Tribune. Quatre ans après la création de la Métropole du Grand Paris (MGP), la question de la gouvernance de la première agglomération française reste entière. La Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles a créé une Métropole minimaliste qui ne couvre que Paris et la petite couronne, avec un budget d’investissement d’à peine 50 millions d’euros, des compétences limitées à l’élaboration de documents de planification et aucune prise sur le système de transports, resté l’apanage de la région. Quant à sa légitimité politique et à sa visibilité… qui, en Île-de-France, à part les élus, les journalistes spécialisés et les acteurs de l’aménagement, sait qui la dirige, à quoi elle sert et même connaît son existence ?
Le Grand Paris des élus qu’était censé incarner la Métropole n’existe pas, ou à peine. La réalité du terrain, c’est le Grand Paris de l’Etat et celui du secteur privé
L’impuissance de la Métropole est aggravée par son mode de fonctionnement, basé sur la recherche du consensus à tout prix, le partage du pouvoir entre la droite (majoritaire) et la gauche, qui occupe huit des vingt vice-présidences, et le principe du « chacun (c’est-à-dire chaque maire) reste maître chez lui ». La maire de Paris, Anne Hidalgo, se félicitait récemment que 98 % de ses décisions aient été votées par les élus de tous bords. Il n’est pas certain que ce score soviétique soit une bonne nouvelle. Il traduit surtout le fait qu’à la Métropole on évite soigneusement de voter sur les sujets qui fâchent : l’aggravation des inégalités territoriales, l’inflation immobilière qui chasse les classes moyennes de Paris, le déficit chronique de logements sociaux, la place de la voiture… La Métropole du Grand Paris n’est pas l’instance de pilotage stratégique dont l’agglomération parisienne a impérativement besoin, mais une sorte d’« objet géopolitique mou », qui ne dérange personne et surtout pas l’équilibre des pouvoirs.
La campagne des municipales de 2020 illustre parfaitement cette transparence de la Métropole : on n’y parle nulle part des enjeux communs à l’agglomération et des choix stratégiques nécessaires à cette échelle, seulement de la densification urbaine aux abords des nouvelles gares. Car, pendant ce temps, la transformation de la Métropole réelle avance à grands pas. Les chantiers du Grand Paris express progressent partout, les promoteurs immobiliers obtiennent l’accord des maires pour des centaines de projets de bureaux et de logements près des gares du nouveau réseau. Le Grand Paris des élus qu’était censé incarner la Métropole n’existe pas, ou à peine. La réalité du terrain, c’est le Grand Paris de l’Etat et celui du secteur privé.
Emmanuel Macron a exprimé à plusieurs reprises sa volonté de faire évoluer la gouvernance de la Métropole parisienne et une nouvelle loi « décentralisation, différenciation et déconcentration » pourrait accueillir une réforme de cette gouvernance. Mais dans quel sens ?
Raisonner à rebours
Répondre à cette question implique de raisonner à rebours de ce qui a été fait jusqu’ici, en partant non de positions idéologiques (défendre la commune comme cellule de base de la démocratie) ou géopolitiques (défendre ses propres positions de pouvoir), mais de ce à quoi doit servir un système de gouvernance territoriale : à traiter les problèmes du territoire le plus efficacement possible ; à améliorer le fonctionnement de la démocratie ; enfin, à incarner les identités territoriales, telles qu’elles sont ressenties par les citoyens. A contrario, accepter une gouvernance métropolitaine faible ou dysfonctionnelle, c’est prendre le risque de ne pas être capable de répondre aux défis considérables des crises climatique et sociale.
L’efficacité implique d’agir à la bonne échelle, celle de l’ensemble de l’agglomération, et de le faire avec des moyens financiers massifs, à la hauteur des enjeux, en bousculant le conservatisme et l’égoïsme de nombreux élus. Dans le monde réel, cela ne s’obtient que rarement par le consensus. C’est le plus souvent le résultat de rapports de force. Encore faut-il que ces rapports de force soient légitimes, parce que bâtis sur le résultat d’élections, après un débat public confrontant des stratégies distinctes et bien identifiées.
Modifier le mode d’élection des conseillers régionaux
Comment y parvenir ? Il existe une réponse relativement simple, même si elle nécessite un peu d’innovation et de savoir-faire législatifs : transférer les compétences de la Métropole à la région Ile-de-France, dont le territoire correspond presque parfaitement à celui de l’aire urbaine. En 2015, la campagne des régionales en Ile-de-France a largement porté sur un enjeu métropolitain, la politique des transports. Si la Métropole et la région fusionnent, celle des élections de mars 2021 pourra porter sur les autres grands sujets métropolitains que sont le logement, la crise climatique et les inégalités territoriales.
Le principal obstacle à cette évolution est géopolitique. Elle se traduirait, en effet, dans l’état actuel des choses, par une vraie perte de pouvoir pour les maires. Surmonter leur résistance suppose évidemment qu’existe du côté du gouvernement la volonté politique de mener jusqu’au bout cette réforme. Nul ne sait aujourd’hui si ce sera le cas, à deux ans d’une présidentielle qui s’annonce compliquée. Mais il faut aussi répondre au besoin de reconnaissance et d’autonomie des territoires infrarégionaux.
Pourquoi pas en modifiant le mode d’élection des conseillers régionaux pour qu’ils ne soient plus élus à la proportionnelle à l’échelle de la région tout entière, mais deviennent les représentants des 11 territoires de l’actuelle Métropole et des 51 communautés d’agglomération et de communes de la grande couronne, en fonction de leur population ? Et surtout en remettant à plat la répartition des compétences dans une logique de subsidiarité, c’est-à-dire en définissant précisément, pour chaque politique publique, le niveau de gouvernance le plus pertinent, parce que le plus efficace et celui qui permet de mieux associer les citoyens à la prise de décision : la région-Métropole pour les grands choix stratégiques et les grands projets, le département, l’intercommunalité ou la commune dans les autres cas.
Philippe Subra est l’auteur du « Grand Paris. Géopolitique d’une ville mondiale » (Armand Colin, 2012).