L’aventure de Métropoles commence en 2005 quand Bernard Jouve, alors chercheur au laboratoire Rives de l’ENTPE, contacte Christian Lefèvre pour lui demander de monter avec lui une revue académique sur les métropoles. Cette demande n’est pas fortuite. Elle est la suite logique d’une collaboration et d’une amitié longues d’une petite dizaine d’années, qui se sont construites à travers la participation à des programmes européens et nationaux, de nombreuses communications dans des conférences internationales et la publication de plusieurs articles et ouvrages, toujours sur ce thème des métropoles (Jouve, Lefèvre, 2002 ; 2004). Cette précision est importante dans la mesure où ce qui va devenir Métropoles est le reflet d’une analyse et d’une conviction que Bernard Jouve et Christian Lefèvre partagent à l’époque : les métropoles sont des espaces politiques en gestation et en devenir. Il faut préciser qu’à l’époque cette question métropolitaine n’est pratiquement pas abordée dans les sciences sociales, tout au moins en France1 et en Europe. Ce désintérêt pour la chose métropolitaine est encore plus patent dans le débat public et dans les médias.
2Ce qui n’est alors qu’un projet de revue est original à plusieurs titres. Son thème tout d’abord, sur lequel nous reviendrons, mais aussi son approche, on pourrait même dire sa philosophie. L’idée est de faire une revue entièrement électronique et totalement gratuite pour l’usager. Le caractère électronique de la revue s’explique par le souci de raccourcir le temps de publication des articles, que les rédacteurs de Métropoles jugent beaucoup trop long dans les revues sur papier, ainsi que la possibilité d’avoir des articles de plus ou moins grande longueur et d’intégrer plus facilement des cartes, des tableaux et des images. La gratuité est voulue pour permettre un accès le plus large possible de la communauté scientifique mais aussi de l’ensemble des personnes s’intéressant aux questions métropolitaines.
3Dès le départ, Métropoles se présente comme une revue s’adressant prioritairement à la communauté scientifique francophone. L’idée est d’offrir à cette communauté un lieu de publication et de débat qui n’existe pas. La métropole – et plus généralement la ville – est en effet peu abordée dans les revues disciplinaires en sciences sociales. Il y a donc, pensent les corédacteurs en chef de l’époque, une place pour une revue de ce type car les questions métropolitaines sont phagocytées par les publications anglophones ou internationales, qui apparaissent peu sensibles à des problématiques ou des sensibilités propres au monde francophone, comme l’importance de l’État ou le rôle de la planification. Mais Métropoles n’entend cependant pas s’enfermer dans la francophonie ; elle se veut aussi une revue qui ouvre ses colonnes aux chercheurs du monde entier, y compris aux Britanniques et aux Nord-Américains, qui pourraient ainsi faire connaître leurs travaux aux chercheurs pour qui l’anglais s’avère une langue encore peu maîtrisée. C’est pourquoi Métropoles souhaite publier des articles directement en anglais et accepte la soumission de projets d’articles dans les langues les plus usitées en Europe (anglais, italien, espagnol, allemand et portugais). L’objectif que se fixent les deux premiers corédacteurs en chef est de parvenir dans les trois ans à publier autant d’articles en anglais que d’articles en français.
4Mais qu’est-ce que la question métropolitaine ? Plus généralement, quel est le périmètre à la fois scientifique, géographique et empirique de la revue Métropoles ? Bien qu’eux-mêmes issus ou fortement imprégnés de la science politique, Bernard Jouve comme Christian Lefèvre conçoivent Métropoles comme une revue résolument pluridisciplinaire, à l’image de leurs travaux. En effet, ceux-ci les ont amenés à se confronter avec d’autres disciplines comme la sociologie, l’histoire ou la géographie économique. Ils ont bien compris que la question métropolitaine ne se laissait pas enfermer dans une discipline particulière comme la géographie. C’est pourquoi la revue doit être pluridisciplinaire, c’est-à-dire qu’elle doit à la fois mobiliser des problématiques et des méthodes issues des différentes sciences sociales, s’adresser à une diversité de communautés disciplinaires et publier des articles provenant de la plupart d’entre elles, ce qui inclut aussi les publications hybrides que les Nord-Américains appellent le planning.
5En effet, l’apport de toutes ces disciplines est nécessaire pour aborder cette question métropolitaine que le premier éditorial de Métropoles, esquissé en 2006, soit un an avant le lancement officiel de la revue, présente de la manière suivante : « S’intéresser aux métropoles, c’est questionner et analyser les tendances lourdes qui conduisent à une remise en question des mécanismes sociaux, économiques et politiques fondateurs du “vivre ensemble”. Elles sont en ce sens les espaces à partir desquels se transforme la modernité et s’opère la critique des institutions, des identités collectives, des représentations dominantes relatives aux rôles, aux positions, aux fonctions remplis par les acteurs et agents qui agissent en leur sein. Dans le même temps, ce processus de déconstruction conduit à innover, à imaginer de nouveaux liens sociaux, de nouveaux rapports de solidarité, de nouvelles relations entre espaces constitutifs des métropoles, de nouveaux mécanismes de coordination de politiques publiques. C’est ce double processus de déconstruction/reconstruction qui est au centre des interrogations et des débats théoriques et empiriques de Métropoles. »
6Partant donc du principe que la question métropolitaine est une question internationale (ou mondiale) et transversale aux disciplines, les articles recherchés doivent soit présenter une dimension comparative internationale forte et s’insérer dans un débat à la fois théorique et empirique comparatif au niveau international, soit offrir au lectorat visé une ouverture empirique et/ou théorique sur d’autres pays et continents que la France et l’Europe. À l’époque, ce parti pris comparatiste n’est pas monnaie courante. En France notamment, les travaux sur les villes et le « local » manifestent une préférence assez nette pour la monographie. Les choses bougent toutefois dans la science politique urbaine, où l’on voit dans la décennie 1990 une série de thèses reposant sur un travail comparatif (cf. les thèses de Patrick Le Galès, Olivier Borraz, Lionel Arnaud ou Gilles Pinson, pour n’en citer que quelques-unes). Le périmètre géographique de la revue est donc la planète tout entière. Dès lors, la quête ambitieuse de telles publications potentielles peut commencer.
7Pour ce faire, la mise en place d’une organisation scientifique de la revue s’est avérée essentielle, à travers notamment la constitution d’un comité scientifique (ou comité de rédaction) et la mobilisation d’experts relais. Il a fallu une année pour constituer un premier comité scientifique et un groupe d’experts relais car ceux-ci devaient répondre à plusieurs critères alliant une représentation disciplinaire et géographique qui permettrait de couvrir l’ensemble du champ scientifique ou quasiment ainsi que les principales aires géographiques. Dans le cas d’une revue nouvelle, donc jeune et qui ne dispose pas d’un ancrage disciplinaire significatif, la tâche est d’autant plus ardue qu’elle implique de convaincre des collègues, dont certains sont déjà fort sollicités, de s’engager véritablement dans une aventure risquée, c’est-à-dire d’y consacrer plus de temps et d’énergie que dans une revue qui « tourne toute seule ».
8Le premier comité de rédaction était volontairement restreint (9 personnes) et comprenait 4 étrangers (2 Québécois, 1 américain et 1 Italien). Actuellement, il se compose de 21 membres, dont 5 étrangers (1 Belge, 3 Québécois et 1 Suisse). Les disciplines représentées étaient la science politique, l’histoire, la géographie économique, l’urbanisme, la sociologie et l’anthropologie. Il était assisté de 12 experts relais, tous étrangers, qui représentaient à la fois une discipline et une aire géographique (Amérique latine, Russie, États-Unis, Europe occidentale). Leur tâche était de faire connaître la revue dans leurs réseaux respectifs mais surtout de solliciter des articles auprès de leur communauté scientifique nationale.
9Se voulant gratuite, Métropoles doit donc trouver des financements externes. Le montage financier et technique de la revue a été principalement porté par Bernard Jouve. Les premiers financements sont venus de la région Rhône-Alpes, puis du ministère des Affaires étrangères (au titre de la francophonie) et du Plan urbain construction architecture (Puca). L’ENTPE et le CNRS ont apporté leur soutien logistique et financier pour le secrétariat de rédaction, la plateforme numérique et la production et diffusion de la revue, tâche qu’ils accomplissent encore aujourd’hui alors que les ressources apportées par la région ou le MAE ainsi que par le Puca se sont taries. Le Labex lyonnais Intelligences des mondes urbains apportera un temps une aide pour financer un secrétariat de rédaction mais, là encore, ce soutien fut temporaire. On peut d’ailleurs regretter que les deux Labex urbains – l’autre étant Futurs urbains sur le périmètre de Marne-la-Vallée – n’aient pas développé une politique de soutien à ces supports. Au final, la précarité des soutiens financiers a toujours rendu absolument vitale l’implication bénévole des équipes de rédaction.
10Un peu plus de dix ans après la parution du premier numéro de Métropoles, que peut-on dire du contexte à la fois politique, intellectuel et scientifique dans lequel évolue la revue ?
11D’abord, il est clair que les thématiques métropolitaines, longtemps orphelines, ont acquis une visibilité politique et médiatique sans commune mesure avec la seconde moitié des années 2000. C’est tout particulièrement évident en France. Ici, force est de constater que ça n’est pas la mise à l’agenda scientifique du fait métropolitain qui a permis cette montée en visibilité mais bien un événement politique. Cet événement politique, c’est le discours de Roissy dans lequel Nicolas Sarkozy, alors qu’il inaugure le satellite no 3 de l’aéroport Charles-de-Gaulle, lance une réflexion sur la gouvernance du Grand Paris. Détail amusant, un mois sépare le discours de Roissy, prononcé le 26 juin 2007, de la mise en ligne du premier numéro de Métropoles, le 21 mai de la même année. Suivront la création du syndicat mixte d’étude Paris Métropole à l’initiative de mairie de Paris et animé par Pierre Mansat, le lancement de la consultation d’architecture et d’urbanisme coordonnée par l’Atelier international du Grand Paris en 2010, puis la création de la Société du Grand Paris, en charge de la réalisation du réseau Grand Paris Express. Même si la séquence se traduit, au moins dans un premier temps, par une relative marginalisation des enjeux de gouvernance métropolitaine et réactive un tropisme bien français qui fait que, dès que l’on parle de ville et de métropole, on pense d’emblée architecture et infrastructure, elle a le mérite d’installer la question métropolitaine au cœur du débat public national. La presse nationale s’intéresse enfin aux enjeux métropolitains ! Au passage, il est cocasse de constater qu’il a fallu l’épopée du Grand Paris pour que les médias découvrent le phénomène de la coopération intercommunale, bien plus avancé dans les métropoles « de province » que dans la capitale…
12Cet intérêt politique et médiatique pour la métropolisation et les métropoles s’est bien sûr renforcé avec les lois successives qui vont inscrire la notion même de métropole dans le droit français. C’est la loi de réforme des collectivités locales de 2010 qui, pour la première fois, crée une structure de gouvernance appelée métropole mais qui ne produira d’effet qu’à Nice. C’est bien sûr la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) de 2014 qui ouvre la voie à la transformation d’une vingtaine de communautés urbaines et d’agglomération en métropoles et crée les métropoles du Grand Paris, d’Aix-Marseille ainsi que celle de Lyon. Ainsi, c’est bien la désignation par le discours politique et la règle juridique qui suscite la reconnaissance par les médias, et on peut l’imaginer le grand public, du fait métropolitain et des problèmes de gouvernance qu’il engendre.
13Ce regain d’intérêt pour le fait métropolitain se vérifie ailleurs dans le monde ! Après une longue éclipse correspondant aux années 1970 et 1980, on parle à nouveau de gouvernance métropolitaine un peu partout dans le monde. Après le démantèlement du Greater London Council et des metropolitan counties par M. Thatcher, les néotravaillistes ont reconstitué une structure de gouvernance métropolitaine à l’échelle du Grand Londres et, plus récemment, des combined authorities, forme de gouvernance pas si éloignée de l’intercommunalité française, ont refait leur apparition dans les grandes villes britanniques. Après un faux départ au début des années 1990, les città metropolitane ont enfin vu le jour en Italie. On pourrait multiplier les exemples de ce « printemps métropolitain ». La globalisation et la compétition territoriale qui en résultent ne sont bien sûr pas étrangères à ce regain. Mais, pour le coup, la gouvernance métropolitaine est abordée à nouveaux frais. Si les enjeux de rationalisation de la production des services d’intérêt métropolitain voire de redistribution étaient centraux dans les débats des années 1960, aujourd’hui la fièvre métropolitaine semble autant sinon plus portée par des enjeux de rayonnement et de visibilité internationale. Les termes nouveaux par lesquels la question métropolitaine est abordée ont d’ailleurs suscité des débats vifs sur le sens à donner à cette relance de la construction métropolitaine. La même année où Métropoles voyait le jour, l’International Journal of Urban and Regional Research était le théâtre d’une vive controverse – très britannique cependant – sur la signification du regain d’intérêt pour les city regions : outil de gouvernance et de rationalisation (Harding, 2007) ou instrument d’une néolibéralisation des politiques urbaines (Jonas, Ward, 2007) ? En France, si le débat est moins structuré et moins tranché, on discerne néanmoins des positions contrastées dans le petit monde académique qui s’intéresse à la gouvernance métropolitaine (cf. la recension de l’ouvrage de F. Desage et D. Guéranger [2011] publiée dans Métropoles par H. Reigner [2011]).
14Qu’en est-il du côté de la recherche en sciences sociales ? A-t-on assisté à un phénomène similaire de reconnaissance et de mise à l’agenda du fait métropolitain ? Autrement dit, le chemin tracé par Métropoles et ses fondateurs a-t-il été emprunté par d’autres ? À première vue, la réponse est positive. On a assisté depuis dix ans à une vague de créations de revues, souvent situées à la lisière du registre purement académique et de celui de la vulgarisation, comme c’est finalement assez fréquent dans la sphère des études urbaines. On peut citer Urbanités, créée en 2012 par une nouvelle génération de géographes déplorant qu’il y ait « encore trop peu de revues françaises consacrées à la géographie urbaine, ou plus largement au fait urbain, alors que les revues anglo-saxonnes telles que Urban Studies ou Urban Geography se consacrent spécifiquement à ce thème de recherche2 ». L’année suivante a vu la naissance de Tous urbains, fondée par des transfuges des revues Esprit et Urbanisme. Plus éloignée des formats académiques par le ton et la taille des contributions, Tous urbains publie les textes de contributeurs de la revue, qui revendiquent d’y écrire « librement3 », autrement dit en s’affranchissant des formats académiques et des procédures de peer reviewing. Bien sûr, il faut aussi citer Métropolitiques, dont la création en 2011 doit beaucoup aux débats suscités par la perspective de construction d’un Grand Paris. Enfin, la période a aussi été marquée par la multiplication des titres de presse faisant le pari que les espaces urbains secrétaient de plus en plus de débats et controverses, débats et controverses qui ne trouvaient pas leur place dans une presse quotidienne régionale engoncée dans un modèle éditorial hors d’âge et souvent prise dans des jeux de connivence avec les pouvoirs locaux. C’est l’époque où, à Nantes, naît Place publique, créée par Thierry Guidet, ancien journaliste d’Ouest-France, une revue de qualité mi-savante, mi-grand public vouée à éclairer le débat public sur une métropole en pleine recomposition. C’est l’époque où l’agence d’urbanisme de Bordeaux, dirigée par un transfuge de la recherche, Jean-Marc Offner, crée les Cahiers de la Métropole bordelaise. Plus récemment, on a vu apparaître un autre type de média qui atteste que les espaces publics urbains – au sens habermassien du terme – gagnent en épaisseur. Ces nouveaux supports se sont positionnés sur le créneau du journalisme d’investigation à l’échelle urbaine, là encore en rupture avec les pratiques de la PQR. C’est Marsactu, actif à Marseille depuis 2010, et plus récemment le « pure player » Médiacités, présent à Nantes, Lyon, Toulouse et Lille.
15Mais revenons aux supports les plus proches des standards académiques comme Urbanités, Tous urbains ou Métropolitiques. Si ces initiatives ont en commun avec Métropoles la reconnaissance du fait urbain et métropolitain, elles s’en distinguent par un ancrage dans des disciplines – la géographie, la sociologie, l’urbanisme et l’aménagement – pour lesquelles la ville est un objet finalement classique. Ce qu’il y avait de « disruptif » dans le projet initial de Métropoles, c’était de constituer la ville et les espaces métropolitains en objet politique. En France, le challenge n’était pas mince car la science politique, pour ne parler que d’elle, s’est constituée comme science de l’État territorial. Ainsi, ce qui unit les espaces du local et ce qui constitue la variable explicative majeure des phénomènes politiques qu’on y observe, c’est leur statut subalterne vis-à-vis du centre, de l’État, de l’espace national.
16Pour autant, si la science politique française a progressé dans la reconnaissance des espaces infranationaux et des villes comme objets politiques dignes d’attention et, si l’on reprend la typologie des modes d’appréhension de la ville dans les sciences sociales établie par Bernard Lepetit (1996) qui distingue la ville comme « cadre », comme « sujet » ou comme « objet », que constate-t-on ? D’abord, que la ville fournit des cadres, autrement dit des terrains d’enquête aux sciences sociales tout simplement parce que le monde s’urbanise. Ensuite, que pour une discipline comme la science politique, la ville commence à peine à être appréhendée comme « sujet », ou pour le dire autrement comme acteur collectif. L’activisme des gouvernements urbains, leurs initiatives et innovations, voire leurs activités diplomatiques sur la scène internationale commencent à être reconnus, mais le mouvement reste timide. Enfin, la ville peine à s’imposer comme objet. On entend par là que des sciences sociales comme la sociologie ou la science politique peinent à reconnaître que les phénomènes politiques urbains peuvent avoir des propriétés spécifiques. Pour le dire autrement, l’idée selon laquelle la ville ou la métropole, et les différents sous-territoires les composant, constitueraient autant d’environnements particuliers engendrant des phénomènes d’organisation, de mobilisation, d’expression et d’action politique peine à s’imposer. La sociologie politique, marquée en France par la perspective bourdieusienne, privilégie une analyse par le social et les luttes qui s’y déploient, laissant alors peu de place pour une reconnaissance de l’urbain comme variable dépendante. Même dans une revue comme Métropolitiques, reconnaître l’espace urbain et métropolitain comme variable dépendante est compliqué. Pour les géographes, sociologues et politistes qui se situent dans une mouvance bourdieusienne, il n’y aurait pas de phénomènes sociaux ou politiques spécifiquement urbains, et les discours – savants ou profanes – et les politiques qui veulent le faire croire visent à noyer le social dans le spatial.
17Métropoles est à notre sens le seul lieu de publication francophone sur les villes où les trois manières de penser la métropole – comme cadre, sujet et objet peuvent trouver une place. Cette revue reste accueillante à des travaux qui « urbanisent » non seulement les terrains, mais aussi les acteurs et les variables. C’est l’un des rares supports où l’on peut trouver des travaux qui s’intéressent à la manière dont dans certaines villes, en fonction de certaines caractéristiques propres à l’espace, à la société et à l’économie locaux, une capacité d’action collective a pu se constituer. L’un des rares supports où l’on peut encore publier des travaux de nature monographique mais offrant des perspectives de montée en généralité sur des thèmes comme la compétition politique ou l’agenda de politiques urbaines dans une métropole donnée. L’un des rares supports où l’on voit mobilisés des outils analytiques forgés par la science politique américaine – machines, régimes, etc. – pour comprendre les spécificités du politique en ville. Toutefois, comme le font très pertinemment remarquer Stéphane Cadiou et Julie Pollard dans leur article de ce numéro, ce support est de plus en plus investi par des collègues dont l’ancrage disciplinaire se situe plutôt du côté de la géographie et de l’aménagement-urbanisme et de plus en plus friands des outils analytiques fournis par l’analyse de l’action publique.
18Métropoles a-t-elle des équivalents à l’étranger et notamment dans la communauté internationale des études urbaines ? L’Urban Affairs Review pourrait être cet équivalent fonctionnel. C’est la revue de la section urban and local politics de l’association américaine de science politique. Comme Métropoles, elle a vocation de par son projet et son comité à ne pas être seulement une revue nord-américaine mais, dans les faits, une majorité des articles est consacrée aux villes états-uniennes. L’International Journal of Urban and Regional Research eut aussi à une époque un positionnement proche de celui de Métropoles. Jusqu’à la fin des années 2000, on y trouve un équilibre entre approches disciplinaires et des perspectives proches de ce que vise Métropoles. Cependant, par la suite, la revue a fait l’objet d’une captation par les géographes et notamment la fraction radicale et critique des géographes anglo-américains qui donnent le ton des études urbaines internationales actuellement. De manière générale, le monde académique anglo-américain est marqué par une méfiance de plus en plus vive entre des géographes réputés de gauche, d’une part, et des politistes soupçonnés de conservatisme par les premiers, d’autre part. Autant d’évolutions qui n’ont pas été favorables au maintien d’articles à la dimension proprement politique des phénomènes métropolitains dans les revues urbaines anglo-américaines. Et qui ont contribué à une sorte de retour à un statu quo ante : les phénomènes métropolitains sont redevenus l’apanage des disciplines « naturellement » appelées à s’en saisir et tout se passe comme si l’intrusion d’autres approches disciplinaires avait fait long feu ou se soit cantonnée à des enclaves thématiques (comme l’analyse des institutions par exemple). Dans l’espace francophone, on a assisté à une forme similaire de retour au statu quo ante mais sans doute pour d’autres raisons. En tout cas, si le local, l’urbain et le métropolitain ont été érigés en objet hype par la science politique et la sociologie politique dans les années 1990 et 2000, tel ne semble plus être le cas.
19C’est peut-être présomptueux de le dire, mais on peut penser qu’aujourd’hui Métropoles occupe un créneau assez unique dans le paysage de l’édition scientifique. La naissance de Métropoles a donc été permise, certes, par une sorte de bricolage organisationnel et financier, mais avec une ambition et une pertinence scientifique que l’importance accrue de la question métropolitaine confirme aujourd’hui. Elle est une des rares revues à prendre au sérieux non seulement le fait métropolitain, mais aussi l’hypothèse selon laquelle les métropoles constituent des environnements susceptibles de secréter des fonctionnements, pratiques et mobilisations spécifiques, notamment en matière politique. Cette hypothèse a de l’avenir si l’on en juge par la différenciation croissante des comportements électoraux des grandes villes. Métropoles doit tenir le cap. Longue vie à elle !