La construction de passerelles commerciales sur le fleuve va faire l’objet d’un « réexamen »

Les constructions rêvées par l’équipe Hidalgo autour de la Seine sont-elles en train de prendre l’eau ? Contesté par des élus et des associations, le projet de lancer sur le fleuve trois nouvelles passerelles accueillant des activités commerciales, financées par le privé, et la vente de droits à construire pour deux bâtiments sur l’espace public de la place Mazas (12e arrondissement), à l’angle de la Seine et du bassin de l’Arsenal, vont faire l’objet d’un « réexamen ». Comme d’autres opérations d’aménagement, au pont de Grenelle et au port de Tolbiac.

Un terme pudique qui pourrait annoncer la suspension sine die de plusieurs opérations lancées dans le cadre des « Réinventer », ces concours d’urbanisme chers à la Ville de Paris. Car, après le feuilleton mouvementé de la piétonnisation des berges, les bords de Seine menaçaient d’allumer un nouvel incendie.

L’adjoint à l’urbanisme, Jean-Louis Missika, a annoncé au Conseil de Paris, vendredi 16 novembre, le lancement à partir de janvier 2019 d’un « Atelier Seine » réunissant « toutes les parties prenantes », pour répondre au « besoin de dialogue sur ces projets » et définir une « doctrine globale »sur le « grand paysage de la Seine ». Une initiative justifiée par l’extension du périmètre des rives de Seine classé au Patrimoine mondial par l’Unesco depuis 1991, et par la définition d’une « zone tampon » autour de cette zone. Deux mesures approuvées, ce jour-là, lors du conseil.

« Ces nouveaux périmètres de protection obligent à repenser de nombreux projets, y compris ceux portés par le Port de Paris, et à définir un code de bonnes pratiques », explique M. Missika. Ironiquement, l’argument de l’Unesco, qui a permis à la maire de Paris, Anne Hidalgo (PS), d’imposer la piétonnisation des berges sur la rive droite, validée par le tribunal administratif de Paris le 25 octobre, se retourne contre d’autres projets de la municipalité. Mais l’Unesco n’était pas seule à s’inquiéter. Depuis quelques mois, l’opposition montait contre les opérations d’urbanisme lancées par la municipalité autour du fleuve.

Une association baptisée La Seine n’est pas à vendre !, animée par l’architecte Antoine Grumbach et l’ancien directeur adjoint des services d’urbanisme de la Ville de Paris, Bernard Landau, a été créée en juin pour tenter d’empêcher la « densification » et la « marchandisation » du fleuve et de ses quais. Rencontrant un fort écho, elle organise une réunion publique, mercredi 21 novembre, avec l’ambition de lancer un débat citoyen sur « la Seine, trait d’union du Grand Paris ».

« La Seine est une grande avenue paysagère, où l’on a toujours observé quelques règles simples, comme de ne jamais bâtir le long de la berge », insiste M. Grumbach. « De manière générale, on ne doit pas construire sur l’espace public, il est inaliénable,renchérit M. Landau. Mais la direction de l’urbanisme est devenue la direction de la valorisation foncière. »

« Un bien commun »

Le dossier était aussi politique. Les écologistes, qui ont déjà fait reculer la municipalité, fin septembre, sur son projet d’aménager des bars et des restaurants sur l’ex-voie ferroviaire de la Petite Ceinture, ont l’intention de mener autour de la Seine le même combat contre la « bétonnisation » et la « commercialisation » de la capitale. « La Seine est un bien commun, on n’a pas à la rentabiliser, tranche David Belliard, président du groupe écologiste au Conseil de Paris. Elle doit être accessible à tous et pas uniquement à des consommateurs. »

L’appel à projets pour les passerelles, pour lequel la ville a reçu pas moins de vingt-sept propositions, pourrait ainsi ne jamais voir le jour. Il est de toute façon soumis à un avis du Conseil d’Etat, saisi par le préfet de région pour vérifier la solidité juridique de ce modèle de ponts commerciaux. Même incertitude pour les deux bâtiments de sept et trois étages place Mazas, attribués au promoteur REI Habitat pour y installer des espaces de « coliving » et de « coworking ». Un projet à 30 millions d’euros, actuellement en phase d’étude.

« Je ne dirais pas que ces projets sont suspendus, mais la réflexion conduira peut-être à les modifier,tempère M. Missika. On doit réfléchir à la relation entre le fleuve et le bassin de l’Arsenal, veiller à ne pas rompre la continuité de la promenade le long de la Seine. » Les opposants, eux, plaident pour financer des ponts plutôt là où ils manquent, en dehors de Paris, et pour aménager un parc sur l’austère place Mazas. « Nous aurons cette discussion et nous essaierons d’arriver à un consensus, assure M. Missika. C’est aussi l’intérêt de nos appels à projets d’avoir fait émerger ces débats importants. »