8 Octobre 2014
« Grand Paris : les ayatollahs de la
métropole ont perdu la bataille » – Patrick
Devedjian
Publié le 07/10/2014 • Par Jean-Baptiste Forray, Pierre Cheminade • La Gazette.fr
Le président (UMP) du conseil général des Hauts-de-Seine Patrick Devedjian vante l'accord qui
interviendra lors du conseil des élus de la métropole du Grand Paris, le 8 octobre. 2014. Au menu, «
deux EPCI distincts et compatibles ». D'un côté, la métropole pourvue de la cotisation sur la valeur
ajoutée des entreprises. De l'autre, les territoires dotés de la cotisation foncière des entreprises. Ce
consensus n'empêche pas le leader de l'opposition sur ce dossier de contester les domaines
d'intervention de la métropole. L'ancien ministre délégué aux libertés locales en profite aussi pour
tacler la réforme territoriale. Entretien.
Quels scénarios préconisez-vous parmi les cinq canevas présentés par la mission de
préfiguration de la métropole du Grand Paris ?
Je suis favorable au scénario qui donne la personnalité juridique et une autonomie fiscale aux territoires de
la métropole du Grand Paris. Dotés du statut d’EPCI, ceux-ci bénéficient, avec un pouvoir de taux, de la
cotisation foncière des entreprises. A la métropole, échoit la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Nous avons donc, dans ce scénario, deux EPCI distincts et compatibles. Le budget de la métropole, de
l’ordre d’un milliard, équivaut à celui de l’ensemble des territoires.
Vous êtes-vous mis d’accord, sur ce cadre, avec vos collègues du conseil des élus, avant la
réunion de l’instance le 8 octobre ?
Les communistes sont, depuis le départ, du même avis que nous. Les socialistes ont fait un grand progrès.
A l’origine, le président PS de Paris Métropole Daniel Guiraud était très hostile à l’autonomie fiscale des
territoires. La droite a finalement été suivie dans ses demandes. La gauche a pris acte que nous étions
majoritaires depuis les municipales. Elle a accepté, notamment qu’il n’y ait pas de PLU métropolitain, mais
seulement un SCOT. Nous n’obtenons pas, à ce stade, de compétences stratégiques pour la métropole. Mais
nous obtenons que les compétences de proximité soient exercées dans la proximité. C’est capital. Ce texte
est le plus décentralisateur possible. Je pense que le compromis est en bonne voie .
Votre scénario présente l’inconvénient d’ajouter une couche de plus au millefeuille
territorial…
C’est la loi qui l’a dores et déjà organisé. Je préfère un territoire, qui dispose d’une autonomie fiscale et
juridique plutôt qu’une délégation de fonctionnaires placée loin des habitants.
Le gouvernement est-il prêt à accepter le scénario que vous préconisez et la révision de
l’article 12 de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 lors du débat, cet automne au Parlement,
sur le volet « Compétences » de la réforme territoriale ?
Au printemps, la ministre de la Décentralisation Marylise Lebranchu, faisait de l’autonomie fiscale des
territoires une ligne rouge. Lors d’une rencontre, le 12 juin, Manuel Valls s’est montré très réservé. Mais il
devient difficile, pour lui, de récuser notre proposition. Je souhaite qu’il respecte le consensus des élus
locaux. Sinon, ce serait la recentralisation. Il se mettrait, alors, en place un « yoyo » dans lequel les
compétences et les personnels intercommunaux seraient transférés à la métropole pour être, ensuite,
délégués aux territoires.
Les députés sont-ils prêts à revenir sur ce schéma, issu directement de la loi qu’ils ont
votée l’an dernier ?
La question de la métropole du Grand Paris, structuration considérable dans la vie politique et
administrative, a été réglée par un simple amendement d’une brutalité et d’une complexité inouïe posé
devant la seule Assemblée nationale. Du jamais vu dans l’élaboration de la loi ! Cela nous pose encore mille
problèmes, car rien n’a été concerté et réfléchi. Au moment de l’acte II de la décentralisation, lorsque j’étais
ministre délégué aux libertés locales, nous avons instauré des assises des libertés locales. Nous avons
changé 50 % de notre projet.
Pourquoi souhaitez-vous que les territoires recouvrent les limites des départements ?
Pour mettre fin au processus absurde qui est à l’oeuvre. On nous dit que l’on va supprimer les départements
et, à la place, on crée les territoires qui, en l’état de la loi, sont des petits départements de 300 000
habitants. On multiplie donc le nombre des départements au prétexte de simplifier. Ce n’est pas très
sérieux. Nous avons 36 communes dans les Hauts-de-Seine. Le département est déjà pour nous le
rassemblement de l’intercommunalité.
Certaines communautés d’agglomération ont pourtant fait leurs preuves…
La gauche a créé l’intercommunalité en petite couronne avec la loi de 1999. Elle la supprime maintenant…
Dans la loi « MAPTAM », les 19 intercommunalités de la petite couronne sont rayées de la carte. Certains
veulent, aujourd’hui, les remplacer par d’autres. Ce n’est pas mon idée. Le département reste, pour moi,
l’intercommunalité la plus naturelle. A contrario, les communautés d’agglomération de la petite couronne se
sont créées pour des raisons fiscales, plutôt que de synergie.
Quelles doivent être, à terme, les compétences de la métropole ?
Confier les piscines et les conservatoires de musique à une administration destinée à six millions d’habitants
n’a pas de sens. La métropole, dans le schéma de la loi MAPTAM, absorbe les personnels des
intercommunalités. Le risque d’aligner leur statut sur celui, plus avantageux, des fonctionnaires de la ville de
Paris, est très présent. Voilà, là, un sujet évidemment explosif pour nos dépenses publiques ! Avec la
convergence des taux dans la métropole, les impôts seront multipliés par deux à Paris et dans les Hauts-de-
Seine.
Mais quels doivent être, in fine, les attributions de la métropole ?
Ses compétences doivent être exclusivement stratégiques et porter sur les opérations d’intérêt national
comme La Défense et Saclay, les aéroports, les ports, ainsi que les grandes voiries autoroutières comme le
périphérique et l’A86. Je songe aussi bien sûr aux transports. Sur cette question, interviennent le syndicat
des transports d’Ile-de-France (STIF), la Société du Grand Paris, l’Etat qui conserve la main sur Eole, la
RATP qui est bien une régie autonome, la SNCF ainsi que RFF. Sur le RER B, cogéré par la RATP et la SNCF,
il a fallu 15 ans de réclamation pour régler la question du changement de machiniste, mais pas plus.
Le grand mouvement de rationalisation de la gouvernance de l’Ile-de-France prendra du
temps…
Je ne demande pas que tout soit réalisé au premier jour de la métropole, le 1er janvier 2016. Toutes les
grandes métropoles internationales se sont construites avec des délais importants, faits de retours et de
repentirs. La plupart des élus aujourd’hui, en conviennent. C’est un élément de notre consensus. Les
ayatollahs de la métropole, qui voulaient tout bâtir d’un coup de baguette magique, ont perdu la bataille.
Pourquoi souhaitez-vous que, contrairement à ce que prévoit la loi « MAPTAM », le
logement ne fasse pas partie du champ d’intervention de la métropole ?
Parce qu’il s’agit d’une compétence de proximité. Construire, cela se fait à la petite cuillère. Les maires,
depuis les lois de décentralisation de Gaston Defferre qui a fait, là, une oeuvre utile, savent « inventer » le
foncier quand il n’existe pas. Une administration lointaine est incapable de cela.
La crise du logement est, malgré tout, très prégnante en Ile-de-France…
Elle est, avant tout, la conséquence de la crise du centralisme. L’Etat développe tous ses services en Ile-de-
France. Et, évidemment, l’économie se coagule à l’administration. La région parisienne est, maintenant, le
territoire le plus dense d’Europe, deux fois plus que ne l’est le Grand Londres. Pendant ce temps-là, 12 à 20
% des logements sociaux en province sont vacants car il n’y a pas d’emploi. Quel gâchis de deniers publics !
Mais comment comptez-vous répondre à la demande de logement qui n’a jamais été aussi
forte dans l’agglomération parisienne ?
On nous demande, dans les Hauts-de-Seine, de construire tant et plus. Je constate, dans le même temps,
que Paris a transformé ses logements en bureaux. Toutes les communes ont choisi de déroger à la loi, votée
sous le mandat précédent, qui prévoyait d’augmenter de 30 % le coefficient d’occupation des sols. La
population ne veut pas de densification !
Pourtant les écologistes eux-mêmes, y sont favorables…
Je suis subjugué par leur conversion. Car la densification, c’est la fin des espaces verts. Les écologistes
veulent changer la vie quotidienne des gens, malgré eux. C’est une atteinte à la liberté individuelle la plus
élémentaire.
Ne faut-il pas, cependant, fixer quelque objectif en matière de logement ?
On ne décrète pas que l’on va construire. Le schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF) est une
aimable plaisanterie. Dans les Hauts-de-Seine, on nous demande de construire 11 700 logements par an. La
précision du chiffre montre tout le ridicule de la chose.
Alors, pour vous, le SDRIF, c’est carrément le Gosplan ?
Le Gosplan était un modèle de simplicité à côté du SDRIF et de la multiplicité des schémas.
« Les Hauts-de-Seine ne sont pas un coffre-fort »
Vos dépenses sociales n’ont, cependant, aucune mesure avec celles de la Seine-Saint-
Denis…
C’est vrai. Mais cela tient au fait que la gauche en Seine-Saint-Denis a fait le choix délibéré, depuis 50 ans,
de refuser la mixité sociale. Cela a des conséquences.
Pourquoi contestez-vous les mécanismes de péréquation ?
Il est absurde, pour l’Etat, de donner de l’argent à des collectivités, puis de les ponctionner afin d’assurer la
péréquation. C’est une singulière tuyauterie. Les couches de péréquation s’additionnent les unes aux autres,
en fonction non de réalités, mais de réputations. On ne prend par exemple, jamais en compte dans ces
calculs notre contribution au Syndicat des transports d’Ile-de-France qui est quatre fois plus élevée que celle
des autres départements de la petite couronne. Je préfèrerais des ajustements directement sur la dotation
globale de fonctionnement allouée par l’Etat.
Considérez-vous toujours que la ville de Paris se comporte avec vous de façon
impérialiste ?
Le bois de Boulogne a été arraché aux Hauts-de-Seine. Pour quel résultat… Il est dans un état désastreux.
La ville de Paris ne fait aucune concertation avec l’interface. Porte d’Orléans, elle a mis des sens interdits et
rétréci les voies pour rendre plus difficile les entrées dans la capitale. Résultat : les banlieusards se
retrouvent pris dans des bouchons de cinq kilomètres.
C’est le syndrome de la ville-musée ?
Paris ne vit plus que sur deux piliers : ISF-SDF. D’un côté, les très riches. De l’autre, les très pauvres. Les
autres vivent en banlieue.
Comment jugez-vous le troisième acte de la décentralisation ?
Ce n’est pas une réforme de la décentralisation puisque dans les départements, on va supprimer les élus
des conseils généraux et renforcer les services des préfectures. L’Etat veut tout commander et ne rien
payer. Il est dans une impécuniosité absolue. Il n’entretient absolument plus son patrimoine. Mais il ne lâche
rien. Le chou à la crème de l’Etat vaut bien le millefeuille territorial.
L’exécutif semble, en tout cas, décidé à réduire ce millefeuille…
Je ne le crois pas. La preuve de cela, c’est qu’au mois de décembre 2013, la spécialisation des compétences
a été supprimée pour être de nouveau instituée en janvier 2014. En un mois d’intervalle, sur un sujet de la
plus grande importance, le sommet de l’Etat a changé radicalement de position. Il n’y a pas de pilote dans
l’avion.
Mais que pourrait recouvrir, alors, une véritable loi de décentralisation ?
Elle passe, par exemple, par le transfert, à nouveau, des aides à la pierre aux conseils généraux. Les
socialistes nous les ont reprises. L’Etat a embauché des fonctionnaires pour gérer cela. Les caisses
d’allocation familiale, dont le budget dépasse les 75 milliards, doublonnent avec les départements sur à peu
près tout : le RSA, les crèches… Il y a chez eux, des élections, dans le meilleur des cas, tous les vingt ans.
Personne ne discute l’existence de ces structures. Et pourtant…
Les collectivités n’ont-elles pas, elles aussi, des efforts à accomplir ?
Ce pays n’a même pas eu le courage de regrouper les 27 000 communes de moins de 1 000 habitants. C’est
un vrai scandale. L’Allemagne a divisé, elle, le nombre de ses communes par quatre. On pourrait regrouper
les départements par deux pour en avoir deux fois moins. Je pense notamment aux Hauts-de-Seine avec les
Yvelines. C’est le département avec lequel nous avons, et de loin, la plus grande frontière. Nous avons la
Seine et beaucoup de transports en commun.