29 Janvier 2019
La mutation numérique, les enjeux écologiques et les transformations de l’industrie rendent de moins en moins pertinent le clivage entre centres urbains et territoires ruraux, explique le géographe Pierre Veltz dans une tribune au « Monde ».
Par Pierre Veltz
Tribune. En France comme ailleurs, la mondialisation a puissamment renforcé les emplois et les revenus des métropoles. Même si l’indicateur pose problème, on peut estimer que la moitié environ du PIB est produit dans les dix premières villes du pays (un tiers pour la seule région parisienne). Le réseau formé par cette grappe urbaine, fortement intégrée par le TGV, est un atout majeur pour la France. Elle permet en effet de bénéficier des effets d’agglomération urbains tout en limitant les effets de congestion.
Cette concentration soulève aussi de graves difficultés, illustrées par le mouvement des « gilets jaunes ». Une grande partie de la population aux revenus modestes ou moyens est poussée vers une périurbanisation mal organisée, émiettée en d’innombrables bouts de ville sans urbanité, à l’image de la fragmentation communale, qui engendre de fortes tensions sur les modes de vie.
Les enjeux écologiques exigent de repenser les métabolismes urbains à des échelles allant bien au-delà des zones denses
Ces effets occultent le fait que les inégalités territoriales et sociales restent en France nettement plus faibles que dans les pays anglo-saxons, sans parler des pays émergents ou pauvres. Comme l’ont montré les travaux pionniers de l’économiste Laurent Davezies, la redistribution publique (essentiellement par les transferts sociaux) lisse très fortement les écarts spatiaux, créant de fait un transfert massif de ressources des métropoles vers les autres territoires. Mais l’actualité montre que ces effets d’amortissement ont atteint leurs limites. Le discours sur les métropoles comme locomotives du pays ne passe plus, pour de bonnes raisons.
Perspectives très positives
Nous devrions donc réfléchir en priorité à de nouvelles formes actives (et pas seulement passives, résultant des automatismes de l’Etat social) de développement partagé entre les cœurs métropolitains et les territoires de faible densité.
La bonne nouvelle est que les mutations en cours offrent à cet égard des perspectives très positives. Le numérique devrait faciliter au plan régional ce que le TGV permet au plan national, c’est-à-dire des formes de croissance distribuée reposant moins sur les économies d’échelle que sur les économies de réseau.
Les enjeux écologiques exigent de repenser les métabolismes urbains à des échelles allant bien au-delà des zones denses. Pour l’énergie, la biodiversité, la gestion des déchets, les métropoles doivent inclure dans leur fonctionnement, sinon dans leurs périmètres institutionnels, ces espaces naturels avoisinants. Des contrats novateurs peuvent être envisagés, comme celui de l’alimentation en eau de Rennes, qui récompense les agriculteurs vertueux pour la protection des nappes.
Nouveaux paradigmes
L’intégration croissante entre industries et services ouvre la voie à de nouvelles complémentarités. Les liens entre les services, surtout urbains, et les tissus manufacturiers, surtout ruraux, pourraient être densifiés, dans un contexte où les immenses chaînes de valeur mondialisées vont sans doute se rétracter et réhabiliter la proximité. Les jeunes start-upeurs des cœurs urbains pourraient s’attaquer aux problèmes des populations et des PME ou TPE des zones peu denses, au lieu de multiplier les applications destinées à leurs seuls clones urbains éduqués.
Enfin, les grands secteurs de croissance que sont la santé, le bien-être, l’agriculture et l’alimentation, la mobilité, le loisir, l’éducation, sont porteurs de nouveaux paradigmes : ce sont des secteurs centrés sur l’individu, à la fois consommateur et coproducteur, et qui appellent moins, désormais, des biens et des services isolés que des systèmes collectifs fortement territorialisés. Par exemple, après l’âge de l’automobile-objet rangée dans son garage, vient l’âge de la mobilité comme service, multimodale, gérée par des organisations complexes à base territoriale.
Organiser les interdépendances entre ces espaces denses et moins denses n’est donc pas seulement un devoir de cohésion, c’est aussi une voie de croissance. Et pour les pouvoirs publics, il serait plus utile d’explorer ces pistes que de multiplier les politiques d’assistance aux villes moyennes, aux petites villes, aux zones rurales, etc.
Pierre Veltz est l’auteur de La Société hyperindustrielle – Le nouveau capitalisme productif (Seuil, 2017) et de La France des territoires (éditions de l’Aube, à paraître le 7 février).
Pierre Veltz (Ingénieur et sociologue)