24 Février 2011
QUADERNI
Communication, technologies, pouvoir
numéro 73 automne 2010.
La métropole parisienne : entre récits, paroles et échanges
Sommaire du dossier préparé par D.Pagès
> Dominique Pagès - la métropole parisienne et ses récits : du projet de territoire à une possible identité narrative dialoguée ?
> Cynthia Ghorra-Gobin - de la métropolisation: un nouveau paradigme ?
> Frédéric Gilli- Paris métropole est il un simple objet transitionnel ?
> Gilles-Laurent Rayssac- pour l’émergence d’un citoyen métropolitain
> Gustavo Gomez-Mejia - la métropole parisienne au prisme du réseau :réalités discursives et marqueurs symboliques
> Emmanuelle Lallement- Paris métropole marchande, entre singularité et uniformisation urbaine
> Sophie Corbillé- Paris Métropole à l’épreuve du vécu métropolitain des quartiers gentrifiés du nord est parisien
> Entretien avec Pierre Mansat
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L'article introductif de Dominique Pagès
INTRODUCTION AU NUMERO 73 de la Revue Quaderni / dossier dirigé par D.Pagès
TITRE:
LA METROPOLE PARISIENNE:
ENTRE RECITS, PAROLES ET ECHANGES
Pour une approche communicationnelle de la métropole parisienne
Dominique Pagès
Maître de Conférences
Celsa, Gripic, Université de Paris Sorbonne.
La fabrique symbolique des métropoles au fil de leur mise en récits, des échanges qui la constituent et des prises de parole de leurs habitants pour en commenter les leurres, en constater les métamorphoses et se les approprier au quotidien constitue le sujet de ce dossier qui privilégie ainsi une approche interdisciplinaire.
L'affirmation de la métropole parisienne dans un contexte de globalisation économique et de mondialisation culturelle passe par sa capacité à s'écrire et à se dire, à s'imaginer et à se partager. Un déploiement d'images et de textes plus ou moins inédits et contradictoires participe du devenir métropole qui s'impose à l'agglomération parisienne et appelle des interprétations actualisées tant la métropolisation est un processus complexe, à la fois global et localisé, à la fois politique et ordinaire. Mettant à l'épreuve le mythe de Paris mais aussi la forme, l'organisation et les modalités de vie de la Capitale, la métropolisation demande un renouvellement des analyses urbaines, des lectures symboliques et donc un dialogue entre des approches contrastées.
Au-delà de leur diversité thématique et disciplinaire, les articles de ce numéro affirment la possible place des individus, de leur parole, de leurs échanges, de leur capacité à agir dans la fabrique métropolitaine. Partant du constat que l'individu métropolitain est ou plutôt sera de moins en moins un habitant passif, soumis à une autorité claire, stable, lisible et unique, chaque auteur aborde à partir de son angle de vue la possibilité de ce dire et de cet agir, de ce possible investissement ( à la fois politique, culturel et médiatique ) des espaces et des temps de la métropole parisienne mais aussi de toute métropole à vivre et à rendre plus vivable encore.
Ce dossier part d'un choix volontairement restrictif pour aborder l'immense chantier de la métropolisation de Paris: envisageant la réforme du Grand Paris par le biais des récits, des paroles et des échanges, il cherche à actualiser le regard porté de manière parfois hégémonique par les urbanistes, les architectes et les spécialistes de la gouvernance en abordant la métropolisation par le biais de ses enjeux communicationnels. La métropole parisienne, principale concentration urbaine et économique française, cherche sa propre définition, sa forme et sa singularité; cette entreprise doit se situer par rapport aux approches d'autres villes, des grandes métropoles du monde mais sans s'y identifier. De là, l'importance de la construction plurielle, évolutive, contrastée du récit qui la conduit et des débats qui la dialoguent.
L'article de Dominique Pagès qui ouvre le numéro pose l'hypothèse d'une nécessaire mise en tension des récits métropolitains en présence pour que la dynamique métropolitaine se déploie: elle envisage ainsi successivement le patient récit mais quelque peu perturbateur de Paris Métropole, celui, épique, du Grand Paris et enfin celui, épars et contradictoire, mais se densifiant, de « la Métropole des individus » dans une perspective dialectique plutôt qu'oppositionnelle. Leurs formes et leurs logiques, leurs modes d'apparition et de diffusion différent mais les envisager ensemble lui semble indispensable pour prendre en compte la complexité métropolitaine et éviter toute velléité d'unification et de mise en ordre symbolique de celle-ci.
L’article de Cynthia Ghorra Gobin met en perspective les principaux éléments du discours sur le processus de métropolisation en s’appuyant aussi bien sur les corpus français qu’anglo-américains. La métropolisation se présente, depuis une dizaine d’années environ, comme un concept, voire même un « nouveau » paradigme toutes les fois qu’il est question de ville, de développement urbain et d’aménagement du territoire. Ce concept est principalement utilisé par les géographes et les économistes qui s’interrogent aussi bien sur les dynamiques spatiales à l’origine d’une extension de la ville sans aucune notion de limite que sur les ressorts de cette dynamique liée à la globalisation de l’économie. Suite à l’impulsion donnée depuis trois décennies par la nouvelle phase du capitalisme, indissociable des usages et diffusions des technologies de communication et d’information-, les sciences sociales parlent moins de ville que de « territoire métropolitain » ou de « ville-région. L’auteur souligne par ailleurs les ‘nouveaux’ coûts sociaux et écologiques engendrés par ce processus dans le but de clarifier les enjeux politiques, aussi bien pour l’Etat que pour les acteurs territoriaux.
Frédéric Gilli reprend à partir d'un regard plus politique les grandes étapes du récit qui ont jalonné la construction des termes d'une controverse sur le devenir métropolitain de Paris. Il pose l'hypothèse que le projet Paris Métropole serait avant tout un objet transitionnel qui aura permis de fixer les attentions et les discours sur « la nécessité d'un changement que personne n'osait nommer ». Il lui semble que, derrière la querelle sémantique, l'énoncé même de la notion de métropole est une condition pour avancer et transformer les débats en actualisant l'ancienne problématique du Grand Paris. En cela, la démarche Paris Métropole serait une approche de rupture, tant dans la méthode, la philosophie que dans les moyens. La notion et le projet « Paris Métropole » sont ainsi étudiés à partir de leur vertu transformatrice.
Gilles Rayssac questionne les possibles conditions de l'émergence d'un citoyen métropolitain, « le grand absent du projet Grand Paris ». La construction de la métropole ne peut selon lui faire l'impasse de la prise en compte du citoyen, de l'habitant, de l'usager et du passant. La métropolisation serait ainsi le creuset d'une nouvelle forme d'exercice de la citoyenneté, pouvant modifier la relation traditionnelle qui s'est établie entre les élus, les « techno-experts » et le citoyen ( à condition que celui-ci soit informé et formé). Dans quelle mesure les citoyens peuvent-ils définir leur cadre de vie? Comment passer d'une logique d'administration des territoires et d'exploitation de leurs ressources à une logique de ménagement des parties prenantes? Cet article pose concrètement la question de la gouvernance métropolitaine et de ses dispositifs.
Gustavo Gomez-Mejia poursuit par un état des lieux actualisé des formes dominantes de représentations de la métropole parisienne sur Internet. A partir d'un corpus de sites web, il interroge « les réalités discursives que coproduisent les dispositifs et les acteurs dans leur rapport aux différents marqueurs symboliques qui font métropole ». Déployant ainsi une lecture critique du projet métropolitain au prisme de Google, il en questionne les formulations qui « déterminent la circulation et la lisibilité », ainsi que la déclinaison médiatique plurielle des thématiques. Faisant le constat d'une prépondérance des discursivités prétendant à une expertise métropolitaine, il se tourne vers la place de la parole des habitants: celle que lui octroient les acteurs publics, institutionnels et experts; celle effective des habitants, au fil des forums et des réseaux sociaux. Si, de manière générale, les écarts entre le web institutionnel et le web vernaculaire tendent à se réduire, il ne semble pas qu'il en soit ainsi pour la question métropolitaine (ou bien sur les marges où se dessine une métropole latente, de la convivialité et de la solidarité, celle des activités et des affinités).
Emmanuelle Lallement interroge le rôle levier que l'échange marchand, ses situations, ses lieux et temps jouent ou pourraient jouer dans la métropolisation. Elle questionne la tension actuelle entre les discours dénonçant enseignes internationales et centres commerciaux de périphérie comme autant de facteurs d'uniformisation et les discours qui encensent les espaces marchands comme « l'âme de la ville », Paris étant liée plus que toute autre Capitale à son identité marchande. Après avoir esquissé une cartographie de la diversité des espaces marchands de la capitale, de leur statut, de leur localisation et temporalités, elle étudie le rôle structurant des commerces tant dans le renouvellement urbain que dans l'inscription de Paris dans un réseau de grandes métropoles marchandes. Selon elle, une certaine métropolisation est bien à l'oeuvre dans l'organisation des marchés, celle-ci semblant dépasser le conflit entre uniformisation marchande et singularité locale. Cet article s'annonce comme l'ouverture d'un programme de recherche sur la métropolisation marchande.
Dans une perspective plus ethnographique, Sophie Corbillé s'intéresse au vécu métropolitain, à cette forme de vie urbaine complexe dans laquelle on trouve à la fois: « l'expression d'un mode de vie », « l'instauration d'un ordre social urbain » et l'attachement fort au « local » mais aussi le fait de « vivre une expérience ». Partant d'une enquête menée dans les quartiers gentrifiés du Nord Est de Paris pour comprendre les parcours résidentiels de leurs résidents et leurs perceptions des transformations urbaines, elle se propose de montrer combien l'expérience métropolitaine s'appuie sur des lieux « branchés » et sur de nouvelles centralités fonctionnant sur une dynamique compétitive de la concurrence et de l'attractivité. Mais son article cherche surtout à mettre en évidence la persistance actuelle de la thématique de la frontière dans les paroles recueillies et, de là, la difficile émergence d'une appartenance commune entre les différents territoires de la métropole et donc d'une identité métropolitaine véritablement citadine.
Enfin, l'entretien mené avec l'adjoint au Maire de Paris, chargé de Paris Métropole, Pierre Mansat conforte la réflexion historique, médiatique et politique autour du projet lancé en 2001 et de ses évolutions qui s'est dessinée au fil des articles. Après avoir rappelé l'inscription progressive de Paris Métropole dans l'agenda politique, réaffirmé ses valeurs puis pointé les éléments de méthodes retenues pour faire naître « une conscience métropolitaine » et pour permettre l'émergence d'un lieu d'élaboration collective de politiques, Pierre Mansat précise son rôle d'impulsion et sa manière de faire de la politique dans le domaine de l'urbain mais aussi du culturel et de l'économique. Constatant l'absence de représentation médiatique claire et enracinée du territoire métropolitain, il rappelle la politique de communication mise en oeuvre avec sa délégation, ses choix concrets et revient sur le rôle de son blog, véritable « plateforme de la construction métropolitaine ». Enfin, il pointe sa responsabilité politique et celle du maire de Paris à aider les habitants à s'impliquer dans une citoyenneté future.
Ce numéro s'il ouvre ainsi un champ de recherches pour les sciences de l'information et de la communication, esquisse aussi quelques pistes pour les sciences politiques: la nécessité d'aborder la question de la gouvernance mais en se centrant plus finement sur le processus de décision en oeuvre ( dans la filiation des travaux de Lucien Sfez ); le besoin d'études plus poussées sur la « difficile concordance des temps entre les logiques et les temporalités en pratique dans l'administration, celles en usage dans la politique, celles enfin propres aux acteurs économiques »[1]. Ainsi, la métropolisation « dans tous ses états » semble augurer des travaux interdisciplinaires de longue haleine.
[1] Pistes explicitées grâce à l'attentive lecture de Serge Graziani qui, avec Emmanuel Taiëb, fut le premier lecteur de ce dossier. Je les remercie tous deux.
Le texte de mon entretien
Comment pouvez vous résumer aujourd'hui le projet de Paris Métropole, sa dynamique, son inscription progressive dans l'agenda politique?
Il faut se souvenir que, jusqu’à ces deux ou trois dernières années, le terme même de métropole était inconnu du langage politique. De ce point de vue, l’inscription à l’agenda politique de la question de la métropole parisienne a pu sembler soudaine. En réalité, l’apparition du projet de Paris Métropole est le fruit d’un long travail d’influence intellectuelle et politique que l’on peut faire remonter à l’élection de Bertrand Delanoë, en 2001. C’est à ce moment-là que s’engage politiquement le projet de renouveler les relations de Paris avec les collectivités territoriales d’Ile-de-France. Il a donc fallu d’abord inscrire cette nouvelle logique à l’agenda politique parisien, en faisant naître une conscience métropolitaine. Et très rapidement, ensuite, faire émerger des projets « d’intérêt commun », avec tous les niveaux de collectivités de l’agglomération, pour « déminer » l’histoire compliquée de Paris et ce qu’on appelait alors « sa » périphérie.
C’est autour de 2005-2006, que la dynamique parisienne devient une dynamique métropolitaine. La Conférence métropolitaine est alors lancée, comme un lieu informel où se rencontrent des élus de bonne volonté, disposés à plancher sans œillères ni présupposés sur ces questions. Alors que certains, du moins au début, voyaient dans la conférence métropolitaine un outil de dialogue entre Paris et ses voisins, d’autres – je pense à Daniel Guiraud, à Philippe Laurent, à Jacques JP Martin, notamment – ont rapidement affirmé qu’il fallait sans attendre réfléchir à une échelle plus large. Il ne s’agissait pas d’aider Paris à résoudre ses problèmes mais de résoudre les problèmes de la métropole: la question du logement, celle du développement économique, des déplacements, du rapport au savoir.
L’intervention de Nicolas Sarkozy, avec beaucoup d’opportunisme a évidemment changé la donne. Le chef de l’Etat, rompant avec des décennies de désengagement de l’Etat en Île-de-France, s’est très vite exprimé en faveur d’une communauté urbaine sur le modèle de ce qui peut exister à Lyon, Toulouse,… La désignation de Christian Blanc, comme secrétaire d'État chargé du Développement de la région capitale, mais surtout le lancement, avec le soutien de la ville de Paris, d’une consultation internationale, « le Grand Pari(s) de l’agglomération parisienne » ont donné à ce sujet une visibilité nationale. Les dix équipes pluridisciplinaires conduites par des architectes de renom ont accéléré la prise de conscience.
C’est sur ce fond politique, que la conférence métropolitaine s’est transformée en Paris Métropole, en 2009. Nous avons fait le choix de retenir la forme d’un syndicat d’étude pour faciliter la coordination des politiques publiques, l’émergence de projets partagés et la consolidation d’une culture métropolitaine. Aujourd’hui, donc, le projet de Paris Métropole, scène politique d’un genre nouveau, atteint une certaine maturité. Il incarne, avec les 108 collectivités membres, un lieu d’élaboration collective de politiques, où l’on vise à « agir en termes métropolitains ».
Comment décrivez vous le rôle politique que avez vous joué dans son émergence, son déploiement et son appropriation collective?
Le rôle politique que j’ai assumé a évidemment évolué à mesure que le projet métropolitain prenait corps, mais le mandat que m’a donné B. Delanoë a été constant sur un point : donner à Paris une place essentielle pour structurer cet élan. Il est impossible de nier que Paris ait à jouer un moteur dans la construction de cette nouvelle scène politique. C’est Paris qui donne au projet sa raison d’être, mais qui est surtout le lien nécessaire, le trait d’union entre les territoires. C’est également Paris qui doit convaincre que l’enjeu n’est pas d’installer une nouvelle forme d’hégémonie, mais bien de réunir des forces dispersées et le plus souvent concurrentes pour une mise en cohérence des projets.
Initialement, ce rôle a pris la forme d’un travail patient de connaissance et de reconnaissance mutuelle, pour restaurer la confiance avec les élus franciliens. J’ai voulu avancer sur deux plans : la connaissance et l’action. L’effort de compréhension a été important, compréhension de ce territoire et de ses enjeux, mais aussi de la manière de « faire la ville ». Par ailleurs, pour inventer cette autre manière de faire de la politique dans le domaine urbain mais aussi culturel, économique, il fallait impulser une foule d’actes concrets, quotidiens.
Cette manière de faire était directement issue de mon expérience d’élu en charge du conseil de quartier périphérique dans le 20ème arrondissement. C’est à ce moment-là que j’ai identifié ceux qui pouvaient constituer les défricheurs, mais aussi les « relais intellectuels » de cette nouvelle manière d’aborder l’action politique. En 1999, le réseau «Paris métropole ouverte» que je crée avec plusieurs personnalités qui s’étaient emparées de la question comme Yves Lion (il avait publié un manifeste décisif : «75021, appel pour une métropole nommée Paris») forme vraiment le laboratoire de cette action.
Arrivé à l’Hôtel de Ville, les services sur lesquels je devais m’appuyer avaient des moyens très limités. C’est pourquoi j’ai constitué très tôt un «comité des experts». L’idée était de réunir différents scientifiques pensant le sujet (géographes, urbanistes, architectes, économistes et sociologues) et de créer un lieu où des éléments d’analyse sur la place de Paris dans le système francilien se constituent.
Cet aller-retour entre réflexion et action est une sorte de spécificité de la démarche parisienne : les idées ont cheminé, marquées par des actes concrets. L’exemple récent d’Autolib’ témoigne du chemin parcouru. Paris aurait pu lancer ce nouveau service à l’échelle strictement parisienne. En le faisant d’emblée sur un bassin plus large(Paris a élaboré ce projet avec 30 collectivités), le gain est évident, pour l’écologie et pour les usagers.
Quelle place les médias ont selon vous pris dans la publicisation du projet?
J’aurais tendance à dire que cette histoire s’est construite malgré l’indifférence des médias, sauf exception. Le champ médiatique a longtemps reproduit le profond émiettement politique de l’Île-de-France ; Le Parisien, qui multiplie les éditions départementales mais a du mal à traiter l’espace métropolitain comme un ensemble, en est un bon exemple. Encore aujourd’hui, il est frappant de constater qu’il n’existe pas de vrai média métropolitain. L’analyse des échecs répétés (7 à Paris, Zurban, le supplément Paris Obs) ne me semble pas avoir été faite.
Le territoire métropolitain n’a pas ainsi de représentation médiatique, ou alors sous des formes limitées : la page « Grand Paris » de 20 minutes continue de constituer une exception. J’ai toujours considéré que cette absence de représentation collective était, en soi, un problème politique. Elle freine considérablement la construction d’une identité partagée. C’est pour cette raison que j’ai tenté d’accompagner tous les projets qui ont émergé à Paris pour créer un media métropolitain. Le dernier-né, Mégalopolis, bimestriel, diffusé depuis février, qui se donne pour but d’accompagner l’émergence du grand Paris au travers de sujets de société, de politique ou encore de sports et culture, aura peut-être plus de chance que ses prédécesseurs. Il est vraiment temps de combler ce manque. C’est d’ailleurs vrai de la presse populaire, comme des publications plus ciblées. Je ne connais pas à Paris d’équivalent de Place publique, la revue de débat sur les questions urbaines qui a accompagné l’émergence de la métropole de Nantes/ Saint-Nazaire.
Cette place modeste dans les médias s’est progressivement élargie à mesure que la conscience métropolitaine s’est enracinée. A partir de 2007, bien sûr, autour des résultats de la consultation internationales, aussi. On a pu alors s’appuyer sur la continuité de l’engagement parisien, sur le réseau constitué autour des quelques défricheurs du sujet, mais aussi de tous ceux qui ont, à un moment ou à un autre, tenté de faire naître ce média métropolitain.
Il faut souligner, quand même, que quelques journalistes se sont intéressés très tôt à la question. Ils ont joué un rôle essentiel, que cela soit autour de Paris Obs( Guillaume Malaurie) ou de Libération ( Sibylle Vincendon). Mais, à l’exception du débat politique au sens étroit, ce sujet continue d’exister difficilement dans les pages des quotidiens, même pour un journal de référence comme Le Monde.
Quelle politique de communication avez-vous mis en place pour accompagner votre action? et, rétrospectivement, quelles ont été ses forces et ses faiblesses?
Face à ce silence, et avec des moyens extrêmement limités, une politique très ciblée a été mise en place. On n’avait pas d’autre choix que d’occuper des espaces moins médiatiques, mais qui permettaient d’installer le sujet et ainsi de s’imposer dans le champ intellectuel, avant d’accéder à une plus grande visibilité médiatique. La politique de communication s’est donc appuyée sur l’organisation de séminaires, de colloques, relayés essentiellement au travers de publications et d’expositions.
Toute l’action de coopération autour de projets que je conduisais a été ainsi rythmée de moments de remise en perspectives, de réflexions partagées. Je ne vais pas en faire la longue liste, mais certains ont fait date. En 2002, l’exposition L’archipel métropolitain, montée à l’Arsenal (et rapidement suivie d’un livre qui a réuni plus de 100 auteurs.) a posé les bases de la problématique métropolitaine. Rétrospectivement, on peut dire que les grands thèmes dont on discute aujourd’hui y sont déjà posés.
Je crois que cette communication n’a été crédible que parce qu’elle n’a jamais oublié les projets très concrets. Au contraire, elle revisitait le « réel » des Parisiens mais pour constituer le point de départ d’un projet politique. Le travail que j’ai lancé autour du périphérique avec l’édition d’un collectif d’architectes, Tomato, est emblématique de cette approche. Pour la première fois, il s’agissait de regarder le périphérique non pas seulement comme un ouvrage de voirie ou comme générateur de nuisances, mais comme la « ville du périphérique ». Ce livre a marqué le début d’une réflexion très riche autour de ce symbole, poursuivie entre 2006 et 2008 par une étude d’insertion urbaine co-dirigée avec la Région et menée en concertation avec les villes riveraines.
Le programme de recherche conduit par Annie Fourcaut sur «l’histoire de Paris et de ses banlieues à l’époque contemporaine» est un autre jalon important. En termes de communication et sur le fond. Il a corrigé un cliché largement installé, en permettant de montrer que les rapports Paris / Banlieues ne pouvaient pas être réduits à l’histoire binaire de la domination unilatérale d’un centre omnipotent et prédateur, et de la relégation de périphéries uniformément misérables et servantes.
En plus de ces outils classiques, nous avons vite fait le pari d’utiliser les nouveaux supports de communication pour diffuser les résultats de ces travaux et faire connaître les premières réalisations. Le site internet de la Ville, www.paris.fr a constitué un relais intéressant. On l’a investi pour en faire le miroir de toute notre action. On y trouvait, dès 2002, à la fois le compte-rendu des projets bilatéraux développés par Paris mais aussi un espace de «contributions et débats», qui est très vite devenu le lieu de diffusion des réflexions des experts, français et étrangers, que nous mobilisions. La création de mon blog (www.pierremansat.com) sous le nom de « Paris Métropole fédérée » m’a permis de disposer d’un support moins institutionnel et plus propice à une expression politique. J’en ai fait, au cours des années une véritable plateforme de la construction métropolitaine.
Enfin, dès décembre 2001 nous avons lancé une lettre trimestrielle, Extramuros. Diffusée gratuitement jusqu’en 2008 à tous les élus et professionnels du secteur mais aussi à tout particulier qui en faisait la demande, elle rend compte de l’actualité de la coopération territoriale et du débat d’idées. Si la diffusion ne dépassera jamais les 7000 exemplaires, cet outil contribue à faire connaître le sujet.
En définitive, la communication sous différentes formes a toujours obéi à une politique de stimuli de la pensée métropolitaine. Dans le fond, je crois que cet axe politique n’est devenu visible que parce qu’il a contribué à rendre plus apparents des enjeux plus profonds. Tout l’effort a consisté à savoir changer de formats, de supports et à renouveler les acteurs, selon les moments politiques. Mon cycle de conférences mensuelles, les Mini-métropolitaines, vise aujourd’hui à convaincre les cadres de la Ville de Paris d’adopter un nouveau mode de réflexion.
On peut considérer que la combinaison de ces différents outils a permis, malgré leur modestie, l’émergence en à peine 10 ans, d’un sujet qui n’existait pas sur la scène politique. La principale faiblesse est de ne pas être parvenu à créer assez tôt un événement suffisamment marquant pour conserver le temps d’avance que nous avions.
Pensez vous que l'actuel débat public autour de la question de la gouvernance soit accessible aux citoyens?
Le débat tel qu’il est posé, il faut le reconnaître, est assez inaccessible. La question de la gouvernance a en effet été appropriée par un débat très expert. La toile de fond est vraiment difficile à démêler pour les citoyens, qui ont du mal à se repérer dans l’enchevêtrement de structures, de compétences et financements : commune, intercommunalité, département, région…
Ce constat est assez décevant pour moi qui ai toujours pensé que le projet métropolitain avait comme premier objectif de répondre aux difficultés quotidiennes des habitants de la métropole. On avait là une occasion rare d’inventer les termes d’un débat citoyen avec une part de démocratie participative. Le risque, c’est donc bien que Paris Métropole se contente d’être un cénacle d’élus, car nous n’arriverons à avancer qu’en faisant la preuve de notre aptitude à faire consensus sur des projets partagés.
Je crois que pour que l’enjeu de la gouvernance suscite un vrai intérêt, il faut s’en donner les moyens. Ce n’est pas seulement une question de pédagogie, mais bien de trouver des formes de la démocratie en rapport avec la réalité métropolitaine. J’ai tenté à différentes reprises de renouveler l’exercice. A la Maison de l’Europe, par exemple, dès la fin 2007, nous avons monté des débats publics intitulés « entre villes et métropoles ». Le fonctionnement métropolitain était débattu sous l’angle de la vie quotidienne des habitants (ségrégation scolaire, intégration de la logistique en ville, l’immigration comme richesse et source de créativité…) avec, en ligne de mire, la comparaison avec des métropoles européennes.
L’expérience de débat citoyen que nous avions conduite avec Anne Hidalgo, « Imaginons Paris, ensemble demain » a fait la preuve de l’intérêt de cette démarche. L’enjeu, bien de sortir la question métropolitaine du champ clos des élus, en posant les bases d’une démocratie des usages, ce qui veut dire oser interpeller tous les usagers de Paris (touristes, métropolitains, parisiens) sur l’avenir de la Ville. Spontanément de nombreuses propositions portaient sur la gouvernance et elles ont provoqué des échanges très mûrs. Les difficultés liées à l’émiettement de la métropole étaient évoquées en des termes très justes.
Je crois donc qu’il en va de notre responsabilité politique de construire ce débat, car poser la question de la gouvernance c’est répondre à une exigence démocratique : aider les habitants à assumer leurs responsabilités, à s’impliquer dans une citoyenneté active.
De quel modèle métropolitain vous sentez vous aujourd'hui le plus proche en termes de valeurs et de projets?
Je ne sais pas si on peut parler en termes de modèle métropolitain, mais il est important de savoir, en revanche, autour de quelles exigences on souhaite construire la métropole parisienne. Et d’affirmer que la métropole doit être porteuse de valeurs. Car on sent bien que l’équilibre social de la métropole se rompt, qu’on assiste à une mécanique perverse de dissociation de la métropole.
On ne construit pas une identité métropolitaine en ayant pour seule boussole la volonté d’éviter des émeutes, ni même celle de bâtir des poches d’excellence. Il faut faire métropole pour réconcilier les différents territoires qui la composent. Le mécanisme de segmentation des territoires est dangereux pour ceux qui sont relégués, mais aussi pour ceux qui acceptent de se laisser enfermer dans un entre-soi désiré, parce qu’il est censé les protéger. Il met en cause l’efficacité de l’économie métropolitaine, provoque un scandaleux gâchis collectif de talent et d’énergie, empêche l’émergence d’une identité métropolitaine positive.
Je souhaite une métropole inclusive qui fasse vivre et grandir les formidables potentiels du territoire, qu’une meilleure coordination pourrait faire éclore ou pousser à leur pleine maturité. « Vu de Tokyo ou de New-York, Paris et Clichy-sous-bois, c’est la même chose » : car si Paris est connue pour sa qualité de vie, elle l’est aussi pour ses émeutes et ses violences urbaines. Si de Tokyo ou de New York, Roissy ou la Défense c’est Paris, de Tokyo ou de New York, la Seine-Saint-Denis, c’est aussi Paris.
Bien sûr qu’il fallait réparer des décennies de relations d’indifférence, voire de mépris, entre Paris et périphérie. C’était le premier enjeu. Mais cela ne suffit pas, il nous faut accélérer pour répondre aux inégalités et savoir offrir à tous ceux qui vivent dans la métropole un projet qui réponde à leurs attentes, en matière de transport, de logement et d’emploi, mais aussi en étant solidaires, et accueillant et tolérant.
Malgré sa puissance, la capacité de cette métropole à participer pleinement à l’accroissement des interactions avec les autres régions métropolitaines internationales, à s’assurer durablement des avantages compétitifs et à savoir attirer la recherche, les activités et les actifs internationaux les plus mobiles les plus créatifs et les plus diplômés est en question. Cette capacité à rayonner doit être renouvelée et doit prendre appui sur le territoire dans lequel elle trouve ancrage : le rayonnement de la métropole ne saurait être « hors sol » si l’on souhaite qu’il soit durable.
Plus encore, c’est la possibilité d’associer excellence et solidarité qui fait problème dans notre environnement économique ouvert, incertain, et producteur d’inégalités croissantes. Ce chantier de la solidarité financière est indispensable et urgent pour que ce territoire fonctionne mieux et crée de nouvelles richesses au profit de tous. Paris s’est engagée, le 5 décembre 2007 à Vincennes, à contribuer à cet effort de solidarité.