Les Franciliens vivant au-delà de l’agglomération centrale voient se construire sous leurs yeux un projet présidentiel, d’une "importance capitale", dixit Nicolas Sarkozy. Un ministre est même spécialement chargé de ce dossier, Maurice Leroy, qui parle d’un "projet civilisationnel de ville-monde". Mais les habitants de l’Ile-de-France périphérique, bien souvent rurale, se sentent exclus.
Le conseil économique et social régional (CESR) d’Ile-de-France s’apprête à rendre public un rapport sur les "territoires interrégionaux et ruraux". Ce document remis jeudi prochain aux élus régionaux – et que le JDD s’est procuré – tire la sonnette d’alarme: "Les pouvoirs publics en se concentrant sur la zone agglomérée et ses extensions possibles conduisent certains élus et acteurs économiques […] et les populations à partager le sentiment d’être délaissés", écrit le rapporteur, Marc Rémond. Une situation qui "augmente les déséquilibres sociaux et territoriaux déjà constatés en Ile-de-France et en crée de nouveaux". D’où le "sentiment d’injustice des populations".
De même, Pierre Moulié, président de la commission de l’aménagement du territoire du CESR, pointe du doigt l’"inquiétude de nombreux élus et acteurs économiques sur le manque d’intérêt que semblent leur porter l’Etat et la Région". Dans le Val-d’Oise, par exemple, le "non-passage" de la double boucle de métro – le premier projet du Grand Paris – est très mal perçu.
Qui sont ces oubliés du Grand Paris? Ils représentent 10% de la population francilienne (1,2 million d’habitants) et 10% des emplois. Ces territoires, composés à 91% d’espaces ruraux agricoles et forestiers, couvrent 75% de la superficie francilienne. Ils englobent 725 communes sur les 1.281 de la région. Il s’agit de bourgs et de hameaux, mais aussi de trois villes importantes – Meaux (77), Mantes-la-Jolie (78) et Melun (77) – et d’une poignée de petites villes de Seine-et-Marne (Coulommiers, Provins, Montereau-Fault-Yonne, Fontainebleau, Nemours), des Yvelines (Rambouillet) et de l’Essonne (Etampes, Dourdan). Plusieurs de ces communes ont d’ailleurs comme maire une vedette de la politique nationale: Jean-François Copé (Meaux), Christian Jacob (Provins) ou le président du Sénat Gérard Larcher (Rambouillet)…
"La manière dont nous sommes traités est scandaleuse!"
Les habitants de ces territoires souffrent globalement d’un déficit de transports collectifs, de services (enseignement, santé, petite enfance…) et de logements sociaux. L’arrivée des "rurbains" a produit une forte hausse des prix de l’immobilier. La désindustrialisation a fait des ravages. Et même l’agriculture (5.593 exploitations) affiche des "coûts d’exploitation supérieurs aux autres régions". La filière agroalimentaire a d’ailleurs tendance à se délocaliser dans les départements voisins.
"La manière dont nous sommes traités est scandaleuse!", s’insurge l’ancien ministre UMP Yves Jégo, maire de Montereau. Il dénonce le "nombrilisme insupportable" de Paris et de sa proche banlieue, l’ "extraordinaire déshérence" de la grande couronne. "Le sud de la Seine-et-Marne n’a pas une salle de spectacles de plus de mille places, pas un CHU, pas une université propre… Peut-on imaginer en France une région d’un million d’habitants à ce point maltraitée? Nos habitants, souvent les plus modestes, sont assez franciliens pour payer des impôts, pas assez pour bénéficier des projets de transport du Grand Paris. Ils voyagent dans les trains en aluminium les plus pourris, les "petits gris" dignes du Moyen Age, aux tarifs les plus élevés." Voilà pourquoi Yves Jégo – qui enrage de ne "même pas apparaître sur les cartes du Grand Paris" – réclame la création de deux régions distinctes en Ile-de-France: le centre et la grande couronne.
Tous les élus ne sont pas aussi virulents. Frédéric Valletoux, maire UMP de Fontainebleau, espère "tirer son épingle du jeu", tout en voulant "casser la spirale de la cité-dortoir". Olivier Legois, maire centriste de Dourdan, redoute que les zones excentrées de l’Ile-de-France servent de dépotoir au Grand Paris: "Nos territoires n’ont pas vocation à supporter les nuisances de l’agglomération, les décharges, les couloirs aériens, les réserves d’hydrocarbure…" Quant aux transports, "on aimerait bénéficier, ne serait-ce qu’un petit peu, des milliards alloués au Grand Paris", soupire Franck Marlin, député-maire radical d’Etampes.
Dans son rapport, le CESR préconise de "conforter les activités agricoles et industrielles" dans ces territoires. Et de développer les secteurs du service, de la filière bois et du tourisme. Il suggère aussi de mettre en place des coopérations avec les autres régions du Bassin parisien. Ou encore de réfléchir à une gouvernance. Car ces territoires doivent trouver leur "identité propre" pour se démarquer de la métropole. "On met plus de temps pour venir à Paris en voiture et parfois en transports en commun qu’il y a vingt ans!", souligne Pierre Moulié. Les Franciliens excentrés ne veulent plus être des habitants de nulle part
publié sur le jdd.fr