30 Août 2019
Paris : le prix moyen du mètre carré passe à cinq chiffres
Par Isabelle Rey-Lefebvre
La flambée des prix – 66 % en dix ans – fait fuir les familles et modifie la physionomie de la capitale.
Les notaires franciliens l’annonçaient discrètement dans une note du 26 juillet 2019 et devraient le confirmer jeudi 5 septembre : le prix moyen du mètre carré parisien a, en août, franchi le seuil des 10 000 euros, à 10 190 euros précisément, soit une hausse de 7,3 % en un an. Aucune politique publique, aucun « choc d’offre », même promis par le président de la République, Emmanuel Macron, n’ont freiné l’inéluctable augmentation des prix, de 26 % sur cinq ans et 66 % sur dix ans, en complet décrochage avec l’évolution des revenus.
Les plus fortes hausses, de plus de 30 % en cinq ans, touchent les quartiers prisés du 6e arrondissement, Odéon (+ 35,3 %) ou La Monnaie (+ 39,5 %), et certains quartiers populaires qui partaient, en effet, d’une cote plus basse en 2014, flirtent aussi avec les + 30 %, comme, dans le 18e arrondissement, La Goutte d’Or (+ 29,1 %), La Chapelle (+ 27,9 %) et, dans le 17e arrondissement, Les Epinettes (+ 27,7 %).
« Même en ces mois de juillet et août, les biens partent en deux ou trois jours, avant que les annonces soient publiées », s’étonne Christine Fumagalli, présidente du réseau d’agences Orpi et à la tête de cinq d’entre elles, dans le 14e arrondissement, depuis 2004. Le site PAP (De particulier à particulier), lui, a enregistré, au cours du premier trimestre, 134 800 candidats à la recherche d’un appartement parisien, alors que le nombre de ventes par an dans la capitale plafonne à 40 000.
La petite couronne est également soumise à une pression immobilière irrésistible comme, en Seine-Saint-Denis, Saint-Ouen (+ 37,7 %, en cinq ans), le Pré-Saint-Gervais (+ 28 %) ou encore Pantin (+ 20,9 %) et, pas loin, Montreuil (+ 18,6 %). Les Hauts-de-Seine accueillent les familles nombreuses en quête d’espace qui font bondir les prix, comme, au nord, à Bois-Colombes (+ 22 % en cinq ans) ou Clichy (+ 22,5 %), et au sud, Malakoff (+ 20,5 %) et Bagneux (+ 19,9 %). Dans le Val-de-Marne, Joinville (+ 18,2 %) et Villejuif (+ 19,4 %) sont au diapason.
Trente et un ans de revenus
L’appétit immobilier est aiguisé par les taux bancaires très bas, sous le niveau de l’inflation depuis quatorze mois, de 1,20 % en moyenne en juillet 2019. Les prêts sont toujours plus longs, d’une durée moyenne de dix-neuf ans aujourd’hui mais dont 41 % sont consentis sur vingt-cinq ans et plus, précise l’Observatoire Crédit Logement. La tendance risque d’être durable : « La planche à billets fonctionne à fond, les liquidités inondent le marché et font monter les prix des actifs financiers et immobiliers, multipliés par 14 depuis les années 1980, alors que le smic ne l’a été que par 4, constate Xavier Lépine, de la société de gestion de fonds La Française, filiale du Crédit Mutuel Nord Europe. Le but des banques centrales est de soutenir l’activité économique et la croissance, mais là où il fallait 1 euro de dette pour créer 1 euro de produit intérieur brut, il en faut désormais 4 ou 5 », constate-t-il.
QUI PEUT SE PERMETTRE DE DÉBOURSER UNE TELLE SOMME ? LES RICHES, LES HÉRITIERS OU CEUX, DÉJÀ PROPRIÉTAIRES, QUI REVENDENT, ET LES CADRES, À CONDITION D’ÊTRE EN COUPLE…
Selon l’étude du Conseil général de l’environnement et du développement durable, pour devenir propriétaire de 100 mètres carrés à Paris, il faut aujourd’hui allonger l’équivalent de 31 ans du revenu moyen d’un Parisien, là où la moyenne française n’outrepasse pas sept ans ! Qui peut se permettre de débourser une telle somme ? Les riches, les héritiers ou ceux, déjà propriétaires, qui revendent, et les cadres, à condition d’être en couple… Selon les notaires, 86 % des acheteurs de l’année 2018 à Paris sont issus des catégories sociales professionnelles supérieures (CSP +) et des professions intermédiaires. Ils sont 75 % en petite couronne, soit 20 points de plus qu’en 1998. La part des cadres est passée, dans la même période, de 27 % à 37 % tandis que les employés et ouvriers ne représentent plus, en 2018, que 5 % des acheteurs à Paris et 7 % en petite couronne, contre 15 % il y a vingt ans.
La richesse va à la richesse, celle des parents qui font des donations à leurs enfants comme celle des deux membres d’un couple qui la mettent en commun. Les notaires parisiens confirment que 76 % des acquisitions dans la capitale sont le fait de couples bi-actifs de catégorie CSP+ : « L’homogamie des revenus dans un couple, jusqu’ici peu analysée, se renforce, juge Pauline Grégoire-Marchand, économiste, qui a publié en novembre 2018 une étude sur ce sujet pour France Stratégie. Depuis 1996, dans un contexte de baisse du nombre de couples, le taux d’activité des femmes ainsi que leur rémunération avoisinent ceux des hommes. Cela accroît la polarisation sociale entre les couples aisés et les autres, a fortiori les familles monoparentales, toujours plus nombreuses et dont, dans trois cas sur quatre, une femme est le chef. »
« Trois chambres et une terrasse »
Tout se conjugue, à Paris, pour que les enchères immobilières galopent. Cette ville d’un peu plus de 2 millions d’habitants est un concentré sociologique de la France et tout le monde veut y résider. Les riches du monde entier s’y aménagent un pied-à-terre, quitte à n’y venir que quelques jours par an : dans les quatre arrondissements du cœur de la capitale, 25 % des appartements sont vacants ou utilisés comme résidence secondaire.
Les cadres revenus de Londres pour cause de Brexit et au fort pouvoir d’achat lorgnent les grands appartements du 6e arrondissement ou, faute de mieux, ceux du 14e ou du 16e, près des « bonnes écoles » – écoles bilingues, collège Stanislas, La Rochefoucauld, Ecole alsacienne, dans les 6e et 7e, ou Saint-Jean de Passy, Saint-Louis-de-Gonzague, Gerson dans le 16e : « Dès que les établissements privés et les lycées publics recherchés publient la liste des élèves admis, le téléphone sonne sans relâche et c’est la razzia dans nos agences, sommées de trouver, à proximité, un bel appartement de 150 mètres carrés avec trois ou quatre chambres et une terrasse », témoigne Nicolas Pettex-Muffat, directeur général du réseau d’agences Daniel Féau, leader du haut de gamme parisien.
La métropolisation concentre la finance, la recherche, les emplois superqualifiés dans une ville-monde qui rivalise peut-être avec New York ou Londres, mais qui vide le reste du territoire de sa substance. Corinne Jolly, présidente de PAP, analyse :
« Ainsi, 50 % des recherches d’acquéreurs sur notre site ciblent 30 villes où n’habitent que 10 % de la population… Cette hyperconcentration ne fait que des perdants. Les propriétaires dans les régions qui se vident mettent des années à vendre leur maison et il devient impossible de se loger dans les grandes villes. Il est temps de réfléchir à un autre aménagement du territoire. »
Le tourisme ajoute sa pression sur la capitale avec l’emprise toujours plus forte des plates-formes de locations touristiques qui y font leurs meilleures affaires : 65 000 offres rien que sur Airbnb. « Plutôt 53 000 dont 30 000 gérées à l’année par des professionnels, et qui sont autant d’appartements retirés du parc locatif de longue durée », rectifie Franck Briand, habitant du 2e arrondissement à l’origine d’un regroupement citoyen pour évaluer les conséquences d’Airbnb (ParisVSbnb.fr).
Paris se dépeuple
Résultat, les familles de trois enfants et plus quittent Paris, qui se dépeuple au rythme de 10 000 à 12 000 habitants chaque année depuis 2011. C’est encore plus sensible dans le centre, par exemple le 2e arrondissement, transfiguré par le tourisme et les locations saisonnières, qui a perdu 10 % de sa population depuis 2015 et dont le maire (EELV), Jacques Boutault a vu, dans le même temps, fermer trois classes de maternelle : « Les locations Airbnb prolifèrent, notamment dans d’anciens ateliers textiles aménagés, déplore l’élu. Dans le Sentier, les rues deviennent des rendez-vous festifs avec bars, restaurants et terrasses animées la nuit, qui nuisent à la qualité de vie des habitants et à la propreté des espaces publics. Impossible, par exemple, de faire respecter, par des visiteurs de quelques soirs, les consignes de tri des déchets… Et les vendeurs d’un appartement font, eux, monter le prix, arguant de cette possibilité de percevoir des loyers élevés auprès des touristes. »
L’ARRIVÉE D’UNE POPULATION À FORT POUVOIR D’ACHAT MODIFIE AUSSI PROFONDÉMENT LE PAYSAGE COMMERCIAL DE PARIS
L’arrivée d’une population à fort pouvoir d’achat modifie aussi profondément le paysage commercial de Paris, si riche et diversifié, avec 62 507 boutiques (chiffre 2017, tiré de l’étude de la Ville de Paris, de la Chambre de commerce et d’industrie et de l’Atelier parisien d’urbanisme de mars 2018). Le maillage de magasins d’alimentation est toujours serré mais le nombre de supermarchés discount, par exemple, s’est effondré, passant de 116, en 2003, à 51, en 2017, au profit du bio et du circuit court, qui comptait 130 boutiques en 2003 mais 277 aujourd’hui, avec une prédilection pour le 11e arrondissement. Les commerces alimentaires de luxe prolifèrent : 221 cavistes ont ouvert en quinze ans, 99 chocolatiers confiseurs, 38 vendeurs de thé ou café, 201 marchands de produits régionaux et étrangers ou encore 61 pâtissiers tandis que disparaissaient 111 boulangeries sur 1 297 (bien que leur nombre se soit stabilisé depuis 2014) et 232 boucheries-charcuteries sur 780.
Les artisans de Paris sont éjectés en banlieue : 254 garages et concessions automobiles de moins en 2017 qu’en 2003, quand ils étaient 570, mais la vente et la réparation de deux-roues, motos et vélos, fait florès ; 362 professionnels du bâtiment partis sur 1 315 ; 57 menuisiers et vitriers sur 191 ; 43 serruriers sur 325 ; 178 tapissiers et ébénistes sur 588 ; 38 encadreurs sur 216. Pour beaucoup de ces professionnels, l’éloignement fait perdre des heures en trajet pour se rendre sur les chantiers et renchérit les coûts.
Paris reste une ville mosaïque où habitants aisés et pauvres se côtoient toujours, avec des îlots de prospérité dans les quartiers modestes et, inversement, de pauvreté dans des enclaves huppées. La ville peut encore revendiquer sa mixité grâce à la présence de Parisiens de longue date et au logement social, qui représente 20 % des résidences principales. Mais pour combien de temps encore ?