Une passionnate exposition à l'école d'architecture Val de Seine.
Voici un article de Cyrille Poy publié dans l'Humanité
La rue, autre lieu du partage
Exposition . « La rue est à nous... tous ! » explore les différentes facettes de cet espace public par excellence en dressant l’inventaire de ses problématiques contemporaines. Après « Bouge l’architecture », exposition dédiée aux projets architecturaux favorisant la mobilité urbaine, l’Institut pour la ville en mouvement (IVM) s’attaque à la rue. Accueillie par la nouvelle école d’architecture de Paris-Val de Seine, réhabilitation-extension réussie de l’ancienne usine d’air comprimé Sudac par Frédéric Borel, l’exposition « La rue est à nous... tous ! » questionne la possibilité d’un partage de la rue en évoquant plusieurs pistes pour y parvenir. Imaginé par les deux figures de proue de l’IVM, Mireille Apel-Muller, sa déléguée générale, et François Ascher, son directeur du conseil scientifique et d’orientation, cet événement est accompagné de nombreuses manifestations associées (1).
La rue dans tous ses états Que se passe-t-il dans la rue ? Pour le savoir, il suffit de franchir la porte du cube à images imaginé par le vidéaste Bruno Babiche qui, sitôt le visiteur entré, le projette instantanément au coeur du grand capharnaüm des rues du monde entier au moyen de cinq écrans géants. Montés par thématiques, les films se succèdent, zappant de l’Extrême-Orient au marché de Saint-Denis,en passant par les États-Unis ou encore Lisbonne. À Paris, des jeunes jouent au basket sous un métro, ignorant le flux continu des automobiles à quelques mètres de leur terrain grillagé. Ailleurs, des touristes se font prendre en photo, sous le regard amusé de passants, qui évitent, sans même s’en rendre compte, un vieux mendiant assis sur le trottoir. Peu après, une dame, peut-être en Chine, se lave les dents au milieu de la foule et des charrettes à bras, alors que sur l’écran d’en face défilent des images de taudis. Les rues sont multiples et Babiche se régale à multiplier les points de vue, passant des villes africaines à celles hérissées de gratte-ciel en tous genres, avant de nous faire pénétrer au volant d’une voiture au ralenti, dans une banlieue pavillonnaire, dont rien, ou presque, ne semble pouvoir troubler la paisible tranquillité. Dispositif sonore autant que visuel, la boîte à images rend mieux que tout cette expérience bruitiste quotidienne et étonnante par sa diversité qu’est la vie urbaine. Le cliquetis des escalators, le bruit des véhicules lancés à toute allure sur les autoroutes, les pas des marcheurs pressés, le discours halluciné d’un prêcheur, les appels aux chalands des vendeurs de marché, le son particulier du couteau aiguisé à l’ancienne par le rémouleur, ou encore celui des sifflets de policiers qui, de Beyrouth à New York, tentent, au milieu d’une mer de chaussées, d’orchestrer des flots ininterrompus de véhicules impatients. Une fois franchie cette bouffée d’expériences urbaines, l’exposition se fait plus réfléchie. « Jusqu’où la rue ? » interrogent des panneaux publicitaires montrant un marché asiatique sur un canal où grouillent de frêles embarcations chargées de victuailles. Il y a aussi cette voie ferrée d’un autre âge, bordée par des bidonvilles et détritus sur laquelle jouent des enfants hauts comme trois pommes. Assurément, la rue n’est pas ce simple espace dont chacun de nous pense avoir une claire représentation. Sa définition minimale renvoie de prime abord à la notion d’espace public. Pourtant, les galeries marchandes, véritables espaces ouverts au public, ayant de plus en plus tendance à adopter les codes et parures de la rue traditionnelle, sont gérées par des intérêts privés. Le cas le plus extrême étant cette rue piétonne et commerciale de Nijmegen (Pays-Bas), développée en plein coeur de ville grâce à un partenariat entre la municipalité et un promoteur immobilier. Rien ne la distingue des autres voies publiques avec laquelle elle est reliée, sauf une chose, son statut, qui relève du droit privé. Se pose alors naturellement la question de la gouvernance de la rue. Ne risque-t-on pas en laissant les intérêts privés prendre possession de l’espace urbain de favoriser les inégalités ? L’exemple des Business Improvment District (BID), aux États-Unis et ailleurs, peut le laisser penser. Fonctionnant comme une collectivité locale de petite échelle, les BID perçoivent une fiscalité propre leur permettant d’assurer l’entretien des rues ainsi que leur sécurité. Basé sur ce que d’aucuns nomment la « sécession fiscale », précise dans le catalogue (1) l’urbaniste Éric Charmes, ce système entraîne de fortes disparités de traitement entre les quartiers riches et les autres. La propreté et la sécurité ne doivent-elles pas bénéficier à tous, quelle que soit la richesse des résidents ? Assurément. Raison pour laquelle « la prise en charge des enjeux sociaux et politiques ne peut-être laissée aux seuls acteurs locaux et privés dont ce n’est de toute façon pas la vocation », prévient l’urbaniste. SIX CATÉGORIES DE RUES À côté des questions de fond, « La rue est à nous... tous ! » explore également celles de la forme. Qu’en est-il des rues à l’aube de ce XXIe siècle ? Didier Rebois, architecte et enseignant à l’Institut français d’urbanisme, tente, à travers la présentation d’une cinquantaine de projets urbains internationaux, une classification. Il distingue six catégories : les rues intermodales, les rues intenses, les rues multiples, les rues habitées, les rues verticales et les rues en mutation. La plus surprenante est peut-être la catégorie des « rues verticales » qui, précise Didier Rebois, « explorent de nouvelles solutions de mise en relation des différents niveaux et fonctions » des édifices, qu’il s’agisse de tours de grande hauteur ou d’immeubles de taille plus modeste. Ainsi, ce projet d’esplanade publique logée sur le toit d’un grand magasin et d’une banque de Copenhague qui reste en relation directe avec la rue et le métro grâce à des escalators. Plus étonnante est la proposition de Steven Holl qui connecte huit tours par un ensemble de rue passerelles, lesquelles desservent des activités ludiques (piscines, etc.), des cafés, des hôtels ou des restaurants, tout en offrant une vue imprenable sur Pékin. Dans le même esprit, la tour écologique EDITT à Singapour développe jusqu’au sixième étage un réseau de rues piétonnes agrémentées d’aménagements paysagers, de services divers et de commerces nombreux. Mais n’est-on pas là davantage dans une logique de centre commercial qui se développerait en hauteur, comme c’est souvent le cas dans les pays asiatiques, plutôt qu’à l’horizontale ? Les « rues intermodales », illustrées ici par des projets comme le terminal de Yokohama ou l’immense chantier de remodelage du sous-sol du coeur de La Hague, apparaissent comme l’un des véritables enjeux de la ville contem- poraine. En assurant la connexion de différentes sortes de modes de déplacement (métro, bus, train, voiture, vélo, etc.), ces plates-formes, autrefois purement techniques, s’étoffent de multiples services et commerces et tendent à soigner leur liaison à l’espace public extérieur de la ville. Elles agissent souvent comme un dynamiseur urbain et participent du développement des villes en en structurant l’espace comme en témoigne le projet de « balcon urbain » de la ville hollandaise de Groningen.
Cyrille Poy
« La rue est à nous... tous ! », École nationale supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine, 3-15, quai Panhard - et-Levassor, Paris 13e. Ouverte du mardi au dimanche, de 14 à 19 heures, jusqu’au vendredi 15 juin 2007, entrée libre. Accès métro : Grande-Bibliothèque, ligne 14 ; ligne C du RER.
(1) Un programme varié de manifestations associées est également disponible. Pour tout renseignement, contactez l’IVM au : 01 53 40 95 60, ou connectez-vous au site www.larueestatous.com.
(2) Le catalogue, publié par les Éditions Au diable vauvert, a été dirigé par François Ascher et Mireille Apel-Muller. Il comporte des textes de François Ascher,Jean-Louis Cohen,Éric Charmes, Francis Godard, François Bellanger, Didier Rebois et Gilles Delalex. Édition bilingue (français et anglais), 308 pages, 39 euros.
http://www.audiable.com