8 Juillet 2021
Monsieur Jean Castex, Premier Ministre.
Hôtel de Matignon,
57 rue de Varenne, 75700, Paris.
Paris, le 7 juillet 2021.
Objet : Accès aux archives publiques - appel à réécrire l'article 19 du projet de loi PATR
Monsieur le Premier Ministre,
Depuis plusieurs semaines nos assemblées respectives discutent du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, et en particulier de son article 19 visant à réformer le droit d’accès aux archives. Cet article a suscité au sein du Parlement, dans la communauté scientifique et chez les archivistes une très vive inquiétude dans la mesure où il emporte une restriction du droit d’accès aux archives.
Jusqu'à présent, le cadre de la loi de 2008 sur la communication des archives publiques organisait l’accès à ces documents « secret-défense » selon un principe de déclassification automatique après 50 ans, sauf dans le cas où leur publicité constituait une grave menace pour la sécurité du pays. Cependant, force est de constater que ce droit a été très largement amputé par des freins administratifs, privant les historiens de précieuses ressources.
Afin de contester cette gestion « administrative » de l’accès aux archives, un recours auprès du Conseil d’État ayant pour objet l’application du texte règlementaire IGI 1300, qui empêche la déclassification automatique des archives de plus de 50 ans, a été formulé par les associations d’archivistes, d’historiens et de juristes. Dans ses conclusions, l’arrêt du Conseil d’État du 2 juillet 2021 a déclaré illégale et annulé la procédure de déclassification des archives « secret-défense » de plus de cinquante ans. Ces archives redeviennent donc communicables de plein droit.
Aussi, nous considérons qu’il n'est plus possible de poursuivre l'examen de l'article 19 du projet de loi relatif à la Prévention d'Actes de Terrorisme et au Renseignement comme si de rien n’était. La décision du Conseil d’État donne, en effet, une tout autre perspective à cet article. Nul ne peut plus nier qu'il a pour seul et unique objet d'allonger les délais actuels de communication des archives publiques et qu'il n'est, en aucun cas et sur aucun point, la mise en œuvre d'une politique forte d'ouverture. Au contraire, l’article 19 tel qu’il est rédigé acte la fermeture sans limite de durée de la majeure part des archives des services de renseignement, dès lors que toutes les archives qui gardent trace des actions de ces services révèlent d’une manière ou d'une autre leurs procédures opérationnelles ou leurs capacités techniques.
Monsieur le Premier Ministre, les archives n'appartiennent pas aux seules administrations qui les produisent. Elles sont le bien commun de la nation. Si certaines archives doivent rester inaccessibles pendant longtemps, nous demandons un meilleur encadrement de ces cas exceptionnels. Devant ce constat, et devant le risque que ferait peser une telle législation sur notre histoire, nous, parlementaires, nous vous demandons, Monsieur le Premier Ministre, de réécrire l'article 19 du projet de loi PATR.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, nos sincères salutations.
Les signataires :
Sébastien Jumel, député de Seine-Maritime ;
Eliane Assassi, sénatrice de la Seine-Saint-Denis;
Ugo Bernalicis, député du Nord ;
Marie-George Buffet, députée de la Seine-Saint-Denis ;
Emilie Cariou, députée de la Meuse ;
Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère ;
Hubert Julien-Laferrière, député du Rhône ;
Pierre Laurent, sénateur de Paris ;
Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine ;
Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret ;
Cédric Villani, député de l’Essonne.