Bande-son de 'Thelma et Louise', hymne féministe (et lesbien), tube parmi d'autres sur l'album 'Broken English', joyau de la new wave, la chanson "The Ballad of Lucy Jordan" de Marianne Faithfull méritait son épisode de Tubes N' Co. En 1979, Marianne, icône pop des années 1960 prend sa revanche sur la vie.
La chanson s'ouvre par le son de claviers synthétiques syncopés et répétés. Le rebond de ces échos évoque une sorte de palais des glaces. C'est le son d’un rêve ou d’un cauchemar ; un labyrinthe qui serait l’état mental de l’héroïne de cette chanson. Elle s’appelle Lucy Jordan. Elle rêvait d’une autre vie que celle d’une femme au foyer en banlieue. Mais elle sait que c’est raté.
"The Ballad of Lucy Jordan" paraît en 1979. Marianne Faithfull s’est fait connaître 15 ans plus tôt avec une voix d’ange pour chanter l’histoire d’une fille en pleurs dans le morceau "As Tears Go By". Avec l'album Broken English, sur lequel on trouve "The Ballad of Lucy Jordan", elle revient avec sa voix brisée comme un défi.
En 1979, Marianne Faithfull n’a plus rien à perdre. Pendant 15 ans, la presse anglaise s’est repue de sa liaison avec Mick Jagger, de son parcours de fille bien née qui finit dans la drogue, dans l’alcool et dans la rue. Dans Marianne Faithfull, fleur d'âme, le beau documentaire que Sandrine Bonnaire lui a consacré en 2018, Marianne Faithfull explique l’enjeu de l’album Broken English. Ce serait son disque ultime et, après, elle mourrait.
Ce que je dois faire, avant de mourir, c’est de montrer ce que j’ai dans le ventre. Dire qui je suis. Je ne suis pas une victime. Je ne suis pas cette gamine écervelée. Je suis Marianne Faithfull. Et voilà ce que je vaux.
Pour dire l’artiste qu’elle est, Marianne Faithfull convoque des figures féminines sur cet album. Des indomptées, des femmes qui ne répondent pas à ce que l’on attend d’elles. Et puis il y a cette Lucy Jordan, femme au foyer, qui « pourrait nettoyer la maison, changer les fleurs ou courir nue dans la rue en hurlant ».
"_The Ballad of Lucy Jordan_" est une chanson de l’Américain Shel Silverstein. La toute première version fut interprétée par le groupe Dr. Hook and the Medicine Show, en 1975, sous le titre "The Ballad of Lucy Jordon".
Dans la reprise de Marianne Faithfull, le clavier synthétique de Steve Winwood fait entrer la chanson dans le futur. Marianne Faithfull en fait un hymne féministe. "The Ballad of Lucy Jordan" est la chronique d’un désespoir, mais c’est aussi le récit d’une vie que Marianne Faithfull aurait pu mener. Elle y a échappé, en entrant dans le monde du rock’n’roll. Et elle en a payé le prix fort.
En 1979, le punk a déjà copieusement bousculé les hiérarchies : la jeunesse dresse le majeur contre les années 1960 des aîné·e·s et les désillusions qui vont avec. Marianne Faithfull a incarné les sixties. Mais l’époque est terminée et, elle, elle renaît.
Marianne Faithfull pensait que Broken English serait son dernier album et qu’après elle mourrait. Mais le disque l’impose en artiste à part entière. Aristocrate du rock, elle fut. Aristocrate du rock, elle restera.