8 Novembre 2018
Tribune. Roland Castro, «poète urbain» auteur du récent rapport «Du Grand Paris à Paris en grand», y fustige la catastrophe urbaine du XXe siècle et spécialement les villes nouvelles, fruits de l’action impulsée par Paul Delouvrier (1914-1995), dont il constate dans une note de bas de page qu’il n’était pas (lui) «un poète». Etre inspecteur des finances et préfet condamnerait-il toute sensibilité, toute aspiration à l’utopie ? Raisonnement un peu court.
Présent à toutes les époques depuis l’Antiquité et dans de nombreux pays, le concept de ville nouvelle paraît aussi vieux que celui de volonté politique. Sans remonter trop loin, qu’on songe aux multiples Villeneuve ou Villefranche que le Moyen Age nous a léguées. Seigneuriales, royales, impériales, administratives, entrepreneuriales, spirituelles… reflets des puissances et croyances du moment, les villes nouvelles sont des produits de leur époque qui proposent des réponses à des questions de leur temps en voulant souvent anticiper celles du futur. Parce qu’elles naissent d’une volonté politique, on les fabrique avec des principes. Les villes nouvelles s’appuient sur des fondements théoriques d’où, parfois peut-être, leur côté un peu hors sol notamment au début. Trop d’intellect ? Pas assez de chair ni de vibration ? Surtout, une édification sur un temps court qui leur confère une homogénéité que ne présenteront pas des villes sculptées plus longuement par les siècles.
Le mix habitat et emploi
Dans l’Ile-de-France des années 60, qu’a donc fait notre anti-poète ? Face aux problèmes d’engorgements, il a posé des réseaux de transport. Face aux besoins de logements, dans une région en pleine explosion démographique, il en a fait produire. Beaucoup. Tout en essayant d’implanter des emplois à proximité des habitations. Et parce qu’il n’y a pas que le travail dans la vie, il a prévu des espaces verts à vocation récréative. La planification d’alors se montrait trop rigide, elle n’est plus adaptée à notre contexte. Les théories fonctionnalistes encore en vogue au lancement des villes nouvelles ont vite montré leurs limites, et leur application a d’ailleurs rapidement été tempérée. On ne s’est pas totalement débarrassé des «zones» pour autant : difficile de faire un «village» d’une zone industrielle ou logistique… Le mix entre habitat et emploi a atteint sa cible en partie.
Sur le périmètre historique de Marne-la-Vallée, on compte un emploi pour un actif résident, et même un emploi et demi au Val d’Europe grâce à Disney, ce qui est exceptionnel à l’est de Paris. Cet emploi est-il occupé par un habitant du périmètre ? C’est vrai dans 50 à 60% des cas, certes pas autant que souhaité mais c’est un résultat loin d’être infamant. Le niveau de desserte reste de haut niveau, même si l’organisation du territoire tournée vers le réseau ferré lourd et l’automobile doit trouver les moyens d’une désaturation en s’appuyant plus et mieux sur les autres modes de transport pour les déplacements de faible distance. L’armature commerciale aura besoin de se renouveler, comme partout, dans un environnement en profonde recomposition.
Certains parcs, les abords de certains lacs, partie intégrante du système de gestion des eaux pluviales, ont trouvé leur usage, et des quartiers leur identité. Les habitants manifestent un attachement bien réel au territoire et à sa qualité de vie. Environ 60% des emménagés récents logeaient déjà sur le secteur et ont choisi d’y demeurer, 47 000 entreprises de toutes tailles y trouvent un cadre propice à leur développement. On peut manifester des regrets quant au rapport à la Marne, largement laissée de côté, tout en constatant que Chelles par exemple, située hors de la ville nouvelle, n’a pas eu besoin de celle-ci pour tourner le dos au fleuve.
De l’évolution des villes nouvelles
La ville qualitative produite aujourd’hui par EpaMarne et EpaFrance dans les écoquartiers de Bussy Saint-Georges et de Montévrain, ou au Val d’Europe, ne ressemble pas aux pièces urbaines décriées par Roland Castro. La ville nouvelle a laissé en héritage au territoire un opérateur apte à conduire des opérations complexes, et à mettre à leur service sa capacité d’innovation face aux transitions écologique et numérique. Arrive toujours un moment où une ville nouvelle ne mérite plus ce qualificatif. Son inscription dans la durée commence à la transformer, le caractère «organique» du tissu urbain se révèle au fil des mutations. La vraie question est alors celle de sa faculté d’évolution, du potentiel de «mutabilité» qu’elle recèle.
Le rapport de Roland Castro paraît extrêmement pertinent quand il insiste sur la métamorphose de l’existant comme moteur du «Paris en grand», il reste en revanche très sibyllin sur les moyens d’y parvenir, qui se heurtent bien souvent aux droits attachés à la propriété… Une question à laquelle, sans rêver d’un grand soir, il pourrait être utile de réfléchir à nouveau ? A partir de la fin des années 60, le «plan Delouvrier» a bravé un risque important : celui d’être appliqué, de sorte que nous avons aujourd’hui tout loisir d’observer et commenter ses effets. Une mise en œuvre à grande échelle de son plan… Fichtre ! Ne serait-ce pas là ce qui distingue principalement l’anti-poète de son contraire ?
Laurent Girometti directeur général des Établissements publics de Marne-la-Vallée EpaMarne/EpaFranc