17 Décembre 2010
DE SHANGHAI AU GRAND PARIS*
Pierre Mansat
Jean Luc Laurent
Avec l’élaboration du Schéma Directeur de la Région Ile-de-France, l’ouverture d’un dialogue métropolitain par le maire de Paris, puis la création de Paris Métropole, mais aussi les initiatives du président la République aboutissant à la création d’un Secrétariat d’Etat à la Région Capitale… rarement les enjeux urbains n’ont été l’objet d’un débat aussi vaste et approfondi. La discussion est parfois mal posée et comme plombée par des comparaisons internationales peu rigoureuses. « Ville-monde », « mégapole », « ville globale »…les concepts élaborés par les sciences sociales passent dans le vocabulaire politique sous des formes polémiques. Certains agitent le spectre d’un décrochage parisien annoncé. A l’inverse, Shanghai est présenté comme le phare urbain du jeune siècle. C’est avec ces éléments en tête qu’au sein de l’association Paris-Ile-de-France Shanghai nous avons conçu une semaine d’échanges franco-chinois à l’occasion de l’Exposition Universelle.
Laissant de côté les comparatifs internationaux délicats pour des villes s’inscrivant dans des histoires et des rythmes radicalement différents, nous avons privilégié les échanges entre praticiens français et chinois pour confronter leur manière d’appréhender le patrimoine urbain et naturel, le tourisme, le développement durable ou la question du financement. Pour conclure, la semaine une journée complète a été consacrée à la consultation internationale du Grand Paris en présence de sept des dix équipes.
Pour commencer, un paradoxe : Shanghai a de nombreux enseignements à livrer sur la question du patrimoine.. A l’ombre des séries de tours standards, impératifs commerciaux ou touristiques mais aussi défense du cadre de vie par des habitants organisés et revendicatifs adoucissent les mœurs urbanistiques de Shanghai. Ces luttes témoignent de la revendication des citadins qui refusent l’exclusion et la relégation. Nous avons aussi découvert que Paris et les villes occidentales n’avaient pas le monopole du phénomène de « gentrification » qui, de manière moins autoritaire et plus graduelle, conduit aussi à un strict séparatisme social.
Aujourd’hui, la défense du charme (ici) ou de l’âme (là-bas) des lieux dans les programmes d’aménagement comme dans le travail des architectes, marque la volonté de tisser le lien entre ce passé et le futur. La création ex nihilo perd du terrain y compris dans le rapport des villes à la nature. La ville n’est plus artificielle ou parfaitement segmentée. Entre la ville et la nature, il ne s’agit plus de négation ou de délimitation stricte. Non, un rapport complice s’établit, à travers le travail sur les plantations, les délaissés, les toits, ces rues où les arbres ne sont pas du mobilier urbain et où la lumière des néons de la rue de Nankin met en valeur le vol des chauves-souris. La condition urbaine est une expérience psychosensorielle qui n’est pas réduite au minéral des bâtiments mais enrichie au contact de la faune et de la flore (qui font l’objet de programme favorisant la biodiversité), des reliefs et du ciel.
Le fleuve reste à Shanghai, région deltaïque, un facteur important des mobilités. A Paris, cette fonction a été écartée trop fortement. L’expérience de Voguéo 3, comme les réflexions de plusieurs équipes d’architectes, le projet de reconquête des berges, vont dans le sens d’un retour au fleuve. Avec les transports en commun sur pneu ou sur rail et la civilisation de l’automobile, nos villes se sont ouvertes à des formes de mobilités démultipliées qui ont au final favorisé l’étalement de la ville. Bien sûr, les deux métropoles n’en sont pas au même point de leurs histoires. C’est un enjeu majeur de planification pour la métropole parisienne de faire les choix règlementaires, les conceptions d’infrastructure et les choix opérationnels qui limitent l’allongement des distances et favorise l’intensité urbaine. Dans un contexte de croissance mûre, la progression de l’empreinte urbaine de la région parisienne peut-être contrôlée. Shanghai se situe dans une autre position où la densité relative et le choix de la hauteur ont permis d’absorber la croissance rapide de la population. Après avoir longtemps vécu dans un système où emplois et habitat allaient ensemble, Shanghai compte désormais des « commuters ». La force des métropoles est la profondeur de leur marché du travail. Toutefois, cet atout ne fonctionne pleinement que si les emplois, nombreux et diversifiés, sont accessibles. Sans souscrire au mythe du logement-lieu de travail, cette question est essentielle au bon fonctionnement métropolitain.
Saskia Sassen 4 rappelait récemment que si Pékin ou Shanghai étaient des villes globales, elles n’étaient pas des « villes-monde » mais seulement des « villes dans le monde » considérant que leur ouverture est encore limitée par rapport à ce que l’on connaît ailleurs, et particulièrement à Paris dont le cosmopolitisme est un atout. Les signes extérieurs d’uniformisation, en particulier dans les zones commerciales, ne doivent pas tromper. A travers l’Expo, on sent la double volonté de s’adresser au monde et à la vaste Chine dont Shanghai est une pointe avancée. Alors qu’elle est objectivement plus ouverte, la capitale de notre pays peine parfois à mettre en récit et à traduire en actes cette ouverture en offrant un accueil de qualité à ses visiteurs quelque soit la durée et la raison de leur séjour: le touriste d'affaire et le migrant..
La ville durable et solidaire, ne se construira pas et ne se financera pas sans croissance économique. La dynamique est nécessaire sans être suffisante. La maîtrise collective du développement urbain nécessite des outils d'investissement permettant la prise en compte du long terme et l'intégration des externalités négatives. Un système fiscal juste et efficace doit permettre de capter une partie des richesses produites par le développement urbain au profit des équipements collectifs, des services publics, de la qualité et de la durabilité urbaine. Nos interlocuteurs chinois témoignent d’un intérêt grandissant pour la boîte à outils de l’urbanisme opérationnel ou le logement social.
La question de la gouvernance se pose dans des conditions très différentes. A Shanghai, la ville a dû bâtir sa renaissance entre Pékin et Canton, dans un système fortement hiérarchisée. A l’échelle locale, Shanghai a aussi structuré sa région proche, bloquant quand il le fallait le développement du port de Ningbo. Autour de Paris, le système local est beaucoup plus souple et souffre à la fois de l’inachèvement de la décentralisation et d’un retour paradoxal de l’Etat, volontariste et désargenté. La métropole n’est pas seulement une agglomération physique mais bien un système où les échelles et les temporalités varient et s’articulent. Aucune institution centrale dans aucune ville réelle n’est capable de prendre en charge de manière omnisciente et omni-compétente cette dynamique urbaine. Au polycentrisme métropolitain doit correspondre une polysynodie 5 où s’articulent les échelles et les rythmes, où se construisent les solidarités. Entre le « Paris de 1860» et l’échelle régionale, le syndicat Paris Métropole est aujourd’hui une interface en devenir, une scène politique favorisant à la fois le dialogue horizontal entre communes et l’articulation des niveaux de compétence avec la participation des départements et la Région. Enfin, une nouvelle gouvernance métropolitaine se doit de prendre en compte les espaces voisins et périphériques qui n’ont pas vocation à la servitude.
1.Pierre Mansat, Adjoint au Maire de Paris chargé de Paris Métropole
2.Jean-Luc Laurent, Conseiller régional d’Ile-de-France, délégué spécial pour le Grand Paris et la métropole francilienne, Maire du Kremlin-Bicêtre
3.Navette fluviale reliant la gare d’Austerlitz à Maison-Alfort
4.Interview de Saskia Sassen donnée à Foreign Policy. En ligne sur le site www.foreignpolicy.com
5. Après l’absolutisme exacerbé de la fin du règne de Louis XIV, le Régent opère une détente institutionnelle en s’entourant brièvement de plusieurs conseils, on parle alors de polysynodie
*publié dans Urbanisme n°375