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Pierre Mansat et les Alternatives

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Le grand Débat national? entretien avec Loïc Blondiaux dans Télérama

La pratique démocratique sortira-t-elle renforcée de la consultation lancée le 15 janvier ? Le politologue Loïc Blondiaux en doute, pointant le risque d’une défiance et d’une frustration accrues. Voire d’une dérive autoritaire.

L’enjeu est crucial. Au moment où notre pays connaît une crise politique majeure, en grande partie inédite, le Grand Débat national peut être le moyen d’en sortir par le haut, c’est-à-dire par plus de démocratie. Il s’agit en effet de permettre aux citoyens de s’exprimer, sans attendre les prochaines échéances électorales, en utilisant les procédures aujourd’hui bien établies de la démocratie dite participative. Encore faut-il que ses règles, qui garantissent un débat ouvert, sans interdits, visant à produire, en toute indépendance, des propositions de réformes politiques, soient respectées. Encore faut-il aussi que les conclusions de ce débat soient vraiment prises en compte.

Qu’en est-il presque un mois après le lancement de ce Grand Débat ? Les conditions de sa réussite sont-elles réunies ? Comment, plus généralement, analyser le moment politique que nous vivons et répondre aux carences de plus en plus flagrantes de notre démocratie? ­Entretien avec le politiste Loïc Blondiaux, professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne.

L’ambition de boucler, en deux mois, un vaste débat organisé au niveau national vous paraît-elle raisonnable ?
Non, pas du tout. Sauf à ramener l’ambition de cette opération à une stratégie classique du pouvoir quand il se sent menacé. En science politique, à la suite du politiste allemand Herbert Kitschelt, on parle de « concession procédurale » pour définir cette stratégie à caractère dilatoire. Il s’agit moins, pour le pouvoir, de répondre sur le fond aux critiques et aux propositions qui se font jour, que d’en permettre l’expression pour désamorcer les mobilisations, en l’occurrence celles des Gilets jaunes.

Cette interprétation est malheureusement confortée par la pratique française de la démocratie participative. A l’échelle locale ou nationale, les exercices de consultation, de concertation ou de participation citoyennes sont le plus souvent organisés de manière à contraindre le moins possible les pouvoirs, en les plaçant dans une ­position d’écoute sélective, qui leur permettra in fine de ne ­retenir que ce qu’ils souhaitent des délibérations. On vide ainsi la pratique participative de son sens démocratique, qui est une forme de rééquilibrage des forces, en ­consacrant la position de l’autorité élue dans son monopole de la décision légitime.

Les premiers développements du Grand Débat national confirment-ils ces craintes ?
Malheureusement, oui. Plus que d’un dialogue, ce débat prend parfois des allures de monologue. Un grand monologue national dominé par un président de la République omniprésent, qui ne cesse d’interférer aussi bien sur le contenu que sur l’organisation du débat, dans une mise en scène permanente du pouvoir qu’il incarne. Il instrumentalise ce débat pour se relégitimer aux yeux des Français et faire la « pédagogie » des réformes qu’il a d’ores et déjà menées, autant que de celles qu’il souhaite entreprendre par la suite.

La mise à l’écart intentionnelle de la Commission nationale du débat public, créée en 1995 pour faire respecter les procédures de démocratie participative, renforce l’évidence de cette volonté de piloter l’opération. Or, la crédibilité de ce type de consultation repose précisément sur la neutralité et l’indépendance de l’organisateur. Comment ne pas avoir de soupçons sur les intentions réelles du pouvoir — en clair, mener une vaste opération de communication — quand l’organisation du débat est confiée à deux ministres, qui seront donc juges et parties ? Les cinq « garants » désignés pour le contrôle du bon déroulement de ce débat parviendront-ils à imposer leurs vues à l’exécutif ? Rien n’est moins sûr.

Qu’en est-il de la manière dont sera effectuée la synthèse des débats et contributions ?
La question est cruciale. La légitimité des démarches de démocratie participative repose sur la transparence du dispositif d’analyse et de synthèse des contributions, et sur l’impartialité de l’algorithme démocratique qui permettra de passer de la multitude des expressions aux conclusions du débat.

Dans le cas présent, cette synthèse est d’autant plus difficile à mener que l’on a mis en place une série de dispositifs hétérogènes de participation : des centaines de réunions organisées à différents niveaux, selon des règles très diverses, une plateforme numérique nationale à laquelle tous les citoyens sont invités à se connecter. Pour l’instant, les moyens mis à disposition de l’opération paraissent limités, et aucune possibilité de contrôle par les citoyens n’a été prévue.

C’est pourquoi certains d’entre nous, réunis au sein du collectif Démocratie ouverte, ont proposé qu’à ­l’issue du Grand Débat soit organisée une assemblée ­citoyenne, dont les membres seraient tirés au sort. Elle ­serait chargée de recevoir les contributions, de les hiérarchiser, afin de proposer une série de questions qui seraient au bout du compte soumises aux citoyens par référendum. On aurait là une véritable perspective de transformation vers plus de démocratie.

“Si le pouvoir fait mine de dialoguer avec les citoyens pour, en réalité, les ignorer et les mépriser, le retour de bâton sera violent.”

En cas d’échec du Grand Débat, n’y a-t-il pas un risque de disqualification durable de la démocratie participative ?
Effectivement, et sans doute vaut-il mieux pas de participation du tout qu’une participation dévoyée. Car celle-ci produit de la frustration, et par conséquent un surcroît de défiance chez les citoyens. Cette frustration, paradoxalement, se retrouve aussi lorsque l’on compte trop sur les dispositifs de démocratie participative.

Contrairement à ce qu’espère le pouvoir, ainsi qu’une bonne partie des Gilets jaunes qui défendent une vision monolithique de ce que pense le « peuple » et imaginent que leurs demandes font consensus, les démarches participatives ne peuvent pas réconcilier les citoyens du jour au lendemain. Elles feront plutôt surgir des conflits, ne dégageront pas forcément des conclusions claires sur ce que souhaite la population. Leur intérêt, le plus souvent, est de clarifier des dissensus sur lesquels il faudra construire des compromis. C’est cela la démocratie. L’expérience, pour ceux qui prétendent à l’hégémonie, sera ainsi forcément déceptive.

Mais si le pouvoir instrumentalise la participation, fait mine de dialoguer avec les citoyens pour, en réalité, les ignorer et les mépriser, le retour de bâton sera violent. Au point de remettre en cause la possibilité de sortir de la crise démocratique actuelle par plus de démocratie. Ce Grand Débat, s’il est vraiment transparent et impartial, s’il permet une délibération réelle entre citoyens, peut renforcer l’idée même de démocratie. S’il échoue sur ces points, le risque est que notre pays se tourne vers des solutions autoritaires.

Voulez-vous dire que le moment politique que nous vivons peut déboucher sur la fin de la démocratie ?
Le slogan « Vous ne nous représentez pas » est une des figures classiques de la contestation du gouvernement représentatif. Depuis la Révolution française, les représentants ont toujours été accusés de ne pas représenter les citoyens avec assez de fidélité, de ne pas être assez à l’écoute. Mais aujourd’hui, le passage au « Nous ne voulons pas être représentés » apparaît comme un tournant dans l’histoire de nos systèmes politiques. Cette critique qui émerge et s’exprime dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes est d’une radicalité nouvelle. Elle dénonce la trahison des représentants. Elle refuse le recours à la représentation pour l’organisation même du mouvement. Et elle prône des solutions politiques telles que le référendum d’initiative citoyenne ou le tirage au sort, qui renvoient à une tout autre forme d’expression de la souveraineté populaire que la représentation.

Cette critique radicale de toute médiation, celle des élus, des partis, des syndicats, marque une aspiration à la démocratie directe, dont les possibilités de matérialisation ne sont pas infinies. Soit on envisage une forme de « démocratie immédiate », pour reprendre l’expression de Pierre Rosanvallon, outillée par le référendum, les réseaux sociaux et les plateformes numériques, laissant espérer une forme d’autogouvernement du peuple à l’échelle nationale. On peut essayer de l’expérimenter, mais on n’a jamais vu qu’une telle forme de démocratie sans intermédiaires puisse s’inscrire durablement dans la réalité.

Soit on bascule dans un régime autoritaire, celui que proposent les « populistes » d’extrême droite, dans lequel un « peuple » prétendument homogène, défini par sa supposée « pureté » morale, a vocation à s’incarner dans la volonté d’un leader. Le risque, on le voit, est élevé.

“Il devient impératif de prendre enfin au sérieux le recours aux instruments d’interpellation ou d’initiative citoyen­nes tels que le référendum.”

Comment répondre alors à la crise de la démocratie ?
Si l’on considère qu’il est possible d’échapper à une dérive autoritaire, on peut faire le pari de certains théoriciens : inventer une alternative, celle par exemple du municipalisme libertaire de Murray Bookchin, penseur américain de l’écologie et de l’organisation politique. Elle consiste à faire reposer la démocratie sur des formes d’auto-organisation citoyenne à l’échelle municipale et sur un principe de fédération d’inspiration proudhonienne, où chaque entité locale envoie des représentants à l’échelle supérieure dans une logique confédérative. C’est un saut dans l’inconnu et les défenseurs de ce modèle n’ont pas encore eu la possibilité de l’expérimenter. Mais pourquoi pas ?

Et si on envisage de maintenir le cadre de la démocratie représentative ?
Il devient alors impératif de prendre enfin au sérieux le recours aux instruments d’interpellation ou d’initiative citoyen­nes tels que le référendum, pour permettre des moments de confrontation ou d’interaction entre les citoyens et leurs gouvernants dans l’intervalle entre les élections.

On peut également innover en se dotant de nouvelles insti­tutions. La proposition que j’ai faite, avec d’autres, d’une assemblée citoyenne du futur, fondée sur le tirage au sort et qui s’adosserait aux assemblées classiques issues de l’élection, permettrait de faire exister, dans l’espace de la discussion et de la décision politiques, d’autres points de vue, d’autres expériences, d’autres expertises.

Il faut aussi re­garder du côté de la « civic tech », ces nouveaux outils et nouvelles technologies qui peuvent améliorer le système politique. L’utilisation des plateformes numériques peut constituer une alternative, à condition qu’elles permettent aux citoyens de délibérer véritablement et ne soient pas de simples lieux de collecte d’opinions, de sondages améliorés.

Enfin, parce que la crise de la démocratie est d’abord celle de la médiation politique, il est indispensable de redonner sa place au Parlement, délégitimé par la Ve République et la pratique du pouvoir des présidents. Ainsi qu’aux partis politiques, qui ne jouent plus leur rôle d’éducation et de socialisation des citoyens et ne sont plus les instruments d’expression des intérêts de leurs membres, en particulier les plus démunis. On ne pourra pas substituer du jour au lendemain la démocratie participative à ces institutions essentielles.

“La pédagogie, les savoirs, les expériences valorisés par notre système scolaire ne sont pas compatibles avec l’exercice futur de la démocratie.”

Pensez-vous que la Ve République soit à bout de souffle ?
La Ve République a montré sa capacité à surmonter les crises, à assurer une for­me de stabilité politique, à protéger les titulaires du pouvoir contre les aléas des mobilisations et des crises. Il est donc peu probable qu’elle disparaisse de sitôt. Mais elle repose sur des logiques qui tendent à concentrer l’essentiel du pouvoir entre les mains d’un individu, le président : en délégitimant tous les contre-pouvoirs, en particulier le Parlement, elle l’exempte de la nécessité du compromis, de la recherche d’accords avec les partis d’opposition, et conduit à une pratique de la démocratie fort peu démocratique.

Par l’exemple qu’elle donne, cette forme brutale, verticale, du pouvoir n’invite pas les citoyens à développer leurs capacités de négociation et de fabrication du compromis. Nos délibérations sont souvent des dialogues de sourds, des épreuves de force, sans grande capacité d’écoute de l’autre.

Comment y remédier ?
Tout se joue à l’école. La pédagogie, les savoirs, les expériences valorisés par notre système scolaire ne sont pas compatibles avec l’exercice futur de la démocratie. On apprend à se comporter en individu compétiteur égoïste ; on ne développe pas l’esprit de coopération, le travail de groupe. On n’insiste pas suffisamment sur l’expression orale, qui prépare à l’exercice de la parole politique. Seul l’écrit est valorisé. On culpabilise ceux qui échouent.

A l’inverse, on survalorise ceux qui réussissent et se conforment à des modèles d’imitation de ce qui existe déjà. On ne favorise pas les capacités d’invention. Et on crée beaucoup de frustration, de sentiment d’illégitimité, de défiance à l’égard de soi-même et des autres en poursuivant cette pédagogie ultra compétitive, ultra individualiste, qui insiste sur les performances et les savoirs abstraits au détriment des savoirs d’expérience.

Malheureusement, les réformes en cours, Parcoursup par exemple, accentuent encore ces caractères antidémocratiques de notre système scolaire. Tout cela contribue largement à maintenir la distance que l’on voit aujourd’hui entre l’arrogance des élites sur-sélectionnées et sûres d’elles-mêmes et la souffrance en miroir de ceux qui ont échoué dans leur scolarité.

Le système légitime la domination des élites et cette forme d’exercice du pouvoir que nous connaissons aujourd’hui, l’épistocratie, qui confie la conduite des affaires aux experts : je gouverne au nom d’un savoir, d’une compétence, d’une qualité supérieure, au nom d’une excellence. Cette épistocratie est le produit de notre système d’enseignement, Emmanuel Macron en incarnant la quintessence.

Quelle en est la conséquence ?
Elle est grave, parce que la démocratie se définit par le conflit et la coopération entre égaux. Or, que voyons-nous aujourd’hui ? Ceux d’en haut se pensent comme meilleurs et ceux d’en bas ont intériorisé qu’on les voyait comme des inférieurs. Cette question revient en permanence sur les ronds-points : « Vous ne nous reconnaissez pas », « Vous ne nous considérez pas », « On va vous montrer ce dont nous sommes capables »… Le sentiment d’illégitimité est ainsi retourné en rejet des élites et constitue un des nœuds de la crise actuelle.

La démocratie n’est pas qu’une affaire d’institutions, c’est une forme de vie collective, une qualité des relations ordinaires entre citoyens qui se reconnaissent comme des égaux. Il faut parier sur elle et donner du pouvoir aux citoyens, même s’ils ne sont pas préparés à son exercice.

Loïc Blondiaux en quelques dates
1962 Naissance à Walincourt (59).
1994 Docteur en science politique (Sciences Po Paris). 
1998 La Fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages (Seuil).
2008 Professeur à Paris I-Panthéon-Sorbonne. 
2008 Le Nouvel Esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative (Seuil).
2011 Directeur de la publication de Participations. 
2012 Président du conseil scientifique du GIS « Démocratie et participation ».
2016 Membre du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme.

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