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Pierre Mansat et les Alternatives

Luttes émancipatrices,recherche du forum politico/social pour des alternatives,luttes urbaines #Droit à la Ville", #Paris #GrandParis,enjeux de la métropolisation,accès aux Archives publiques par Pierre Mansat,auteur‼️Ma vie rouge. Meutre au Grand Paris‼️[PUG]Association Josette & Maurice #Audin>bénevole Secours Populaire>Comité Laghouat-France>#Mumia #INTA

In memoriam Jean-Louis Cohen, une nécrologie d'Anne Kockelkorn

In memoriam Jean-Louis Cohen (1949-2023)

Une nécrologie d'Anne Kockelkorn

Publié en allemand sur archplus.net, traduit avec DeepL

Au milieu des guerres de tranchées idéologiques des débats sur l'architecture, deux questions taraudaient le jeune Jean-Louis Cohen, âgé de 20 ans, dans le Paris des années 1970 : D'une part, comment surmonter la séparation entre l'architecture et la science et comment reconnecter l'enseignement français de l'architecture à l'université après la dissolution du département d'architecture de l'École de Beaux-Arts. D'autre part, le jeune intellectuel se demandait comment le levier social de l'architecture naissait de la résonance entre le savoir, la vision politique et la créativité du projet ; un thème qui fut également débattu à Grenoble en 1974 lors du colloque Pour un Urbanisme... coorganisé par Cohen. Ces deux questions sont étroitement liées à la biographie de Cohen et à l'histoire européenne du 20e siècle. Ses parents étaient des résistants* de la Résistance française et des communistes* convaincus : Sa mère, titulaire d'un doctorat en chimie, a dû collaborer à des projets de recherche expérimentaux à Auschwitz et a travaillé après la guerre à l'université parisienne d'Orsay. Son père a survécu à la guerre mondiale sans être arrêté, a été correspondant à Moscou du magazine communiste Humanité après la guerre et rédacteur en chef de la revue La nouvelle critique de 1966 à 1980. La production culturelle, la critique sociale et la croyance en une émancipation sociale par la science étaient étroitement liées dans le foyer parental de Cohen. L'image que ce milieu avait de lui-même était marquée par la force du parti communiste en France et de la banlieue parisienne : "J'ai donc grandi dans ce culte de la science et de l'engagement politique, avec le sentiment fort de faire partie d'une minorité d'opposition plutôt que d'une minorité persécutée", expliquait-il dans une interview publiée en 2013 dans la revue Urbanisme : "Je suis né dans un milieu dont la religion familiale était basée sur les deux piliers que sont la science et la révolution "1.

Ce contexte est utile pour situer la profondeur des travaux de recherche ultérieurs de cet historien de l'architecture renommé. Il s'agit notamment du projet d'exposition et de publication Architecture in Uniform, inauguré en 2011 au CCA, dans lequel Cohen a étudié la fonction de l'architecture et des stratégies d'urbanisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Cohen s'est ici particulièrement concentré sur les bâtiments industriels liés à la guerre et sur l'influence de l'innovation technique sur le triomphe ultérieur du modernisme dans l'après-guerre. La ville de Paris, la construction de logements français et le développement urbain de l'agglomération parisienne sont également déterminants pour la pensée de Cohen, qui a toujours considéré l'architecture comme historiquement et géographiquement située. L'importance de ce contexte politique et géographique est notamment illustrée par le projet d'exposition et de publication Des fortifs au périf, Paris : les seuils de la ville, développé en collaboration avec André Lortie et paru en 1992. Le thème en était les anachronismes et les contradictions du développement urbain des quartiers périphériques et des limites de la ville de Paris, depuis les remparts de Thierry (1840-44) jusqu'au périphérique parisien (1954-73). Cohen a vécu de première main la réalité de la transformation urbaine de part et d'autre des frontières de la ville : ses parents habitaient dans un logement social loué par la mère de Cohen à partir de 1938 dans le 13e arrondissement ; alors qu'il était étudiant, il s'est installé dans le périmètre des rénovations urbaines de la place d'Italie, théâtre de vastes processus de gentrification, entre autres par le déplacement de ménages ouvriers vers la banlieue. L'architecture a joué un rôle au mieux ambivalent dans ces processus de modernisation ; pourtant, les architectes* pratiquants de l'époque, qui travaillaient en étroite collaboration avec les municipalités communistes de banlieue - comme Jean Renaudie (1925-1981) ou Paul Chemetov, né en 1928 -, considéraient le projet comme un instrument pour des projets de société alternatifs de redistribution. Jean-Louis Cohen a connu très tôt ces protagonistes* de la scène française, les amitiés de longue date ont notamment abouti à l'exposition et à la publication Une architecture de l'engagement : l'AUA 1960-1985, inaugurée en 2015 avec Vanessa Grossman.

Dans ce contexte, il est d'autant plus impressionnant de constater que le jeune historien Cohen ne s'est justement pas laissé aller à l'exigence de fidélité à la ligne des dogmes esthétiques et politiques. Parlant couramment cinq langues européennes, il s'est rendu au début des années 1970 chez Manfredo Tafuri à Venise, chez James Stirling à l'AA de Londres et à Moscou en 1972 pour rencontrer les survivants de l'avant-garde soviétique ; il a reçu les théories d'Aldo Rossi avec la même curiosité que les analyses urbaines de Robert Krier. Diplômé de l'École Spéciale d'Architecture en 1973, il commence à travailler à Paris dans les institutions de recherche en architecture existantes, qui dépendent tour à tour des ministères de la Culture et de l'Environnement, et obtient un poste au SRA, Secrétariat de la recherche architecturale, à partir de 1979. La même année, le Centre George Pompidou inaugure l'exposition Paris-Moscou 1900-1930, dont le jeune homme d'à peine 30 ans est le commissaire de la section architecture. En 1985, il a soutenu une thèse de doctorat sur l'architecte français André Lurçat sous la direction de l'historien de l'art Hubert Damisch à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales. Le choix de Lurçat, dont l'œuvre est marquée par l'ambivalence entre le constructivisme soviétique et le style Beaux-Arts stalinien, est caractéristique de l'ouverture d'esprit de Cohen. Parallèlement, il s'est familiarisé avec une histoire de l'art ancrée dans la philosophie structuraliste et la psychanalyse auprès de Damisch.

Cohen a conservé jusqu'à la fin la combinaison de l'exposition et de la publication comme instruments stratégiquement choisis pour la production et la transmission du savoir : D'une part, il s'intéressait à la connexion avec un public plus large, d'autre part, il considérait l'exposition comme un média qui, par l'expérience spatiale des pièces exposées, permettait de combler le fossé entre la recherche et la création architecturale.

Son savoir encyclopédique l'a profilé à partir des années 1990 comme un intellectuel de renommée internationale, qui a enseigné à partir de 1994 à New York à l'Institute for Fine Arts, et à partir de 1996 à l'Institut d'Urbanisme fondé par Pierre Merlin. Son influence sur l'institutionnalisation de la recherche architecturale française a été centrale. Premièrement, il a soutenu de manière décisive l'établissement de programmes de doctorat pour les architectes* et la création de laboratoires de recherche dans les écoles d'architecture, dont les 41 thèses qu'il a lui-même dirigées (auxquelles s'ajoutent 25 autres à l'Institute for Fine Arts de New York). Deuxièmement, il a été chargé entre 1997 et 2003 de la création du musée d'architecture Cité de l'architecture et du patrimoine, ouvert en 2007, et a posé ici les bases de l'orientation internationale et urbaine de cette importante institution.

"Mon ami, c'est toujours un plaisir de t'écouter", l'a salué l'urbaniste et historien Bruno Fortier, de deux ans son aîné, après une conférence donnée en 2015 au Collège de France sur l'influence de l'américanisme dans l'Union soviétique préstalinienne. Le brio de son savoir résidait notamment dans sa capacité à lire presque tout contexte européen à travers son ailleurs : Dans sa vaste liste de publications, des références transnationales apparaissent régulièrement, par exemple entre la France et ses colonies, la France et l'Allemagne, ou les États-Unis et l'Union soviétique. Cohen incarnait ainsi une histoire de l'architecture historiquement informée, qui suivait la tendance à la démythification, dont la profondeur reposait sur des recherches précises dans les archives et dont l'engagement politique était marqué par une ouverture pluraliste. Des lauréats du prix Pritzker comme Paulo Mendes da Rocha ou Frank Gehry lui ont confié leur œuvre parce qu'il pouvait donner à leur création une place et un cadre appropriés. Avec lui, c'est aussi un siècle de connaissance de l'histoire de l'architecture qui disparaît. Cohen est décédé le 7 août 2023 à Chassiers en Ardèche.


 


 

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