Paris est-elle une ville solidaire ?
Paris compte parmi les villes les plus chères au monde. A titre d’exemple, un appartement du VIe arrondissement s’est récemment vendu à 50 000 €/m2. On assiste à une accélération du phénomène de dualisation: d'un côté une ville attirant des gens très aisés, et l'investissement de la finance internationale. De l'autre des habitants aux salaires moyens, ayant pour seul horizon pour rester à Paris que d’espérer accéder à un logement social tant les prix et les garanties pour la location dans le privé se sont envolés et l’accession est devenue inabordable pour qui ne gagne pas 10 000 €/mois. Du fait de cette cherté de l’immobilier et d’un cadre de vie perçu comme peu qualitatif, la capitale française est une ville que l’on veut quitter. Une étude réalisée l’été dernier révèle que plus de huit cadres franciliens sur dix envisageraient de quitter la région parisienne . Parmi les personnes interrogées, 55 % se disent insatisfaites de leur vie dans la région capitale, avec en tête des raisons invoquées, le coût de la vie (77 %), 9 % plus élevé qu’en province (1), le temps de transport (56 %, 7 cadres sur 10 ayant plus d’une heure de transport pour rallier leur lieu de travail) et le manque de proximité avec la nature (54 %). Après une période d'augmentation de la population (2001/2010), la population de Paris a perdu plus de 60 000 habitants entre 2011 et 2016, ce qui représente la population d’Issy-les-Moulineaux ou celle du 5ème arrondissement.
Parallèlement, on ne peut pas dire que la ville solidaire ait été un thème important de la réflexion politique sur le Grand Paris. Jusqu'à une période récente et les travaux sur le Plan Métropolitain de l’Habitat et de l’Hébergement et le Schéma de cohérence territoriale (SCOT), il a été très difficile d'avoir des échanges sur le sujet et de dégager des orientations fortes. Au moment de la création de la Métropole du Grand Paris, ont été privilégiées des thématiques telles l’attractivité économique, le transport, etc., au détriment de l’inclusion ou la solidarité urbaine. Seules les équipes d'architectes-urbanistes de la consultation internationale (2008/2010) « Le grand pari de l'agglomération parisienne post-Kyoto » ont fait de ce sujet un chapitre important de leurs contributions souvent à travers l'approche des mobilités.
Que signifie pour vous le terme de « ville solidaire » lorsqu'il s'agit de la thématique du logement ? Depuis combien de temps traitez-vous de sujets relatifs à ce terme ?
Je m’occupe de questions relatives à la thématique du logement, dans une perceptive de ville solidaire, depuis les années 90 où, dans le XXe arrondissement de Paris, je participais aux luttes pour le maintien des habitants des quartiers populaires (Belleville) ou contre le mal-logement (Place de la Réunion et création de Droit au Logement). J’ai également été impliqué dans des opérations de réhabilitations et destruction-relogement, par exemple sur le quartier des Fougères (XXe). Suite à mon élection en tant qu’adjoint au maire de Paris, en 2001, je me suis senti davantage concerné par cette problématique. Selon moi, la solidarité urbaine, c’est en premier lieu la liberté pour tout un chacun d’habiter là où il a envie de vivre. Cela nécessite de trouver l’équation économique qui le permette, dans un contexte de montée du prix du foncier et de l’immobilier, surtout au cœur de Paris. Actuellement, le montant d’un loyer parisien, très élevé, pèse dans le budget des ménages. La Ville essaye de maîtriser cela, en encadrant les loyers notamment ou en luttant contre la transformation de logements en meublés touristiques, mais il faut reconnaître qu’elle ne dispose pour ce faire que de moyens limités. J’ajouterai que pourrait être qualifiée de solidaire une ville qui élargirait sa politique d’offre de logement à toutes les catégories d’habitants, incluant les sans domicile fixe, les réfugiés, etc. Plus de 3600 personnes ont été recensées sans-abri en ce début d’année, chiffre stable malgré l'ouverture de 3000 places d'hébergement supplémentaires par l'État et la Ville depuis le dernier comptage, en 2018.
Depuis 2014, face à l'explosion de la précarité en Ile-de-France, Anne Hidalgo a déclaré la lutte contre la grande exclusion sujet prioritaire de son mandat. Cette action a été confiée à Dominique Versini, adjointe chargée de toutes les questions relatives aux solidarités, lutte contre l'exclusion, accueil des réfugiés et protection de l'enfance. La lutte pour l'accueil des sans domicile fixe est renforcée, avec la création de milliers de places d'hébergement. Ces décisions entraînent parfois des confrontations. Exemple d’actualité, la mairie centrale a récemment annoncé son souhait de maintenir cinq ans de plus le centre d'accueil d'urgence La Promesse de l'aube, ouvert en 2016 pour les sans-abri à la lisière du bois de Boulogne, nouvelle qui a provoqué la colère d’un certain nombre d’élus et d’habitants du XVIe arrondissement de Paris. Ce centre d’hébergement géré par l’association Aurore, qui avait déjà suscité une vive polémique au moment de son ouverture, devait initialement être démonté d’ici à la fin 2019.
Enfin, face à la crise migratoire, Paris a pris l'initiative de créer les ressources visant à un accueil digne des réfugiés, venus bien souvent de pays en guerre, contraignant l'État a lui emboiter le pas avec le centre qui avait été édifié Porte de la Chapelle.
Quel serait un bon exemple de solidarité urbaine, à la fois dans Paris mais aussi dans le Grand Paris ?
D’abord, la base : que chaque commune participe à la production de logements abordables et fasse en sorte de pouvoir accueillir tous type de ménages et pas seulement les plus aisés. Dès 2001, sous l’impulsion de son maire, Bertrand Delanoë, la municipalité a engagé une politique ambitieuse d'éradication de l'habitat insalubre. Cela a concerné plus de 1000 immeubles, traités en totalité avec le relogement en très grande partie dans Paris de 16 000 habitants, quand autrefois, sous les précédentes mandatures, les habitants des quartiers réhabilités étaient gentiment dirigés vers les grands ensembles des villes de la première couronne. Sous l’impulsion de Bertrand Delanoë, Paris a lancé immédiatement un très ambitieux plan de production de logements sociaux . En 2001 Paris comptait seulement 13,7 % de logements sociaux selon les critères de la loi SRU. Aujourd’hui, les politiques de production de logement social sont poursuivies et amplifiées. En dépit d’une situation singulière, la ville fait la démonstration d’une volonté forte en matière de production de logements abordables. En effet, Paris est une ville très construite, très dense, qui doit veiller à dédier du foncier à la production d’espaces verts et d’équipements de proximité. Malgré tout, la ville, affichait en 2016 un taux de 19,9 %. Cette évolution laisse à penser qu’elle peut atteindre son objectif de 25 % à l’horizon 2025.
Malgré un parc de 780 000 logements sociaux à l’échelle du Grand Paris, représentant environ 25 % des résidences principales de la Métropole, l’offre de logement social y est insuffisante et inégalement répartie. Pour chaque logement attribué dans la MGP, on compte en moyenne 10 demandes. Dans les territoires Plaine Commune et Est Ensemble, les logements sociaux représentent plus de 40 % du parc de logements. À l’inverse, Paris, Grand Paris Seine Ouest et Paris-Est-Marne et Bois ont les parts de logements locatifs sociaux les plus faibles (< 20 %). Au sein d’un même territoire, existent parfois de fortes disparités entre les communes. L’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR), dans une note publiée en décembre 2018, met en avant le cas de Boucle Nord de Seine, dont la commune de Gennevilliers se distingue avec 68 % de logements locatifs sociaux, lorsqu’à Bois-Colombes et Asnières-sur-Seine, la part de logements locatifs sociaux représente respectivement 18 % et 23 % des résidences principales. Cette iniquité territoriale est observable au cœur-même de la métropole, à Paris où, en 2015, les logements sociaux SRU représentaient 1,9 % du parc du VIIe arrondissement contre 38,8 % dans le XIXe. Le constat d’un déséquilibre territorial en matière de logements abordables et d’équipements qui avait été fait lors des réflexions sur le Grand Paris reste d’actualité.
Cette problématique est du reste partagée par les autres grandes métropoles européennes. Si nous n’y prenons garde, c’est l’attractivité même de notre territoire qui se trouvera menacée. Une étude de La Fabrique de la Cité pose les choses clairement : « Alors que la production de logement dans les villes européennes se trouve entravée par des contraintes tantôt physiques ou topographiques, tantôt règlementaires ou d’ordre politique, alors que le logement abordable se raréfie au point que les ménages à revenus faibles voire moyens voient leur capacité́ à vivre en ville remise en cause, c’est donc tout le dynamisme des économies urbaines qui se joue aujourd’hui dans cette question du logement abordable. Et pour cause, une ville si attractive qu’elle ne parvient pas à loger ne le restera pas longtemps... »
Vous travaillez au développement du projet du Grand Paris depuis une quinzaine d'années, quelle évolution observez-vous dans l'inclusion des problématiques de logement solidaire, de réduction des inégalités ou d'aide aux personnes en difficultés au programme du Grand Paris ?
Je travaille au développement du projet du Grand Paris depuis une quinzaine d’années. Par rapport à 2001, je fais le constat d’une augmentation importante de la prise en compte de la crise du logement (pour rappel, on dénombre 490 000 ménages inscrits comme demandeurs d’un logement social dans l’une des 131 communes de la Métropole fin 2016, dont 28 % déjà logés dans le parc social). Cette prise de conscience de la gravité de la situation est signe d’une évolution positive puisqu’elle implique l'inclusion des problématiques de logement solidaire, de réduction des inégalités ou d'aide aux personnes en difficultés au programme du Grand Paris. Cependant, on reste loin du compte et les stratégies du Grand Paris, matérialisées par le Plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement (PMHH), ne vont pas assez loin dans l’encadrement de la production de logement social et du parcours résidentiel des Franciliens. Beaucoup de communes manquent encore à leurs obligations en matière de production de logement social. Afin de contribuer à rééquilibrer la répartition du parc de logements locatifs sociaux, il serait judicieux que le PMHH comporte l'identification des zones de déficit de logement social. Malgré un engagement croissant de la part des maires, il reste par ailleurs nécessaire de produire des places d’hébergement d’urgence, réparties au sein du Grand Paris, ces dernières étant actuellement concentrées dans certains arrondissements de Paris. Enfin, l’on se doit de ne pas oublier les nouveaux visages de l’exclusion (familles avec enfants à la rue, femmes, jeunes, etc.). Eux aussi devraient pouvoir avoir accès à une prise en charge adaptée.
Quel est le rôle des institutions publiques par rapports aux initiatives privées pour rendre les villes plus solidaires ?
Les initiatives privées, à l’exception de quelques initiatives récentes, ne prennent pas suffisamment en compte la question de la solidarité dans la production de logement. Il est donc nécessaire que les collectivités agissent pour l’encadrer. En tant qu’institution publique, la Ville de Paris a un rôle à jouer dans la construction d’une solidarité urbaine. Consciente de cela, la municipalité a pris l’initiative d’introduire une proportion obligatoire de logements sociaux dans toute opération de logements, action reprise par d’autres collectivités par la suite. Paris attire des investissements étrangers, phénomène qui engendre du surenchérissement. Au regard de sa situation de ville-monde, la capitale pourrait trouver sa solution à grande échelle : celle du Grand Paris. Le Grand Paris offre la possibilité d’un parcours résidentiel adapté : on commence sa vie à Paris, on en part pour une commune limitrophe lorsque l’on a des enfants, on y revient plus tard, etc. On ne peut créer une ville solidaire si chacun reste dans sa limite communale. Cela occasionne de la ségrégation.
D’autres pistes doivent aussi être étudiées. Je pense à ce qui a été mis en place par certaines communes du Grand Paris confrontées à une augmentation vertigineuse des prix de leurs logements. Des outils telles que les Chartes Promoteurs, mis en œuvre à Bagneux, Montreuil et d’abord historiquement à Saint-Ouen, ont permis et permettent encore de maîtriser les prix de sortie des logement neufs. Cette maîtrise n’est que temporaire puisqu’à la première revente, les prix s’ajustent avec ceux du marché, mais cela permet quand même à un plus grand nombre de personnes d’accéder à la propriété. Les communes du Grand Paris pourraient avoir une approche concertée sur cette question…
Autre piste à privilégier, la vente des charges foncières à prix fixes et non au mieux disant. Cette politique de mise en concurrence des charges foncières a provoqué une inflation colossale des prix de sortie des logements. Comprenez-moi bien, je n’ai rien contre le fait que les collectivités valorisent au mieux leurs actifs. Mais cette valorisation ne doit pas conduire à une ville ségréguée et qu’au final on désire quitter. Les collectivité doivent être les garantes et les actrices du Grand Paris Solidaire.
Enfin, je ne peux que m’étonner que ni Paris ni le Grand Paris n’aient saisi l’opportunité de créer un Organisme de Foncier Solidaire (OFS) à l’échelle de la métropole en y associant par exemple l’établissement public foncier d’Île-de-France. Ce type d’outil, qui offre une forme de portage foncier de long terme, permet de lisser le coût des terrains sur un plus grand nombre d’années pour les accédants. Du coup, les prix de sortie sont bien moindres que lors d’une accession classique. Les accédants sous plafond de ressources PSLA sont propriétaires des murs, l’OFS du foncier, et le prix des logements reste abordable même en cas de revente. Lille, Rennes ou même encore Besançon étudient ou ont mis en place de manière ambitieuse ce dispositif de maîtrise foncière et accession abordable. N’en serait-on pas capables ici ? Cela aurait du sens à l’heure où le prix des terrains flambent autour des gares du Grand Paris Express… à moins que l’on ne veuille continuer sur la même lancée ?
Pourquoi avoir pris part au projet du Grand Prix ESSEC de la Ville solidaire et de l'Immobilier responsable® ?
Qu'une grande école de commerce comme l’ESSEC, que l'on imagine très peu tournée vers des sujets sociaux, se préoccupe de cet enjeu m'a vivement intéressé. J'y ai vu un signe très encourageant. C’est pourquoi j’ai pris part au projet du Grand Prix ESSEC de la Ville solidaire et de l'Immobilier responsable®. Le mérite en revient au professeur Ingrid Nappi-Choulet, qui est à l’initiative de ce prix.