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Pierre Mansat et les Alternatives

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Affaire Depardieu : « Monsieur le président, vos paroles dénient à toutes les femmes victimes de violence le droit à être entendues et crues »

Affaire Depardieu : « Monsieur le président, vos paroles dénient à toutes les femmes victimes de violence le droit à être entendues et crues »
TRIBUNE

#MeTooMedia
Monsieur le président de la République, vous avez souhaité faire de votre double quinquennat celui de la lutte contre les violences faites aux femmes. Vous vous félicitez d’être inattaquable sur ce sujet. Grande cause de vos quinquennats ? Il s’agit d’une posture politique, rien de plus. Des mots vides de sens pour toutes les victimes, et pour toutes les personnes engagées dans cette lutte. Vos propos dans l’émission « C à vous », le 20 décembre, témoignent de votre désintérêt pour la cause et d’une totale ignorance du champ des violences sexistes et sexuelles.
Pour vous justifier, vous invoquez la présomption d’innocence… comme si l’innocence primait sur la présomption. Un présumé innocent n’est pas nécessairement un innocent. C’est un innocent présumé, ni plus, ni moins. Gérard Depardieu est mis en examen depuis 2020. Cela signifie que des indices graves et concordants ont été relevés par le juge d’instruction. Pour rappel, trois plaintes ont été déposées : une pour agression sexuelle, deux pour viols, dont une non prescrite.
Que faites-vous de la présomption d’innocence des plaignantes ? Une victime a tout à perdre à porter plainte, surtout quand le mis en cause est connu et puissant. Elle perd son anonymat, sa tranquillité d’esprit, son emploi souvent, des amis – voire sa famille –, beaucoup d’argent consacré aux frais de soins et avocats. Près de 98 % des victimes disent vrai, devons-nous le rappeler ?
L’acteur populaire plutôt que la victime inconnue
La présomption d’innocence est un principe fondateur du droit pénal français. Elle n’empêche ni les victimes de parler, ni les journalistes d’enquêter. La presse informe la société et permet le recueil de la parole des victimes qui sont enfin entendues et considérées. Nul ne doit renier sa capacité à réfléchir sous couvert de présomption d’innocence.
De Gérard Depardieu, vous avez dit : « Il rend fière la France. » Cinq mots qui nous engagent tous contre notre gré et signent une impunité française, celle d’une idole, d’un monstre sacré auquel on pardonne tout. Depardieu n’a pas besoin de votre soutien présidentiel.
Les victimes, en revanche, auraient mérité que leur courage soit salué. Au lieu de cela, vous avez préféré soutenir l’acteur populaire plutôt que la victime inconnue, sacrifiée sur le champ de votre admiration pour cet « immense acteur ». Vous avez fait référence au reportage de « Complément d’enquête » que vous n’avez pas vu.
Une société permissive et lâche
Les propos sexistes intolérables de Depardieu en Corée du Nord vous auraient peut-être convaincu de l’abjection de son langage, de l’outrance du personnage. Pour rappel, l’outrage sexiste est un délit, et le viol est un crime, monsieur le président.
Au lieu de cela, vous confortez les préjugés sexistes en faisant de l’agresseur la victime qu’on doit laisser tranquille (et son génie avec). Les réelles victimes sont renvoyées à leur souffrance, au déni de la société, au silence, à une justice qui condamne exceptionnellement les violeurs.
Le silence sur les plateaux de tournage et dans le milieu du cinéma a permis à Depardieu d’agresser verbalement et physiquement en toute impunité des femmes – au vu et su de tous – pendant des dizaines d’années. Le silence a secrètement validé les attitudes honteuses et délictueuses du monstre sacré. Le silence imposé aux victimes par une société permissive et lâche a prolongé cet état de fait.
Le sujet n’est pas binaire
Aujourd’hui, ce sont vos paroles de président qui dénient aux plaignantes et à toutes les femmes victimes de violence le droit à être entendues et crues. A tous les hommes aussi, car certains subissent des violences sexuelles, enfants ou adultes. Le sujet n’est pas binaire. Nous voici donc accusés de mener une chasse à l’homme. Quelle inversion de la culpabilité ! Lui, le chasseur toujours à la recherche d’une proie facile, devient la victime par grâce présidentielle.
En décembre 2021, vous nous aviez accusés dans l’affaire Hulot en utilisant le terme « société de l’inquisition ». Vous veniez de parler avec « Nicolas », qui vous avait assuré de son innocence les yeux dans les yeux. Il y a quelques jours, c’est avec « Gérard » que vous vous êtes entretenu. On le sait, il est toujours difficile d’accepter qu’une personne connue et aimée puisse se révéler sous un autre visage, celui d’une personne amorale et avilissante.
C’est le « en même temps » que vous n’aviez pas vu venir. Peut-on en même temps être mis en examen et conserver sa Légion d’honneur ? Vous avez déjà donné une réponse en 2017 en engageant les démarches pour retirer la sienne à Harvey Weinstein alors qu’il n’était pas encore jugé. Pourquoi protéger Depardieu ? Par préférence nationale ?
La dignité, ne la cherchez plus chez Depardieu
« Honneur et Patrie » : c’est la devise de la Légion d’honneur. La France n’a plus la préférence de Depardieu, exilé tantôt en Russie, tantôt en Belgique. Quant à son honneur, il semble s’être exilé lui aussi. Nous savons officiellement depuis 2018 et le dépôt de plainte de Charlotte Arnould pour viols que l’honneur de Depardieu est entaché de forts soupçons criminels.
L’émission « Complément d’enquête » aura convaincu les plus récalcitrants. Si la Légion d’honneur n’est pas un ordre moral, de quoi est-elle le nom ? Que vient-elle récompenser ? La dignité, monsieur le président, ne la cherchez plus chez Depardieu. Elle s’est réfugiée chez toutes les victimes qui osent porter plainte, qui risquent tout pour reconquérir leur honneur perdu dans un viol, une agression, une remarque sexiste outrageante.
La culture du viol au plus haut sommet de l’Etat
Mais comment les victimes de Depardieu peuvent-elles désormais réagir quand le président de la République, qui incarne l’autorité de l’Etat, nie leur parole, leur présomption d’innocence, leur souffrance ? Comment la grande chancellerie de la Légion d’honneur peut-elle réfléchir en toute impartialité à une procédure disciplinaire quand elle sait d’avance que le grand maître de l’ordre (que vous êtes) la refuse ?
Comment la justice peut-elle faire son travail dans l’affaire Depardieu quand le président, pourtant garant de son indépendance, interfère de la sorte ? Vous auriez pu entrer dans l’histoire comme le président ayant fait durablement avancer la cause des victimes de violences conjugales et de violences sexistes et sexuelles. A contrario, vous avez – par vos mots – validé la culture du viol au plus haut sommet de l’Etat.
Premiers signataires : Emmanuelle Dancourt, présidente et cofondatrice de MeTooMedia ; Elodie Jauneau, vice-présidente de MeTooMedia ; Florent Pommier, trésorier de MeTooMedia ; Muriel Réus, vice-présidente et cofondatrice de MeTooMedia ; Cécile Thimoreau, secrétaire générale de MeTooMedia.

 

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