4 Février 2019
Le Point : Vous dirigez un master universitaire consacré à l'ingénierie démocratique. Que signifie ce terme ?
Loïc Blondiaux : L'ingénierie démocratique, c'est un ensemble de connaissances, de dispositifs et de techniques pour animer une réunion de concertation, faire participer les citoyens, et restituer les résultats de ces échanges. Ces réunions exigent un savoir-faire, tant pour les débats, afin que chacun y participe et se sente concerné, que pour la participation en ligne. Nous concevons et développons des outils qui facilitent l'échange et la prise de parole. Ce métier nouveau s'invente. J'observe qu'il répond à un besoin puisque tous nos étudiants trouvent du travail, soit dans des collectivités locales, en pointe sur cette réflexion, soit dans des organismes publics ou bien dans des agences spécialisées. Je précise que l'ingénierie démocratique n'est pas une forme nouvelle de communication, cela n'a rien à voir. C'est de l'innovation démocratique.
Promouvoir la démocratie participative, est-ce la preuve que notre démocratie ne fonctionne plus ?
Oui, mais pas uniquement chez nous. Il en va de même chez nos voisins, et ce, depuis une vingtaine d'années. Les démarches participatives se développent, parce que notre démocratie représentative s'essouffle. Elle est vécue comme trop verticale, technocratique, déconnectée, éloignée des enjeux quotidiens. La légitimité, obtenue dans les urnes à intervalles électoraux fixes, n'est plus suffisante. Depuis bien avant la crise des Gilets jaunes, on constate la défiance marquée envers les élus et une contestation de leurs choix. Seulement, cette prise de conscience, qu'on ne peut plus décider comme avant, est difficile. L'élu et l'expert sont convaincus de maîtriser les paramètres de décision et qu'ils n'ont pas besoin des citoyens, ces profanes. C'est en train de changer.
Le grand débat national doit vous réjouir ?
C'est une stratégie politique dont on ne connaît pas l'efficacité. Observant minutieusement ses modalités, je crains que la tentative ne porte pas sur le fond, mais se borne à aménager des espaces de parole encadrés plutôt que des dispositifs de concertations afin de construire des compromis. N'est-on pas plutôt en train de gagner du temps ? Par exemple, sa plateforme numérique, très fermée, ne permet aucune délibération. Enfin, je m'interroge sur la volonté d'en retirer des changements concrets. Quels débouchés, quelles avancées seront donnés aux résultats de la consultation ? Le gouvernement a choisi les questions qui l'arrangent, ce n'est pas un débat.