8 Mai 2008
Le caractère politique du débat sur le Grand Paris ne fait aucun doute. Certes, ce débat concerne l'aménagement et le développement d'un territoire, mais ce n'est pas pour rien que les questions soulevées portent le plus souvent sur les institutions, donc sur la répartition et l'exercice des pouvoirs.
Philippe Dallier, Sénateur de la Seine Saint Denis, dans la présentation de son rapport pour l'Observatoire de la Décentralisation, explique clairement que, face à l'impéritie du Conseil Régional et à certains de ses propres amis politiques jugés trop timides, il fait, lui, des propositions dynamiques et hardies, s'abritant derrière l'examen d'une douzaine de scénarios. Le Conseil Régional répond, au travers d'une Commission ad hoc, par d'autres scenarios mettant en évidence qu'un renforcement et une réorientation des outils de la Région et des instances de concertation et de coopération existantes répond bien aux problèmes soulevés. Le Président Sarkozy n'a d'ailleurs jamais fait mystère du caractère politique du sujet qu'il a lancé au moment de sa campagne présidentielle. La création d'un secrétaire d'Etat chargé de la Région Capitale montre bien sa volonté d'intervenir, au-delà des lois de décentralisation. Ce débat politique mérite en tant que tel d'être éclairé par des analyses pertinentes sur les évolutions de ce territoire et sur ses problèmes actuels et futurs et Il mériterait aussi d'être bien expliqué aux citoyens.
Comme il d'agit d'aménagement du territoire et de développement économique, les professionnels de l'urbain (Architectes, ingénieurs, sociologues, politologues spécialisés, géographes, paysagistes, économistes territoriaux, développeurs urbains...) sont naturellement concernés par ce débat. Un dossier réalisé par Jean Marc Offner, directeur du Laboratoire Techniques, territoires et sociétés et professeur à l'Ecole des Ponts et Chaussées, intitulé "le Grand Paris" et publié à la Documentation Française a déjà réuni bon nombre de d'analyses et de pistes de travail émanant de plusieurs d'entre eux. De même Paul Chemetov et Frédéric Gilli avaient effectué, à la demande de la DIACT (Délégation Interministérielle à l'Aménagement et à la Compétitivité des Territoires), une remarquable étude sur l'espace central francilien
Dans ce contexte bien nourri, l'Etat, via le Ministère de la Culture et de la Communication, a décidé de lancer une ambitieuse consultation internationale de Recherche et Développement (R&D) "pour l'avenir du Paris métropolitain"; Il s'agit de procéder à l'élaboration collective d'un "diagnostic prospectif, urbanistique et paysager, sur le grand Paris à l'horizon de vingt, trente, voire quarante ans".
"L'Etat va financer le travail de dix équipes pluridisciplinaires placées chacune sous la responsabilité d'un architecte-urbaniste mandataire du groupement. Sous la forme d'ateliers de recherche, ces dix équipes sélectionnées réuniront les compétences les plus appropriées pour la mise en oeuvre des travaux d'analyse et de stratégie relatifs à la «la métropole du XXIème siècle de l'après-Kyoto» d'une part, au «diagnostic prospectif de l'agglomération parisienne» d'autre part". Quant aux productions attendues, il est clairement spécifié que leur dimension communication (panneaux, maquettes, simulations visuelles, films...) devra être privilégiée de manière à pouvoir organiser des expositions grand public sur les résultats de ces travaux.
Beaucoup de grands noms de l'architecture se sont empressés de répondre à cette consultation, et certains ont publiquement exprimé leur satisfaction :"Il est positif que, pour la première fois, la question de l'avenir architectural et urbain de cette région fasse l'objet d'un grand débat politique national... Il s'agit de mettre en avant des stratégies urbanistiques et de les mettre en accord avec une évolution de la gouvernance" Cet extrait d'une interview (L'Humanité 1er Avril 2008) d'un architecte aussi talentueux que Jean Nouvel est tout à fait significative : Ainsi donc, tous les débats conduits à propos du SDRIF et du PLU (Plan Local d'Urbanisme) de Paris compteraient pour du beurre ; en effet, ce sont des agences d'urbanisme , pourtant réputées internationalement comme l'IAURIF et l'APUR, qui ont nourri les débats politiques et non de grands architectes consultés par l'Etat. S'il s'agit de mettre en cohérence stratégies urbanistiques et évolution de la gouvernance, de quel type de gouvernance s'agit il puisque le débat à ce sujet est bien loin d'être tranché ? Celui souhaité par l'Etat, ordonnateur de la commande ? A moins qu'on ne suppose que la gouvernance devra s'aligner sur les stratégies urbanistiques définies par de grands architectes retrouvant ainsi leur rôle démiurgique qu'ils souhaitent parfois avoir (comme Roland Castro s'estimant le père du concept de Grand Paris).
L'accent mis dans cette consultation sur la dimension communication en révèle bien l'aspect politique : Il s'agit de montrer aux médias et au bon peuple qu'il existe de merveilleux projets à développer à Paris, et dans la zone centrale de l'Ile de France, que les élus de gauche parisiens et franciliens ne peuvent ni les concevoir ni les conduire, et qu'il faut que l'Etat reprenne la main pour redonner à ce territoire une ambition internationale dans le contexte de la globalisation. Encore faudrait-il que la commande publique soit exemplaire pour montrer que l'Etat a bien pris la dimension du problème !
Malheureusement, cette consultation semble réductrice lorsqu'elle s'attache à définir la Métropole du XXIème siècle au travers d'un prisme spatial mâtiné d'un peu de développement durable. Comment négliger notamment dans le cahier des charges la dimension économique, les problématiques d'exclusion et de ghettoïsation, les mécanismes de production de la ville, le multiculturalisme et les questions liées à l'évolution des modes de vie et aux appropriations citoyennes ?
Ainsi donc, Il faudrait donc de grands gestes architecturaux (financés par les collectivités territoriales ?) pour redonner du lustre à la Région capitale. L'architecte urbaniste devrait être le metteur en scène d'une recherche multidisciplinaire sur la prospective de la métropolisation d'un pays développé qui s'appelle le France, dans le contexte d'une mondialisation financière obligée de se redéfinir compte tenu de la crise actuelle, d'une géopolitique en plein bouleversement, et d'une Europe en panne de projet. Est-ce possible ? Est-ce bien sérieux ? D'autres grands architectes-urbanistes comme Christian Devillers ou Rem Koolhas ont après examen fait le choix de ne pas répondre ou ont exprimé publiquement des analyses globales de la problématique du Grand Paris démontrant de fait l'inadéquation de la consultation évoquée.
Oui, l'avenir de la Région parisienne mérite débat national, donc débat citoyen et républicain; oui, le statu quo et le fil de l'eau ne sont pas satisfaisants ; mais il n'est pas sur qu'il faille privilégier pour résoudre un problème politique aussi complexe l'approche purement institutionnelle. Il est évident qu'avant de prendre les décisions politiques (et non politiciennes) qui s'imposent, il convient de réfléchir de manière prospective à toutes les dimensions du sujet. Les professionnels de l'urbain ont évidemment toute leur place dans cette réflexion ; les nombreux travaux déjà accomplis montrent la qualité de leurs apports ; encore faut il s'en servir ! La France est aujourd'hui réputée dans le monde pour la qualité de ses professionnels, pas seulement des architectes et des paysagistes, mais aussi des ingénieurs, des économistes, des géographes, des sociologues, des managers de grands projets. Il y a plusieurs formes d'articulations interactives possibles à structurer entre le débat politique à dominante institutionnel et les travaux prospectifs sur l'aménagement, le développement et l'organisation de cette grande métropole mondiale autour de Paris. Les professionnels pourraient se mobiliser rapidement et collectivement (de manière effectivement interdisciplinaire) pour proposer une forme moderne et novatrice du débat politique sur l'aménagement et le développement des grands territoires métropolitains, avec deux exigences :
- Faire en sorte que tous les échelons actuels de notre écheveau institutionnel y soient correctement et démocratiquement associés
- Répondre au défi d'une participation effective des citoyens, des associations et des forces économiques à l'élaboration d'une vision à long terme d'un problème aussi complexe que celui du devenir d'une région métropolitaine mondiale.
Le Conseil régional s'y est essayé à l'occasion de l'élaboration du SDRIF. S'il faut aller plus loin et faire encore mieux, pourquoi pas ?
On ne peut qu'espérer aussi que le secrétaire d'Etat, Christian Blanc, qui a animé naguère un bureau d'études urbaines, saura rectifier le tir et mobiliser les énergies. Nul doute que les professionnels sauront y répondre.
Robert Spizzichino est directeur administrateur de Partenaires Développement et ancien président de l'ACAD (Association des Consultants en Aménagement et en Développement durable du Territoire)