14 Février 2012
Dans L'Humanité
Une « tour Médicis» à Clichy-sous-Bois - Montfermeil
L'état a acheté une tour promise à la démolition pour y installer une résidence d'artistes liée à
la villa romaine. L'idée vient de Jérôme Bouvier, médiateur de Radio France.
Comment vous est venue l'idée de
mettre en lien une tour de 13
étages, en déshérence aux confins
de Clichy~sous-Bois et Montfermeil
. (Seine-Saint-Denis), à la
prestigieuse résidence d'artistes
qu'est la villa Médicis de Rome?
Jérôme Bouvier. J'ai été fasciné par
la désagrégation de certains quartiers
de Clichy-sous-Bois, bouleversé par
la mort de Bouna et Zied, happé par
cette ville que j'ai appris à aimer.
Avec le maire et les associations,
nous avons fait venir douze des plus
grands photographes pour qu'ils nous
offrent un regard différent. Ce fut «
Clichy sans clichés ». Puis ce sont
des écrivains que nous avons invités
en résidence pour écrire avec les
habitants le livre Clichy mot à mot.
Avec toujours la même idée: par la
culture, changer le regard sur les
quartiers.
En 2008, quand j'ai appris que cette
tour de bureaux, qui n'avait jamais
accueilli d'emplois, allait être
démolie, j'ai proposé aux maires de
Montfermeil et de Clichy, Xavier
Lemoine (UMP) et Claude Dilain
(PS), de défendre ensemble l'idée
d'une deuxième villa Médicis. Pour
que la culture française marche sur
ses deux pieds, pour qu'elle soit
ancrée dans son histoire, à Rome, et
projetée dans son futur, au coeur des
quartiers populaires. Les deux
municipalités ont été aussitôt
d'accord. Avec leurs différences,
elles croient toutes les deux à cette
idée qu'un projet culturel
d'excellence peut aider à résoudre
toutes les urgences sociales qui
frappent les habitants de ces
quartiers. Le 22 octobre 2010, j'ai
adressé au ministre de la Culture une
note lui soumettant ce projet, que
certains qualifient d'utopique mais
que je crois essentiel. Quelques jours
plus tard, il demande à visiter la tour.
Il est immédiatement convaincu.
En décembre dernier, l'état
rachète la tour. Mais le 'projet
retenu par le ministère de la
Culture est-il bien le vôtre?
Jérôme Bouvier. Oui ! Ce projet
n'aurait pas pu voir le jour sans
l'implication personnelle de Frédéric
Mitterrand, ministre de la Culture et
ancien directeur de la villa Médicis à
Rome. Il a su conyaincre les
administrations que cè projet devait
être d'un haut niveau d'exigence et se
construire en lien avec le territoire. Il
a su porter ce projet sur le respect
d'un consensus non partisan qui fait
sa force aujourd'hui.
En fait, vous avez renversé le
raisonnement. Vous placez le
potentiel de ces quartiers
populaires délaissés, stigmatisés,
au centre des gisements artistiques
de demain.
Jérôme Bouvier. Exactement. Qui
remplira les musées de demain ?
Quels artistes la France aura-t-elle su
faire émerger? Comment notre pays
peut-il espérer se tenir au niveau qu'il
ambitionne dans le domaine de l'art
sans se donner les moyens d'aller
puiser dans le formidable creuset
d'espoirs et de souffrances que
propose la banlieue? L'avenir de nos
sociétés s'écrit plus sûrement,
aujourd'hui, dans les périphéries de
nos villes plutôt que dans leurs
centres, que nous transfonnons en
musée de nos nostalgies.
Comment, concrètement, associer
artistes en résidence et gens du
quartier? Un gros obstacle sautera
lorsque ces villes ne seront plus
enclavées, lorsque le métro
automatique, prévu dans le cadre
du Grand Paris, et, plus tard, le
tramway s'arrêteront au pied de la
tour. Mais le ressenti ne se
focalisera-t-il pas sur le~ mille
autres urgences de ce territoire en
matière de travail, de pouvoir
d'achat, de logement, de sécurité?
Jérôme Bouvier. Effectivement, rien
n'est moins évident. Il est donc
nécessaire d'installer dans la tour, en
plus des résidences d'artiste de toutes
disciplines, des classes préparatoires
aux écoles supérieures artistiques et
culturelles, une école de la deuxième
chance, pour les jeunes déscolarisés,
formant aux métiers de la culture, du
numérique, de la gastronomie, ainsi
qu'une crèche, une salle de spectacle,
un lieu d'exposition, de projection,
avec une programmation permettant
aux habitants du quartier de
s'approprier le lieu.
Il ne s'agit donc pas de prendre la
villa Médicis comme modèle et de
la calquer dans le 93 ?
Jérôme Bouvier. Bien sûr que non!
Rome est une marque. Il n'est pas
question de la singer. La tour
Médicis ne se réduit pas à un slogan.
Elle est dotée de sa propre
originalité. Elle ne garde de la
marque que l'exception, les moyens.
Les artistes viendront puiser dans
cette zone de relégation, ils se
frotteront aux tensions, à la rugosité
des quartiers. Et, qui sait, cette
expérience revivifiera peut-être la
villa Médicis de Rome !
Mais qui en financera la
rénovation et le fonctionnement?
Jérôme Bouvier. C'est le vrai
problème. Le budget de cette
opération de réhabilitation, qui se fait
en consensus avec le conseil
régional, le conseil général, la Ville
de Paris, s'élève à 30 millions
d'euros. C'est beaucoup en cette
période de disette. Mais les symboles
ici rassemblés, la villa Médicis pour
son excellence, Clichy-sous-Bois et
Montfermeil pour les questions
posées au devenir de nos sociétés,
sont d'une telle force qu'ils peuvent, à
eux seuls, fédérer les énergies
nécessaires à un projet d'exception.
Ce grand squelette est d'ores et déjà
une promesse culturelle
Date de parution: 14.02.2012
Propos recueillis par Magali
Jauffret