18 Novembre 2018
"Mettez-moi de l'ordre dans ce foutoir!"
GILLES FUMEY 16 NOVEMBRE 2018
« Mettez-moi de l’ordre dans ce foutoir ! » [ou ce bordel] aurait grincé le Général de Gaulle en survolant l’Ile-de-France en hélicoptère au grand commis de l’Etat qu’était Paul Delouvrier.
A l’époque où le bololo n’existait pas encore en politique, le foutoir en question, c’était l’illisibilité du paysage urbain francilien pour un vieux général habitué aux cartes d’état-major. On avait construit à tout va des grands ensembles pour loger les rapatriés d’Algérie. On avait pensé aux transports collectifs bien tard, car l’époque était à la bagnole.
Avec le chantier du Grand Paris, tout est différent. La métropole dépasse les 10 millions d’habitants, la population croît toujours, l’agglomération pousse toujours plus loin sur les bonnes terres agricoles de la Brie, de la Beauce et de la plaine de France. L’architecte Hervé Blumenfeld, le juriste Philippe Montillet et l’historien Pierre Pinon ont travaillé dix ans à donner les grandes étapes de la constitution du territoire francilien. Un monstre comme on en voit peu dans le monde. Aucune métropole mondiale n’est aussi ancienne que Paris.
Sur les cartes anciennes, une fois tracés les fleuves et les rivières, les itinéraires, on représente ce qui fait obstacle à la vue et à la circulation : le relief. Mais progressivement, la création de l’Ecole des Ponts-et-Chaussées va orienter la perception de l’espace vers l’idée des projets. La fureur aménageuse n’est pas étrangère à cet outil qu’est la carte.
Mais chaque carte porte une vision. On y montre ce qu’on veut bien. On aime ce qui met de l’ordre dans le désordre (voir De Gaulle plus haut). On se soucie des délimitations locales pour gérer les conflits. Vers 1600, les buttes et les collines de l’Ile-de-France deviennent plus saillantes au fur et à mesure qu’on cartographie mieux les cours d’eau. Pour une raison très simple : il faut organiser les défenses et se servir de ces points hauts. Dès le début du XVIIIe siècle, l’approvisionnement en eau fait l’objet de cartes soignées avec regard, moulins, plâtrières… Progressivement, l’idée d’une dépendance de Paris à sa région prend forme. Les environs vont devenir comme nos balcons et courettes : des lieux de dégagement pour ce qui est trop encombrant. On commencera par les prisonniers avec les bagnes et le mauvais souvenir de la Bastille, les morts qu’on exporte plus loin que les abords des églises, puis tout ce qui relèvera de l’alimentation (halles aux bestiaux, halles des marchés de gros et de détail). Enfin, les cartes routières qui sont en train de vivre leurs dernières années avec le GPS.
L’atlas prend davantage de couleurs avec les plans d’aménagement, donnant le sentiment que tout se fait au dessin, que « l’intendance suivra ». Résultat : avec la démocratie numérique, les contestations montent, les aménagements sont contestés, les péages refusés. Le bras de fer avec les habitants ne fait que commencer. Est-ce le dernier atlas papier de ce qu’a été jusqu’ici l’Ile-de-France ? Ce n’est pas impossible.