24 Octobre 2009
. | Polémique Urbanisme |
Jean Nouvel a mis les pieds dans le plat. En une pleine page du Monde daté du 21 octobre, puis dans le 7-10 de France Inter, l’architecte, du haut de son mètre quatre-vingt-dix et de son prix Pritzker 2008, a demandé la tête de Christian Blanc, le secrétaire d’Etat au Développement de la région capitale. Raison de son ire : le magnifique projet du Grand Paris, qui, pendant neuf mois, a mobilisé dix équipes menées par des grandes pointures de l’architecture internationale, dont lui-même, et une multitude de géographes, sociologues, urbanistes, ingénieurs ou poètes, « sombre dans la plus grande confusion ». Par la faute, dixit Nouvel, de Christian Blanc. Au lieu de fédérer ces dix esquisses, de faire fructifier cette matière grise, de créer enfin cet « Atelier du Grand Paris » prévu dans ses attributions et qui doit réunir architectes, élus locaux, services techniques et grands opérateurs (RATP, SNCF), le secrétaire d’Etat, mutique et orgueilleux, ne se préoccupe que de son propre projet, antérieur aux rendus des dix équipes et dont il ne dévie pas d’un iota : un grand « huit » de trains-métros automatiques souterrains qui ceinture l’agglomération sur 130 kilomètres et 40 gares. Et au plus vite ! Dès 2012, dix tunneliers se mettront simultanément en marche pour forer le sous-sol francilien…
« A trop se presser, on risque de se planter », soutient Christian de Portzamparc, autre architecte impliqué, prix Pritzker 1994, qui conteste au passage le choix d’un équipement enterré (« dehors, on se sent mieux »), s’interroge sur un tracé « que personne ne connaît » et regrette avec Nouvel qu’aujourd’hui le projet du Grand Paris semble se résumer à cette seule question du transport, « nécessaire mais pas suffisante ». S’agit-il là d’une erreur de communication, comme l’espère encore Portzamparc, ou de la culture jacobine d’un ex-préfet et ancien grand patron de la RATP et d’Air France, autoritaire et sûr de son fait ? « Nous espérions enfin être passés au-dessus de la technostructure, elle revient au galop », soupire un autre responsable d’équipe, l’architecte Yves Lion.
Bref, une fois de plus, un coup de génie de Nicolas Sarkozy risque de tourner en eau de boudin. Car l’idée qu’il lançait en septembre 2007 était lumineuse et réellement novatrice : réunir les meilleurs pour dresser « un diagnostic prospectif, urbanistique et paysager de la métropole de l’après-Kyoto, solidaire, durable, connectée »… Même l’opposition ne pouvait qu’approuver. Pendant des mois, le soufflé est monté, jusqu’à sa présentation en apothéose, avec discours du président et mots doux pour chacun, le 29 avril dernier, lors de l’inauguration de l’exposition « Grand Paris » à la Cité de l’architecture. Ce jour-là, comme le dit Nouvel, « même les plus sceptiques se prenaient à espérer ».
Mais depuis, rien. Ou plutôt, semaine après semaine, d’autres nouvelles « réformes prioritaires » occupent les écrans. Au revoir, les architectes. Christian Blanc n’a rien à craindre. Sa chargée de communication nous rassure d’ailleurs : « Après la déclaration d’amour de Jean Nouvel, M. Blanc n’a évidemment aucune réaction à donner. Il laissera bourdonner les mouches du coche. »