ambition avec ce manifeste est que le dialogue engagé entre français et italiens sur les villes, les paysages, les organisations territoriales qui fondent notre histoire, notre diversité et nos réponses aux défis du monde global soit accompagné et soutenu, poursuivi et structuré en vue d'une utilité commune. Qu'à l'heure où se précisent les projets de formation de grands ensembles régionaux, l'Europe, la Méditerranée, les acteurs de la ville de nos deux pays conjoignent leurs efforts et jouent de leurs connivences pour apporter des réponses concrètes aux questions parfois brutales que posent habitants et usagers. Que les principaux objets d'intérêt qui se sont imposées dans le dialogue entre français et italiens soient approfondis à travers quelques programmes de travail et d'échanges ciblés.
Que se poursuive ainsi la réflexion sur les grandes métropoles et leurs territoires, avec en toile de fond les expériences originales et parallèles des deux villes capitales, Rome et Paris, agglomérations exceptionnelles liées par un jumelage qui n'a pas encore tenu toutes ses promesses, au moment où se précisent les débats sur le « Grand Paris » et sur la portée du plan régulateur de grande ampleur conçu pour la ville de Rome.
Que porte ses fruits la curiosité croisée de l'Italie, « jardin de l'Europe », et de la France pour leurs expériences respectives du paysage : l'attention italienne pour les expérimentations menées depuis plus de vingt ans par les paysagistes français déjà fondateurs d' « Ecoles », dont deux représentants emblématiques, Michel Corajoud et Gilles Clément, sont venus participer à nos rencontres ; la conviction française d'une clé, d'une mesure, à retrouver dans la grâce (mais aussi la détérioration) du paysage italien dans lequel urbanité diffuse et mitage de l'espace se font aujourd'hui concurrence. C'est d'ailleurs le propos d'un paysagiste italien, Franco Zagari - praticien et excellent connaisseur du terrain urbain européen - qui nous livre, de la manière la plus spontanée et la mieux construite, la capacité de l'approche paysagiste à réconcilier les éléments épars et fragmentés de l'expérience et de la réalité urbaines.
Que soit soulevée ensemble, de part et d'autres des Alpes, la nouvelle question sociale que pose la ségrégation inscrite dans l'espace : là aussi, recherche de « bonnes pratiques » et donc curiosité réciproque, en Italie pour les « politiques de la ville » à la française centrées sur les quartiers difficiles, en France pour les expériences de « processus participatifs » dans les banlieues romaines ou turinoises, les « periferie » où la question sociale paraît moins ethnicisée ; sur les liens entre politiques de logement social (mixité?), répartition de la pauvreté, installations de communautés immigrés : sur ces sujets aussi les échanges franco-italiens montrent que les schémas sont dépassés par la réalité et ne sont pas univoques (en Italie, immigrés concentrés dans les centres, moindre ségrégation spatiale par attachement persistant à la cellule familiale, répartition plus diffuse de la pauvreté...) et que le couple centre-périphérie est devenue obsolète. La sociologie urbaine se sera imposée à travers nos échanges comme le domaine dans lequel l'approche comparatiste est à la fois la plus aboutie et la mieux partagée entre italiens et français, bien souvent engagés dans des coopérations fécondes : elle ouvre un éclairage inédit sur la réalité des disparités sociales dans nos espaces urbains respectifs.
Que des formes originales de développement local en Italie et d'expérimentation administrative en France continuent de nourrir une réflexion partagée sur la gouvernance territoriale et les processus participatifs. Les échanges qui se sont tenus notamment à Bologne ont montré combien l'Italie, pays polycentrique avec des villes moyennes à fort potentiel de rayonnement, et la France où les expériences se définissent encore par rapport au centre s'éclairent mutuellement dans leur recherche de « la bonne échelle » de gouvernance territoriale.
Que par delà leurs affinités culturelles, économiques et sociales aussi réelles que trompeuses, Gênes, Naples, Marseille, mais aussi Bari et Palerme assument pleinement, avec leurs arrière-pays respectifs et en liaison avec Barcelone, Tanger ou Beyrouth leur rôle de villes « transnationales » et de points d'ancrage du grand projet euroméditerranéen. Les partenariats entre grandes villes méditerranéennes, tant à travers le développement de recherches que par le croisement des volontés politiques, constituent un des grands chantiers ouverts à nos deux pays.
Enfin, que l'architecture trouve toute sa place dans l'environnement, son rôle au cœur de nos choix de politique urbaine. Si les architectes en tant que tels nous auront un peu fait défaut, ils auront été très présents dans le discours des urbanistes et des paysagistes, et le dialogue franco-italien aura témoigné de l'importance décisive des différences de « culture architecturale », et donc de la manière dont la discipline est enseignée dans chaque pays : plus ou moins grande attention accordée aux éléments de contexte (patrimoniaux, sociaux, environnementaux) dans les cursus, plus ou moins grande continuité avec les métiers du bâtiment, avec le monde des ingénieurs ou celui des beaux arts, autant de variations qui ne sont pas sans effet sur les décisions politiques qui déterminent l'environnement bâti (relations avec les collectivités locales, les entreprises) et, en conséquence, « l'ambiance » de nos villes. Des échanges encore plus nourris entre architectes français et italiens, acteurs de premier plan de la transformation urbaine mondiale, voire la confrontation avec leurs partenaires naturels, élus, ingénieurs, entreprises, s'imposeront avec évidence.
Ce manifeste n'épuise évidemment pas le champ des intérêts croisés et le potentiel d'échange qui se sont manifestés entre italiens et français. Nous continuerons donc à nous rencontrer et à travailler ensemble, de manière ciblée, sur des problèmes concrets ou des questions de société suscitées par l'actualité. Décidons de voir la ville non comme une menace, mais comme une concentration d'opportunités sous l'impulsion de questions qu'on ne fait bien souvent que reposer dans l'urgence, sous la pression des faits, comme ces émeutes de la faim qui refont surface dans certaines mégacités du Sud. L'enjeu est bien de croiser les expertises scientifiques et universitaires italiennes et françaises, de les ouvrir aussi à des tiers, pour les mettre au service du grand public et des décideurs politiques. Un manifeste se tient forcément en amont de la mesure concrète, mais Agir pour les villes et le territoire illustre une volonté partagée, celle d'être utile et d'adresser un signal, à tous ceux qui ont quelque influence sur le destin et la forme de nos villes, en Italie, en France, et au-delà. Le défi est lancé...Agir !
Bruno Aubert, Florence Ferran, Stefano Panunzi
[trentaine de rencontres bilatérales organisées par l'Ambassade de France et son réseau culturel en Italie en partenariat avec 17 universités italiennes en 2007/2008 sous le titre : « Uni(di)versité : Quels projets pour les villes ? ]
L'Ufficio Culturale dell'Ambasciata di Francia in Italia e l'Ordine degli Architetti P.P.C. di Roma e provincia, in partnership con Euphon Communication spa, sono lieti di invitarla all'evento
Agir pour les villes et le territoire
Manifesto italo-francese
Incontro-dibattito condotto da Corrado Augias
Il dibattito si svilupperà a partire dalle linee guida del manifesto "Agir pour les villes e le territoire", che è uno dei risultati del ciclo di incontri italo-francese Uni(di)versité:
- Privilegi ed esclusioni: l'accessibilità alle risorse della città
- La megalopoli divora il senso dello spazio: governare e rifondare i territori
- Il senso comune del paesaggio: io vivo qui
- Auto divine e strade infernali: elogio e preghiera al dio della mobilità
Questo incontro e la presentazione del manifesto saranno il primo passo per il lancio di appuntamenti regolari per aggregare e scambiare le migliori risorse delle nostre esperienze urbane, in una arena dove la cronaca e la scienza si scontreranno a viso aperto.
Interverranno al dibattito tra gli altri:
Arnaldo Bagnasco, sociologo, Università degli studi di Torino - Marco Cremaschi, urbanista, Università di Roma TRE - Gennaro Farina, architetto, presidente della Polis, laboratorio di progettazione urbana e ambientale - Jacques Levy, geografo, Ecole polytechnique de Lausanne - Pierre Mansat, assessore presso il sindaco di Parigi alle relazioni con le periferie di Paris Métropole - Enzo Mingione, sociologo, Facoltà di Milano Bicocca - Roberta Morelli, docente di Storia Economica, Università di Roma Tor Vergata - Marco Oberti, sociologo, Institut d'Etudes Politiques de Paris - Stefano Panunzi, architetto, Università del Molise - Elio Piroddi, professore di architettura, Università La Sapienza - Paolo Quintili, professore di storia della filosofia, Università di Roma Tor Vergata - Italo Rota, architetto, Milano - Isaia Sales, consigliere economico del Presidente della Regione Campania - Amedeo Schiattarella, architetto, Presidente dell'Ordine degli Architetti P.P.C. di Roma e Provincia - Luciano Vandelli, giurista, Università di Bologna.