3 Octobre 2011
un article de Sibylle Vincendon dans Libération
Le cas n’est pas fréquent, mais l’urbanisme peut faire des miracles. Même dans les endroits maudits. C’est arrivé à Medellín, en Colombie. Le récit de cette résurrection fait l’objet d’une exposition au Pavillon de l’Arsenal, à Paris. On y découvre que l’action des architectes et des politiques, quand ils font leur boulot, sauve du pire. Face aux problèmes des cités françaises, il est arrivé qu’on en doute.
Vu d’Europe, Medellín a mauvaise réputation. Jusqu’en 1993, quand le chef de cartel Pablo Escobar fut tué par la police, la ville était mise en coupe réglée par les narcos. Ils avaient un sens sûr de la géographie urbaine et profitaient à plein de l’enclavement de certains quartiers. Le démantèlement du cartel n’a pas mis fin aux trafics. Mais une fenêtre de changement s’est alors ouverte. En moins de dix ans, Medellín a entamé une remontée spectaculaire.
«Résistance». C’est ce chemin que raconte l’exposition de l’Arsenal. Alonso Salazar, le maire, était la semaine dernière à Paris pour l’inaugurer.«Dans notre ville, dit-il, le pouvoir s’était écroulé. Un maire avait été assassiné, les territoires pauvres n’étaient identifiés que par la violence.» Et puis, «à un moment donné, dans les groupes sociaux, une résistance réelle a commencé à apparaître». Les milieux culturels, les alters, les entrepreneurs, ce qu’on appellerait ici des bobos, ont dit, en résumé, que ça suffisait. Les acteurs économiques, en particulier, avaient grand besoin de sécurité pour assurer un business normal.
Au sein de l’école d’architecture, une nouvelle génération a imaginé comment être aussi malin que les narcos, mais dans l’autre sens : les malfrats profitaient de quartiers clos, les urbanistes, eux, allaient les ouvrir grâce à un vrai système d’espace public. Là où certains terrorisaient les populations, d’autres les feraient désormais participer au changement, du diagnostic aux solutions.
Ses concepteurs ont baptisé cette façon de faire «urbanisme social». Passant de la théorie à la pratique, ils se sont présentés aux municipales de 2003 et ont été élus. Le premier maire de cette génération, Sergio Fajardo, était prof de maths. L’actuel, Alonso Salazar, est un ancien journaliste.
Les nouveaux venus ont une méthode : Medellín est divisé en quatre secteurs ; sur chacun s’applique un «programme d’urbanisme intégral». Ingrédient de base : l’espace public. Il faut permettre aux gens de sortir du quartier. Les moyens concrets : rues refaites, liaisons retravaillées. Avec un effort particulier sur les transports collectifs, dont un téléphérique spectaculaire, le Metrocable.
Medellín est à 1 400 mètres d’altitude. La ville ancienne en fond de vallée, les pentes ont comme toujours accueilli les populations récentes. Plus on est haut, plus on est pauvre. Et plus le bidonville devient la norme. Santo Domingo est une de ces hauteurs. La violence y régnait, dans un lieu de non-droit coupé de tout ; désormais, le Metrocable mène les habitants du haut vers le bas, et inversement, le long de deux kilomètres de transport aérien. En prime, la grande bibliothèque de la ville, monolithe architectural, s’est implantée là.
«Nous avons constaté que ces projets urbains généraient une fierté», a dit le maire lors de sa présentation. Partout à Medellín, écoles, collèges, équipements sportifs font l’objet de concours d’architecture. «Nous avons transformé une infrastructure d’éducation très précaire en infrastructure moderne», précise l’élu. En neuf ans, les deux équipes municipales ont construit 100 collèges. Autant que tous les collèges publics parisiens.
«Fragiles». Medellín a de l’argent. La municipalité possède une entreprise qui produit, vend, exporte de l’énergie hydroélectrique. Bien géré, opérateur du Net, ce trésor n’a jamais été privatisé. C’est un peu comme si Lyon était propriétaire de la manne EDF.
«Ce qui s’est produit, résume Alonso Salazar, c’est une bonne rencontre entre des chercheurs et nous qui avions envie de faire de la politique.» L’élu n’est pas pour autant naïf sur la fiabilité des changements : «Les citoyens de Medellín ont toujours été dans ces vieux systèmes de faveurs, clientélisme, corruption. Nous allons vers des citoyens critiques. Mais le vieux système ne disparaîtra pas en deux jours.» Les progrès de Medellín, dit-il, sont «fragiles». Quand même, lors de l’inauguration, un des élus parisiens, Pierre Mansat, disait de l’expo qu’elle est «un exemple de ce que l’action politique peut de mieux».
A Medellín, la violence a diminué. De 380 homicides réputés pour 100 000 habitants en 1990, «nous sommes passés à 50», dit Alonso Salazar. Si les Franciliens vivaient l’équivalent, ils comptabiliseraient 7 000 meurtres par an. Le combat est constant : «Nous avons extradé des centaines de trafiquants vers les Etats-Unis et il en reste des milliers dans nos prisons.» Pour le maire, «le narcotrafic est un fantôme qui est là». Mais l’espérance aussi.