5 Juillet 2012
Pierre Mansat « ARCHITECTE » D'UNE MÉTROPOLE SOLIDAIRE
Chargé des relations avec les collectivités territoriales d'Île-de-France à la mairie de Paris
et président de l'Atelier international du Grand Paris depuis un an, Pierre Mansat est devenu un interlocuteur incontournable sur la question métropolitaine. Porteur d'une véritable vision, il a engagé avec Paris Métropole,
dont il est l'initiateur, de nombreux chantiers.
Propos recueillis par Olivier Delahaye
Vous êtes engagé depuis plus de dix ans
dans les relations entre Paris et sa banlieue.
Voyez-vous une nouvelle métropole
se dessiner?
Effectivement, on a mis dix ans. C'est
long -le temps des collectivités est un temps
long -, mais l'on a modifié radicalement les
rapports qu'entretenait Paris avec ce qu'on
appelle encore la banlieue. Dorénavant,
je crois qu'on parle vraiment d'égal à égal,
quelles que soient la taille ou la nature de
la collectivité. C'est un changement qui
est fondamental, car on sait qu'auparavant
c'était plutôt l'indifférence, voire la domination
parisienne, qui prévalait. J'ai vu ce
changement. Il se vérifie dans les accords
et les relations que nous entretenons; nous
avons beaucoup de partenariats avec des
collectivités pour des problèmes de mitoyenneté
ou de propriété parisienne, et on
voit bien que, dans ce champ-là, le principe
d'égal à égal fonctionne.
Est-ce que cela va perdurer malgré les
évolutions que pourraient connaître
Paris Métropole?
Je pense que le changement est fondamental
et définitif. Il ne peut aller qu'en s'ancrant
et en s'amplifiant. Il n'y a aucun retour
en arrière possible, même si certains le voulaient,
on a tourné la page de ces relations
d'indifférence entre Paris et sa banlieue.
y compris celle du principe « Une collectivité,
une voix» ?
Certaines formes d'évolution de Paris
Métropole pourraient amener à interroger
ce type de répartition en son sein, et pondérer
plutôt la représentation en fonction
du nombre d'habitants, mais cela dépend
de cette évolution.
Pourquoi faut-il à tout prix faire une
métropole?
Tout simplement parce que la métropole
existe. Qu'on le veuille ou non, elle
est là et elle fonctionne comme telle. Elle
est connectée au monde entier de façon
très importante - on dit que Paris est une
des quatre ou cinq grandes villes-monde
à l'échelle planétaire - et les catégories
anciennes du type centre et périphérie,
Paris et banlieue, sont des catégories qui
sont devenues obsolètes, parce qu'elles ne
tiennent pas compte de l'imbrication des
territoires, des échanges et des flux. Pour le
vérifier, il suffit de s'interroger sur sa propre
vie quotidienne, sur la façon dont on inscrit
son existence dans des parcours qui sont
bien ceux d'un métropolitain, et pas seulement
ceux d'un « banlieusard» ou d'un
« Parisien »,même si certains modes de vie
peuvent rester figés. Aujourd'hui on peut
habiter ou travailler en dehors de Paris,
ce qui est le cas d'un tiers de la population
active parisienne; on peut aller faire ses
courses en banlieue dans les grands centres
commerciaux i on peut aller à un match au
Stade de France, et, de cette manière-là, se
sentir pleinement métropolitain.
Faites-vous une distinction entre la métropole
et le Grand Paris?
Non, et personne ne s'est risqué à en
faire une par rapport à ce que représente
réellement le Grand Paris. Je pense que
le Grand Paris, c'est la métropole, et que
les deux se confondent. L'appellation me
convient tout à fait dès lors qu'elle n'est pas
connotée par une dimension étatique, centralisatrice
ou autoritaire.
LeGrand Paris se construit économiquement,
urbanistiquement, mais on a le sentiment que ses citoyens ne
sont pas impliqués dans ce développement
Oui et non. Non, si on s'en tient à la
question des transports: le débat autour
du réseau Grand Paris Express a été un
débat extrêmement citoyen qui a permis
une vraie mobilisation autour de ce sujet.
Ily a deux grands sujets pour les métropolita
ins: les déplacements et le logement. Très
clairement, la question des transports a été
posée en priorité et, même si elles restent à .
concrétiser, des avancées très importantes
ont eu lieu, à la fois sur le nouveau réseau,
mais aussi sur ce que l'on appelle le plan
de mobilisation des transports, autrement
dit le développement des RERet leur modernisation,
les prolongements de lignes
de métro, les tramways, les liaisons de
rabattement par autobus, etc. De ce point
de vue, les attentes des métropolitains ont
été prises en compte. Sur la question du
logement, force est de constater que cela
bute encore. C'est un débat qui anime d'ailleurs
Paris Métropole: comment fait-on
pour passer de cette situation de crise à une
situation de réponse très concrète aux attentes
en matière de logement. L'objectif est
d'en construire 70000 par an et on continue
à en faire 35ou 40000. Il faut bien trouver là
où ça coince, et il faut changer d'échelle, car
c'est un domaine ou les compétences sont
trop morcelées pour que l'on parvienne à
produire une politique efficace. Le maire
de Paris a pris position d'ailleurs. Dans une
tribune publiée sur lemonde.fr, et cosignée
par le président du conseil général d'Île-de-
France, Jean-Paul Huchon, il se prononce
en faveur de la création d'une autorité du
logement à qui les financements seraient
acquis, et qui aurait les moyens de piloter
et de coordonner l'ensemble des acteurs de
la politique du logement.
Au départ, ils avaient deux idées différentes
Les points de vue vont se rapprocher.
1l reste à déterminer le périmètre d'action,
mais la volonté politique est tout à
fait identique. Dès que l'on se sera attaqué
à cette question-là, il en restera une,
moins visible, mais essentielle pour les
métropolitains: celle des ressources ou
plutôt des inégalités de ressources entre
les collectivités. Un certain nombre de nos
concitoyens n'ont ainsi pas les mêmes réponses
en termes de services publics que
d'autres. Le débat s'est déjà largement
ouvert au sein de Paris Métropole sur ce
sujet et a trouvé sa concrétisation à travers
l'adoption d'un point de vue commun sur
le Fonds de solidarité des communes de
la région d'Île-de-France [FSRIF).Nous
avons donc déposé un texte auprès du
gouvernement et des deux chambres pour
réformer ce FSRIF.
On touche là à l'idée de péréquation
financière. De quoi s'agit-il exactement '?
Notre idée est que chaque commune
devrait disposer de l'équivalent de 60% du
revenu minimum moyen des collectivités
de la région d'Île-de-France. Nous yparvenons,
à quelques exceptions près. C'est déjà
un premier pas puisqu'on avait jusqu'ici
des écarts considérables qui allaient de
1 à 10 entre collectivités. C'est d'ailleurs
une grande originalité de cette région,
puisque les écarts dans les autres régions
françaises vont plutôt de 1à 3 ou de 1à 4.
Concrètement, comment ça se passe '?
On prélève sur les ressources des plus
riches. A peu près 80 communes sont ainsi
prélevées et ces ressources sont redistribuées
au profit des plus pauvres pour un
montant qui est, cette année, de 210 millions
d'euros. Notre objectif est de l'augmenter
un peu plus chaque année pour
aboutir à 250 millions en 2015. Le débat
est aussi ouvert pour d'autres sources de
financement, et pourquoi pas une péréquation
qui s'appuierait également sur les
départements et la Région pour parvenir à
encore plus d'égalité des ressources entre
les collectivités.
En 2001, le maire de Paris vous donnait
une lettre de mission avec trois objectifs
dont l'un était de « définir une gouver-
nance à la région Île-de-France si les
conditions le permettent ». Cette gouvernance
n'existe pas. Cela veut dire que les
conditions ne l'ont pas permise '?
Non, les conditions ne le permettaient
pas. Sur cette question, le débat est ouvert
depuis maintenant quelques années, mais
il fallait d'abord instituer ce dialogue d'égal
à égal que l'on a mis huit ans à réaliser. Les
conditions n'étaient donc pas réunies pour
ouvrir un débat sur un sujet qui fâche, certains
le prenant sous un angle très institutionnel.
Mais on ne sait pas forcément de quoi on
parle quand on parle de gouvernance.
C'est un peu vague.
Ça reste un peu vague. On peut dire
qu'il s'agit de l'agencement des politiques
publiques: comment les institutions, les
assemblées,les exécutifs élus s'organisent
pour rapprocher leurs politiques publiques,
pour faire en sorte qu'elles soient mieux
coordonnées, plus efficaces. Aujourd'hui,
il nous semble que les conditions sont réunies
pour qu'il y ait un débat de fond sur
cette gouvernance. De toute évidence, le
statu quo n'est pas possible. La multiplicité
des acteurs politiques, le morcellement institutionnel,
les relations intéressantes mais
incomplètes, ne permettent pas d'aller au
bout des politiques publiques que l'on peut
mettre en oeuvre. Cela ne veut pas dire que
tout est mauvais. La métropole est gouvernée,
des liens particuliers se sont noués,
des intercommunalités se sont créées, de
grands syndicats techniques gèrent des
questions essentielles telles que l'eau, les
déchets, l'énergie ... Mais la coordination
des gouvernements est insuffisante, ce qui
se vérifie en matière de transport, de logement,
de développement économique, de
politique environnementale. C'est ce que
l'on vise à travers les débats sur la gouvernance:
comment peut-on s'organiser pour
produire une meilleure coordination de
ces politiques publiques?
Quelles sont les ambitions de Paris
Métropole quant à cette gouvernance ?
Une vingtaine de contributions ont
déjà été rédigées par les membres de
Paris Métropole, dans lesquelles chacun
analyse la situation et fait ses propositions
sur l'évolution de la situation. On y voit se
dessiner trois grandes familles de pensée:
la première que l'on pourrait appeler la
métropole contractuelle, qui vise à faire
en sorte que l'articulation se fasse sous
la forme de meilleurs contrats entre l'ensemble
des acteurs; la deuxième famille
est celle de la métropole intégrée, qui est
pour la création et la fusion des départements,
soit la création d'une communauté
urbaine; enfin, la troisième est celle de la
métropole articulée ou confédérée, qui
vise à créer une instance de coordination
des politiques publiques. La première traduction
de ce débat sera la publication
d'un livre vert avant l'été qui fait le point
sur tous les grands thèmes sur lesquels
la gouvernance est interpellée et qui propose
une grille d'analyse en fonction de ces
contributions. Ensuite, on espère ouvrir
un large débat public, avec les conseils
municipaux, les assemblées élues et les
citoyens, et aboutir à un livre blanc d'ici à
la fin de l'année, qui fixera les propositions
de Paris Métropole quant à l'évolution de
cette gouvernance métropolitaine.
L'idée, c'est d'aboutir à un vrai projet en
2014 ?
Si possible avant puisqu'il semble que
les calendriers législatifs vont être extrêmement
resserrés: d'abord l'acte III de la
décentralisation, puis des modifications
de la loi sur l'organisation des territoires
et enfin les élections régionales en 2014.
Nous devons être prêt bien avant pour ne
pas voir venir« d'en haut» cette réforme
de la gouvernance, mais qu'elle s'organise
à partir des collectivités locales.
Lors d'un débat face au sénateur de la
Seine-Saint-Denis, Philippe Dallier, en
2009, celui-ci vous faisait une remarque
pertinente en opposant gouvernance
des projets et gouvernance du territoire,
expliquant que la gouv~rnance des projets
n'est pas viable. N'est-ce pas ce qui
risque de se produire avec les contrats de
développement territorial [CDT] ?
Le risque existe évidemment. C'est pour
cette raison que nous soutenons la Région
dans l'élaboration de son schéma directeur.
Celui-ci doit prendre en comple ce qui se
trame dans les contrats de développement
territorial, et inversement, les CDr
ne peuvent pas être pensés en autarcie. Ce
serait un mécanisme antimétropolitain
avéré. Ils ne peuvent se penser que dans
leur rapport au reste du territoire. Apriori,
cela est inégal d'un CDT à l'autre. Certains
se pensent dans cet environnement,
d'autres non. Pour le moment, seul le préfet
a une vision d'ensemble. Tant mieux,
mais cela ne peut pas relever de sa seule
responsabilité, et dépend avant tout de la
responsabilité régionale. C'est la Région
qui organise l'aménagement du territoire et
c'est à elle que revient la capacité d'intégrer
les CDr dans sa réflexion générale.
Comment faire face à la compétition territoriale
qui existe en Île-de- France ?
C'est le défi de tout ce débat métropolitain.
Si on observe de près les métropoles
mondiales, on se rend compte qu'elles se
construisent toutes un peu sur le même
modèle, qui est celui de la spécialisation de
certains territoires pour en exclure d'autres.
Même s'il peut y avoir certaines formes de
concentration, nous devons maintenir la
diversité des territoires et lutter contre l'hyperspécialisation
qui estfacteur de concurrence
et contradictoire avec les objectifs
partagés de mise en commun. C'est bien
pour cela qu'il faut un schéma d'ensemble
et qu'il faut une gouvernance métropolitaine.
Qu'il y ait émulation et compétition
entre les territoires, pourquoi pas, mais il ne
peut pas y avoir une concurrence libre qui
serait profondément contradictoire avec
notre objectif: la création d'une métropole
plus solidaire, qui surmonte les inégalités et
permette à ses habitants d'avoir accès aux
mêmes services, aux mêmes centralités,
aux mêmes potentialités.
Quels projets permettraient d'assurer
une identité à cette métropole?
Dans tous les domaines que l'on a déjà
évoqués, il serait nécessaire de changer
d'échelle. Il faut une autorité métropolitaine
du logement, une manière de produire
des plans climat articulés avec le
plan régional, vraisemblablement un plan.
de développement du tourisme articulé lui
aussi avec les schémas régionaux. Je pense
aussi qu'avec une amélioration du syndicat
des transports, qui permettrait la création
d'autorités organisatrices de proximité et
d'autorités de second rang, plus ce que nous
proposons sur quatre ou cinq grandes politiques
structurelles, on aurait déjà pas mal
avancé sur la définition de la métropole.
Quel est pour vous le « dossier» le plus
urgent ?
Le logement. La crise est vraiment
grave, et rien n'indique que l'on s'en sorte.
Il faut prendre le problème par les cornes
et avancer très rapidement. L'attente est
trop forte .•