22 Septembre 2015
Par Emilie Buono , Lucie Romano
"Le débat [de Notre] est derrière nous. On a maintenant une loi à appliquer", déclare à AEF Habitat et Urbanisme, mardi 15 septembre 2015, François Lucas, directeur de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris. "Globalement, la coquille n’est pas très pleine mais elle est jolie ! Et les élus vont la remplir", fait-il valoir, soulignant, à moins de quatre mois de la création de la MGP, que "la date du 1er janvier 2016 n’est pas une date couperet". Il revient sur les chantiers à boucler d’ici là (lire sur AEF), parmi lesquels un rapport sur le pré-diagnostic, qui servira à l’élaboration du projet métropolitain. Le préfet assure que "le sujet le plus difficile, celui du logement", "reporté d’un an" par la loi Notre (lire sur AEF), sera malgré tout travaillé "en 2016, en temps masqué, pour préparer l’adoption du PMHH".
François Lucas, préfet, directeur de la mission de préfiguration de la MGP
mission de préfiguration de la MGP AEF Habitat et Urbanisme : Quel regard portez-vous sur les dispositions relatives à la MGP, telles que votées dans la loi Notre ?
François Lucas : C’est un double compromis : entre les élus eux-mêmes, qui a abouti à la résolution d’octobre 2014 [lire sur AEF], et entre cette résolution et le gouvernement [lire sur AEF]. Il y a des frustrations, certains disent qu’on aurait pu faire autrement… En fait, la totalité de la résolution est reprise par la loi, à l’exception de l’autonomie fiscale des territoires, qui s’arrêtera dans cinq ans avec la perte de la CFE, et de la souplesse sur le transfert des OPH.
Mais le débat est derrière nous. On a maintenant une loi à appliquer, et elle est compliquée, du fait des trois niveaux [métropole, EPT, communes]. Une complexité qui est la rançon du compromis passé… Les élus sont désormais dans l’application, nous nous sommes donc organisés pour faire de la pédagogie et rendre cette complexité accessible à tous. Il y a encore quelques malfaçons, mais l’ordonnance [prévue par la loi Mapam] peut encore corriger des choses en matière financière et fiscale. Il y a aussi les inquiétudes liées au Fpic soulevées par le conseil des élus [et leur volonté de geler en 2016 sa progression inscrite dans la loi]. On verra ce qui se décide en loi de finances. Globalement, la coquille n’est pas très pleine mais elle est jolie ! Et les élus vont la remplir.
AEF Habitat et Urbanisme : N’était-il pas préférable de reporter la création de la MGP en 2017, comme le souhaitaient les sénateurs (lire sur AEF) ?
François Lucas : Impossible. À quelques mois de la présidentielle, c’était la mort assurée. La date du 1er janvier 2016 n’est pas une date couperet, mais "à partir de laquelle" les choses se passent, conformément au droit commun de l’intercommunalité qui laisse deux ans pour se mettre d’équerre… Dix compétences pour les EPT, dont sept obligatoires à titre exclusif et trois partagées avec la métropole, c’est faisable, même si cela suppose un effort au départ.
Il ne faut pas se tromper d’objectif. La machine est lancée. Sept ans pour faire la métropole depuis les initiatives de 2008, c’est très rapide, compte tenu des enjeux et du poids des pouvoirs politiques locaux. À Lyon, les élus ont fait une très belle opération, parce qu’en plus ils ont fusionné les compétences départementales. Mais ils travaillaient sur ce projet depuis 20 ans ! En Île-de-France, Pierre Mansat [alors maire-adjoint de Bertrand Delanoë] a commencé à prendre son bâton de pèlerin en 2001… L’idée métropolitaine est donc relativement jeune.
AEF Habitat et Urbanisme : La prochaine étape est la parution du décret sur le périmètre (lire sur AEF) ?
François Lucas : Oui, le périmètre de la métropole puis ceux des EPT avec une consultation pendant un mois de l’ensemble des communes concernées. Il y a encore des endroits où il n’y a pas de consensus, mais la carte idéale n’existe pas. C’est d’ailleurs pour ça que la loi l’a confiée à l’État… On est dans un espace fermé, donc les attentes des uns contredisent les attentes des autres. Il y a encore des rendez-vous pris à Matignon, on verra.
Le périmètre de la MGP est évolutif, et à terme, il bougera. Se reposera par exemple la question de Roissy, dans cinq ou dix ans. Mais il faut démarrer.
AEF Habitat et Urbanisme : Que deviennent les CDT ?
François Lucas : On est en train de travailler sur cette question, avec le cabinet de Jean-François Carenco. Son idée est que les CDT ont accumulé de la matière qui peut aider à fabriquer les projets de territoire. Il y a aussi l’enjeu des CDT "charnière", à cheval sur deux territoires, qui peuvent être utiles. Par exemple, celui qui court d’Aulnay-sous-Bois à Clichy-sous-Bois [Seine-Saint-Denis, lire sur AEF] est vertical sur les deux territoires du département et a été conçu le long de la ligne 16 [du GPE]. Si des projets communs sur l’axe futur du métro existent, il ne faut pas les empêcher.
AEF Habitat et Urbanisme : Mais est-ce qu’on n’additionne pas ainsi les périmètres ? Les élus voient-ils encore un intérêt à ces contrats ?
François Lucas : C’est compliqué, je vous l’accorde, et il y a des élus que cela inquiète. Mais le CDT est un outil de discussion avec l’État. Pour les EPCI et les communes isolées d’Île-de-France, cela a été l’occasion de parler de logement, d’aménagement, de développement durable, avec des fiches-action. Cette démarche d’instruction collective, il ne faut pas la perdre ! Personne n’impose que le CDT devienne le projet du territoire, mais les élus ne doivent pas repartir de zéro, et il y a des actions qui peuvent démarrer.
Une fois que les élus seront sortis des problèmes de montage juridique, financier, technique des EPT, la question du projet sur leurs territoires se posera. Il y a plusieurs cas de figure. Dans les trois territoires qui vont remplacer, à périmètre constant, des EPCI existants (GPSO, Plaine commune et Est ensemble), un projet commun existe déjà. Dans le cas des EPT qui vont fusionner plusieurs EPCI, des dynamiques sont déjà lancées. La principale difficulté demeure pour les communes isolées qui n’ont pas de culture intercommunale et vont devoir coopérer sur leurs territoires.
AEF Habitat et Urbanisme : Quels sont les autres chantiers à boucler avant le 1er janvier 2016 ?
François Lucas : Il faut qu’on avance sur le projet métropolitain, qu’on fabrique les outils pour le conseil métropolitain. On doit rendre un rapport sur le pré-diagnostic. On va aussi produire une note sur l’intérêt métropolitain. Par ailleurs, le conseil des partenaires va restituer ses conclusions en octobre. Ensuite, un conseil des élus se tiendra en novembre, au cours duquel les groupes de travail sur le développement économique, le logement et l’environnement diront où ils en sont. Ils n’auront pas tous achevé leurs travaux mais l’idée est de commencer à nourrir le projet métropolitain. Comment faire travailler les 131 maires ensemble ? Comment dégager un intérêt général, qui ne heurte pas de manière frontale leurs compétences ?
Le sujet le plus difficile, celui du logement, est reporté d’un an. On y travaillera quand même en 2016, en temps masqué, pour préparer l’adoption du PMHH. On était optimiste en voulant l’adopter fin 2016, ce sera décalé d’un semestre. Sur la qualité de l’air, le groupe de travail piloté par Daniel Guiraud [maire socialiste des Lilas et ancien président de Paris Métropole] avance dans ses travaux, et la COP 21 est un accélérateur.
AEF Habitat et Urbanisme : Qu’en est-il de l’aménagement, compétence de la métropole en 2017 ?
François Lucas : On a perdu un an sur le Scot. Car, en raison des procédures de consultation qui accompagnent cet acte juridique, la métropole ne peut pas lancer ce chantier avant le 1er janvier 2017. Mais le développement économique est une compétence métropolitaine dès le 1er janvier 2016, et d’une certaine façon, ces projets structurent par avance le Scot. En effet, on pourrait très bien choisir de soutenir trois ou quatre zones de développement économiques majeures, d’intérêt métropolitain. Si on veut concurrencer Londres, il ne faut pas tarder.
AEF Habitat et Urbanisme : Quelle sera la suite du calendrier ?
François Lucas : Un conseil des élus pourrait se tenir vers le 20 décembre, après la période de réserve liée aux élections régionales, pour vérifier que tout va bien. Puis en janvier, aura lieu l’installation du conseil métropolitain. Le conseil de développement (1) sera lui installé en février ou mars. Il reprendra sans doute beaucoup des membres du conseil de partenaires. Un conseil métropolitain doit aussi absolument se tenir en février pour des raisons de technique budgétaire : il faut qu’on fixe les attributions de compensation qu’on rend aux communes. Après ça, on pourra commencer à avoir une discussion sur le projet métropolitain, avec délibérations à la clef.
AEF Habitat et Urbanisme : Paris Métropole souhaite travailler de son côté à un projet stratégique pour la métropole [lire sur AEF], qu’en pensez-vous ?
François Lucas : Ce sont les mêmes élus qui travaillent dans le cadre du conseil des élus de la mission de préfiguration et au sein de Paris Métropole ! Ce qui compte, ce n’est pas l’étiquette, c’est le contenu et le fait que les projets soient portés. De toute façon, après le 1er janvier, l’organe décisionnel sera le conseil métropolitain. On pourra compter jusqu’à 20 vice-présidents, on aura de quoi faire ! Je pense qu’il en faudra plusieurs pour certains domaines, afin qu’ils travaillent de façon consensuelle.
AEF Habitat et Urbanisme : Il y aura aussi une réflexion sur la mise en place d’une aide aux maires bâtisseurs de la part de la métropole…
François Lucas : Oui, il faudra que les élus décident si cette aide aux maires bâtisseurs existe dès 2016 ou pas. On va regarder si on est capable de monter un dispositif, cela dépendra de la marge de manœuvre budgétaire de la MGP. Une baisse de 3 % de la CVAE entraînerait un budget utile de 30-35 millions d’euros [contre 65 M€ estimés à CVAE constante], ce qui n’est pas grand-chose.
AEF Habitat et Urbanisme : Comment entendez-vous travailler avec la grande couronne ?
François Lucas : La loi ne prévoit rien d’un point de vue institutionnel, les élus doivent donc réfléchir, et cela relève du règlement intérieur, à une réunion régulière avec les présidents des intercommunalités de la grande couronne. Il ne faut pas que les territoires hors métropole deviennent les nouveaux relégués, que l’on déplace le périphérique sur l’A86… Il y a par ailleurs d’énormes pôles de développement de la métropole, tels que Roissy ou Saclay et son potentiel universitaire, scientifique et économique, qui vont renforcer la région capitale.
AEF Habitat et Urbanisme : Qu’est-ce qui pourrait compromettre l’avenir de la MGP ?
François Lucas : Un dissensus à sa tête. Il y aura des moments de clivage normaux, tout le monde n’aura pas la même vision de l’intérêt métropolitain. Mais je ne vois pas le conseil métropolitain fonctionner autrement qu’en consensus. Il faudra que le bureau soit représentatif, qu’on trouve un mode de fonctionnement avec les présidents des conseils départementaux, la grande couronne, et le moyen d’association des EPT en tant que tels dans le conseil métropolitain.
AEF Habitat et Urbanisme : Quelles auront été les principales difficultés de votre mission ?
François Lucas : C’était de préfigurer quelque chose qui n’était pas stabilisé. Se convaincre que tout ce qu’on entreprenait n’était pas vain. Ce sont les élus de la mission qui ont demandé la réouverture des débats [parlementaires], on les a accompagnés, on a essayé de peser. On a bien fait d’y croire parce que cela va marcher.
AEF Habitat et Urbanisme : Quand la mission de préfiguration va-t-elle arrêter de travailler ?
François Lucas : La loi dit que la mission de préfiguration sera dissoute en juin. Mais elle s’arrêtera peut-être avant. Actuellement, nous sommes 18, chauffeur compris, dont deux mi-temps. C’était bien calibré, on y est arrivé. Pour le moment, mon équipe a à cœur de bien installer la métropole.
(1) Organe consultatif composé de personnalités extérieures à la métropole, il rassemble les partenaires socio-économiques, sociaux et culturels. Il est consulté sur les principales orientations de la métropole et proposition pour l’élaboration du projet métropolitain.