Non, l’interdiction de l’abaya à l’école n’est pas une concession faite à l’extrême droite. C’est même le contraire. Si ces nouvelles règles sont adossées à l’esprit et la lettre de la loi de 2004 qui proscrit les signes religieux ostensibles, alors il s’agit d’une nécessaire clarification et d’une utile adaptation. Il faut donc revenir à cette loi qui fait maintenant consensus et qu’aucun grand parti (pas même La France insoumise) n’entend remettre en question. Cette loi a été votée conjointement par les socialistes et le RPR (ancêtre gaulliste de nos LR contemporains). L’UDF et les communistes s’étaient prononcés contre. Marie-George Buffet, alors secrétaire nationale du PCF, dit aujourd’hui regretter de ne pas avoir voté pour ce texte et en reconnaît la pertinence à l’usage. Le Front national n’était, de son côté, pas favorable à cette législation jugée «antireligieuse» puisqu’elle proscrivait, aussi, les grosses croix portées autour du cou.
Des consignes claires
En 2004, nous étions quinze ans après l’affaire des lycéennes voilées de Creil qui avaient défrayé la chronique et divisé tous les bords politiques. Les chefs d’établissements de quartiers sensibles, de plus en plus souvent confrontés au prosélytisme d’un islam rigoriste et politique, réclamaient des consignes claires. Jacques Chirac avait alors confié à Bernard Stasi (un centriste qui avait écrit quelques années plus tôt l’Immigration, une chance pour la France (1)) le soin de réunir une commission transpartisane pour déterminer dans quelle mesure il était pertinent d’interdire les signes religieux à l’école. Ainsi, il a été décidé à l’époque que le voile islamique, la kippa ou une grosse croix, ne pouvaient pas être admis dans un établissement scolaire. Les médailles, avec une petite croix, une main de Fatma ou une étoile de David, étaient autorisées.
La loi de 2004 est respectée
A l’époque, tous ceux qui étaient opposés à cette loi dénonçaient ces distinctions d’accessoiristes et expliquaient que le texte serait inapplicable. En réalité, la distinction entre ce qui est un bijou avec une signification religieuse et un attribut «ostensible» d’une appartenance revendiquée s’est très bien faite. Et, globalement, la loi de 2004 est respectée. Nul doute que si en 2004 la mode des prosélytes religieux avait été à l’abaya, cet habit aurait fait partie de la liste des interdits. L’interdire aujourd’hui, c’est donc compléter la loi de 2004. Et si les insoumis et certains écologistes estiment que cette loi n’est pas juste, ils doivent alors, en cohérence, prévoir dans leur programme l’abrogation de la loi que le socialiste Jean-Luc Mélenchon avait approuvée à l’époque.
Une concession à l’extrême droite eût été d’étendre ces interdits à tout l’espace public et aux adultes. Ce n’est pas le cas. Et même si, depuis le passage de Florian Philippot au FN, devenu RN, ce parti se considère comme «laïque», l’extrême droite dévoie en réalité la laïcité en lui apportant un contenu identitaire. Ce n’est pas parce que l’extrême droite tente un tel hold-up sur ces sujets que la gauche doit en rabattre sur l’une de ses raisons d’être : l’émancipation individuelle et le recul de l’influence rétrograde des religions.
(1) Editions Robert Laffont, 1992.