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Pierre Mansat et les Alternatives

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Grand Paris et métropolisation : « être contre » ou construire des alternatives avec les habitants ?

Grand Paris et métropolisation : « être contre » ou construire des alternatives avec les habitants ?

Collectif [Ce texte n'a jamais été publié, il s'inscrit dans la réflexion collective " Pour un renouveau de la pensée critique sur la métropole parisienne/mégapole parisienne/région métropolitaine parisienne/Grand Paris" ]

Le club de Mediapart a publié le 3 mars une tribune intitulée « Le Grand Paris est un écocide »1. Ce texte est en réalité la nouvelle version d’un pamphlet qui circulait sur la toile depuis quelques jours. Il se veut une réaction à une autre tribune parue une semaine auparavant dans Le Monde2, qui appelait les responsables politiques à prendre en compte l’échelle métropolitaine pour améliorer les conditions de vie des Grands-Parisiens, notamment en réduisant les inégalités sociales et d’accès aux services publics, en offrant un logement digne à chacun.e et en améliorant l’offre de transports.

Ces propositions semblent avoir suscité l’indignation de 51 personnalités issues de divers milieux (université, urbanisme, arts, culture, associations, etc.), qui s’affirment « contre le cauchemar métropolitain » et appellent à son « effondrement ». L’ensemble du texte, écrit en réaction aux prétendues « incantations quasi religieuses » des partisans d’une métropole démocratique et intégrée, empreinte à un registre quasi apocalyptique.

Au-delà de nombreuses erreurs et approximations factuelles - une surestimation d’environ 60% de la construction annuelle de logements en Île-de-France3, la confusion permanente entre périmètres et projets, la réduction du Grand Paris au métro du Grand Paris Express -, au-delà du regrettable procès d’intention et d’affirmations péremptoires qui empêchent toute mise en débat, cette tribune appelle un certain nombre de clarifications. Ces éléments peuvent, par ailleurs, être utiles pour éclairer les controverses que suscite actuellement la « question métropolitaine ».

De quoi la métropolisation est-elle le nom ?

Les procès faits à la métropolisation semblent oublier que cette notion relève d’abord et avant tout de l’analyse scientifique : issue des études urbaines anglophones (Toynbee 1970), elle caractérise, de façon certes imparfaite, un ensemble de dynamiques sociales et spatiales, complexes et souvent contradictoires, qui transforment l’ensemble des pays industrialisés depuis les années 1970 (Veltz 1996). Adossées à une mutation structurelle et d’échelle mondiale du capitalisme, ces transformations prennent une intensité variable selon les territoires - et relativement plus faible en France qu’ailleurs, en raison de puissants mécanismes de redistribution sociale et spatiale auxquels contribue anciennement et notablement la région-capitale4.

Bien au-delà de la seule concentration démographique dans les grandes aires urbaines5, la métropolisation se traduit par le déploiement de nouveaux réseaux, la démultiplication des mobilités et la croissance des interdépendances entre les territoires à toutes les échelles. La métropolisation n’est donc pas une figure mythologique à l’usage exclusif des élites - ou même de la « petite bourgeoisie intellectuelle » moquée avec mépris par les auteurs de la tribune évoquée : si la métropolisation des « investisseurs, touristes et classes sociales à fort capital culturel ou financier » est incontestable, il existe aussi une métropolisation des classes moyennes, des ménages populaires, des catégories sociales fragiles, des migrants (populations d’ailleurs concentrées dans les grandes régions métropolitaines).

Ces transformations bousculent nos idées et nos pratiques. Elles suscitent des espoirs et des peurs, des attentes et des déceptions. Elles font l’objet de controverses stimulantes - à condition toutefois qu’elles soient argumentées, documentées et qu’elles appliquent les règles du débat contradictoire reposant sur une rigueur intellectuelle.

Contextualiser les politiques publiques

Il est utile et souhaitable d’identifier les choix politiques qui ont accompagné, accéléré et parfois provoqué les transformations en cours : de nombreux chercheurs, du collectif Degeyter (2017) à Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti6, en passant par l’équipe de l’ANR Altergrowth sur la décroissance urbaine7, ont analysé et déconstruit avec pertinence les logiques et parfois les totems de la métropolisation. Mais il serait erroné, sinon complotiste, de laisser croire que la métropolisation serait le fruit d’une collusion entre élites politiques, économiques et scientifiques, qui l’envisageraient comme « l'unique horizon désirable de la condition humaine ».

En effet, l’urbaphobie a anciennement et durablement imprégné la société et la politique françaises (Baubérot et Bourillon 2009) ; la « haine de la ville » et tout particulièrement de Paris (Marchand 2001), puis plus largement la critique de la métropolisation sont devenues tout à la fois le mainstream de la pensée territoriale, un argument électoral et l’un des principaux leviers d’obtention de financements dans la recherche publique. Dans l’imaginaire culturel, dans le champ politique, dans les médias, la France est restée un pays de terriens, qui glorifie la ruralité et se méfie de ses villes, tout particulièrement de sa capitale et de ses banlieues. Ce n’est pas un hasard si, en matière de services et d’équipements publics, la Seine-Saint-Denis demeure beaucoup moins bien dotée que la Haute-Loire, alors que les difficultés sociales y sont autrement plus intenses.

Le Grand Paris Express, entre risques et opportunités

De la même façon, il est utile et souhaitable de critiquer les grands projets métropolitains et de réexaminer leurs coûts et leurs conséquences à l’aune des exigences de sobriété environnementale. Une nouvelle fois - et contrairement à ce que laisse entendre la tribune -, il n’existe aucun consensus entre élus, techniciens et chercheurs à ce sujet. Il y a dix ans déjà, le chercheur en urbanisme Jean-Pierre Orfeuil (2010) pointait avec acuité les limites du projet de Grand huit, ancêtre du Grand Paris Express (GPE), envisagé comme l’archétype d’un modèle « saint-simonien » fondé sur le primat accordé à la grande infrastructure. Si le GPE a depuis connu une série de recalibrages dans le sens d’une meilleure intégration avec les lignes existantes, la captation de ressources qu’il opère et son décalage avec les besoins actuels suscitent encore des critiques légitimes, nombreuses et documentées.

Toutefois, il tout aussi légitime de considérer que le nouveau métro contribuera à améliorer substantiellement la desserte par les transports collectifs d’une agglomération de 12 millions d’habitants. Les lignes actuellement en chantier (15 Sud et 16) offriront une liaison de rocade au cœur de la zone dense, de banlieue à banlieue sans passer par Paris, attendue depuis des décennies. Par ailleurs, plusieurs études montrent que le GPE permettra de favoriser l’accès au marché de l’emploi régional8, y compris au service des populations défavorisées (44 gares sur 68 sont situées à proximité de quartiers en politique de la ville). Dans ces conditions, et alors que les déplacements en automobile contribuent à près des deux-tiers des émissions de CO² du secteur des transports9, on peut s’étonner de l’acharnement contre ce projet. Etonnamment, la construction de près de 30 000 ronds-points à environ 300 000 euros l’unité en un peu moins de trente ans dans les franges périurbaines et rurales des agglomérations ne suscite pas la même indignation.

Les contradictions et les dangers de la « désurbanisation »

Il est tout aussi contradictoire d’appeler à la fin de l’artificialisation des sols, tout en assimilant de manière systématique à la « bétonisation » la construction de logements dans le cadre de projets de renouvellement urbain de la zone dense de l’agglomération parisienne. Alors que la région Île-de-France affiche un taux d’artificialisation (3,1%) inférieur à la moyenne nationale10, plusieurs études indiquent que la montée en puissance du Grand Paris tend à amplifier le retournement tendanciel de l’étalement urbain. Les experts de l’Institut Paris Région ont observé une nette diminution des espaces urbains construits, de 814 hectares par an (2008-2012) à 559 hectares (2012 -2017) - et largement en-deçà des prévisions du SDRIF (1315 hectares). Ainsi, alors que l’équivalent d’un département (40 000 hectares) est urbanisé en France tous les 8 ans11 ; la région-capitale, qui concentre 18% de la population du pays, ne contribue qu’à hauteur de 1,5% à cette consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers12.

De même, si la frénésie immobilière incontrôlée, nourrie notamment par la promotion privée, représente un risque majeur pour l’environnement et appelle des réponses volontaristes et vigoureuses, il serait irresponsable de nier les besoins criants en logement des Franciliennes et des Franciliens, sédentaires ou de passage - et notamment des plus précaires d’entre eux, comme les migrants (43% des étrangers entrés en France entre 2001 et 2012 se sont installés dans la région). Or, l’Île-de-France est une des régions où la construction neuve est relativement la plus faible de France : 3,4 logements neufs par an pour 1000 habitants au cours des vingt dernières années13, alors que la moyenne nationale est de 5,6 et que plusieurs régions dépassent 7 (Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Bretagne).

Ce qui frappe, enfin, dans cette tribune, c’est la grande faiblesse de la réflexion sur les modèles de développement alternatif. Au-delà des postures dénonciatrices, on n’y trouve rien d’autre qu’un appel à « désurbaniser » la France comme si toutes les villes étaient des métropoles, comme si les catégories mêmes d’« urbain » et de « rural » avaient le même sens en 2020 qu’au début du XXe siècle. Au point qu’elle peut être lue comme une incitation à revenir à des formes de vie ultra-locales et communautaires - dont on connaît pourtant toutes les dérives possibles, d’une interprétation erronée de la notion de « capital d’autochtonie » (Retière 2003) au développement des gated communities (Dorier, Dario 2016). Dans cette perspective, le concept même d’« écocide » est comme vidé de sa substance ; sa puissance évocatrice est inversement proportionnelle à sa capacité à forger des réponses concrètes aux problèmes du présent et aux enjeux du futur.

Du « cauchemar métropolitain » à la construction démocratique d’alternatives

Il ne s’agit pas de nier l’urgence de la situation en regard de la croissance des inégalités socio-spatiales et des enjeux majeurs des transitions écologique, alimentaire et énergétique. Il s’agit de reconnaître que ces débats appellent autre chose que des visions en noir et blanc. Il s’agit d’affirmer que les réponses à ces crises ne pourront advenir sans la participation des premiers concernés : les habitant.e.s. Caricaturés par les auteurs de la tribune, celles et ceux qui vivent dans le Grand Paris se caractérisent pourtant par une grande diversité d’origines, de statuts sociaux, de parcours résidentiels ; ils/elles ne sont évidemment pas tous en mesure, loin de là, de tirer parti des ressources métropolitaines ; ils/elles subissent de facto des coûts de transport et de logement extrêmement élevés. Mais par leurs pratiques, leurs représentations, leurs modes de vies, leurs capacités d’adaptation et d’innovation, les Grands-Parisien(ne)s ont largement devancé les décideurs publics et les acteurs économiques.

Il est urgent et impérieux de les associer tant aux les projets en cours et à venir qu’à la définition des grands enjeux stratégiques de la métropole, en créant enfin des scènes publiques de discussion, en organisant de nouvelles façons de délibérer et de décider, en permettant la co-construction d’alternatives politiques et sociales crédibles et pérennes. Bien plus que les grands imprécateurs, ils pourront alors être le levier d’une convergence des luttes sociales et écologiques et de l’invention de nouveaux modes de vie adaptés aux défis du XXIe siècle.

 

Références bibliographiques

 

Collectif Degeyter. 2017. Sociologie de Lille, Paris : La Découverte.

E. Dorier et J. Dario. 2016. « Les résidences fermées en France, des marges choisies et construites. Etude de cas : Marseille, un laboratoire de la fermeture résidentielle », in E. Grésillon, B. Alexandre et B. Sajaloli, La France des marges, Paris : Armand Colin.

B. Marchand. 2001. « La haine de la ville : « Paris et le désert français » de Jean-François Gravier », L’Information géographique, n°65-3, pp. 234-253

A. Toynbee. 1970. Cities in Move, Oxford : Oxford University Press.

J-P. Orfeuil. 2010. « Grand Huit, grand pari, gros problème », Métropolitiques, 6 décembre 2010 [en ligne : https://www.metropolitiques.eu/Grand-Huit-grand-pari-gros.html]

A. Baubérot, F. Bourillon (dir.). 2009. Urbaphobie. La détestation de la ville, Pompignac près Bordeaux : Editions Bière.

J-N. Retière. 2003. « Autour de l’autochtonie : réflexion sur la notion de capital social populaire », Politix, n° 63, pp. 121-143.

P. Veltz. 1996. Mondialisation, villes et territoires. L’économie d’archipel, Paris : PUF.

 

 

Signataires

3 Voir les données produites annuellement par la Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île-de-France : http://www.driea.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-du-logement-en-ile-de-france-r275.html

4 Voir, entre autres Laurent Davezies, 2008, La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses, Seuil, coll. « La république des idées ».

5 La population des métropoles régionales (au sens institutionnel et hors Grand Paris) représente environ 30% de celle du pays et s’est accrue de 0,7% en moyenne par an entre 2011 et 2016 (contre 0,4% par an en moyenne ailleurs en France). Voir https://insee.fr/fr/statistiques/3694585

6 Voir par exemple Olivier Bouba-Olga, Michel Grossetti, 2018, La mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) : comment s’en désintoxiquer ? [en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01724699v2/document]

13 Voir https://www.insee.fr/fr/statistiques/3672867

#métropolisation #GrandParis #GrandParisExpress  #écologie #participation #GPE

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