Pour que Paris soit grand, par Chemetov
Comment mettre fin à la profonde inégalité des territoires en région capitale ? Toute métropole ne se définit pas par sa limite, son contour, mais par l’intensité des relations qui la nourrissent et la construisent. On pourrait faire de ce résumé la parabole de ce que devrait être la métropole parisienne pour continuer à être l’une des quelques villes monde, rivalisant avec Tokyo ou New York, bien que notre pays ne regroupe plus aujourd’hui que le centième des habitants de la planète. Si dans les métropoles régionales, la vie quotidienne se déroule dans un espace que l’on parcourt en une demi-heure de transport : l’habitat comme le travail, l’école comme les commerces et les loisirs, la région parisienne a suivi un chemin inverse. Le centre s’est dépeuplé alors qu’il bénéficie d’un réseau de transport ancien et complet, entouré d’une périphérie mal desservie, mal équipée mais qui est aujourd’hui la partie la plus vivace et la plus peuplée de la métropole. Les mêmes questions s’étaient posées à l’époque du plan Delouvrier au début des Trente Glorieuses. Les villes nouvelles, le pôle de la Défense, les RER convergeant vers la capitale, un nouvel aéroport à Roissy, ces choix ignoraient par-dessus la banlieue, en démembrant le département de la Seine, qui administrativement était le territoire le plus évident de la métropole. Mais ce choix, même s’il a permis la naissance de l’agglomération, était pré-métropolitain, ses aspects positifs sont aujourd’hui épuisés et il y a tout lieu de craindre que le grand huit du secrétaire d’État à la région capitale soit lui post-métropolitain, post-moderne d’une certaine façon. Parce qu’il saute à pieds joints par-dessus et au-delà des pôles actuels de la métropole, même s’il en dessert quelques-unes (il faudrait une grande maladresse pour les éviter tous) pour desservir de nouveaux pôles de développement, pour l’essentiel tertiaires, dans l’espoir de faire de Paris une place financière, singeant Londres, aujourd’hui en déclin. Dans la compétition mondiale, c’est la singularité des métropoles qui assure leur succès. C’est la singularité de Paris qui fait son identité : un mot quelquefois dévoyé et qui là prend tout son sens. Quelle est-elle ? Une grande densité d’habitants, des fonctions centrales, une concentration de pôles universitaires et de formation, le maintien, déclinant et c’est préoccupant, d’une production matérielle, un patrimoine paysager et bâti, une offre culturelle, des plaisirs de vie qui expliquent son attraction touristique. Sauf que ces caractéristiques de la zone centrale ne se sont pas reproduites dans la ville distendue que nous héritons de l’âge automobile. Il nous faut les affirmer dans les pôles qui structurent l’actuelle périphérie. Certes, on pourrait se contenter de statistiques flatteuses. Les 20 % de la population française regroupés dans l’Île-de-France produisent 30 % de la richesse nationale. Mais à quel prix (la fatigue et les neuroleptiques) et pour combien de temps ?
On mesure mal la raison profonde des émeutes qui éclatèrent à Clichy-sous-Bois en 2005. Ce n’est pas à coup de caméras de vidéosurveillance, mais avec des transports en commun rapides qui replacent Clichy et tant d’autres communes, aujourd’hui à plus d’une heure du centre de Paris, à égalité d’accès avec les bassins d’emploi et de vie de la métropole que nous mettrons fin à la profonde inégalité des territoires, qui est aujourd’hui le handicap principal et croissant de la métropole, au point de mettre à mal son image héritée. Pour y parvenir, il faut un effort considérable et rapide : 1. Construire des logements au plus près des dessertes actuelles, des logements capables de lier les proximités de l’habitat collectif et la variété et les espaces de l’habitat individuel, car sans cela on ne mettra pas fin à l’étalement urbain. 2. Mailler les systèmes de transport actuels par des moyens (train, métro, tram, bus) adaptés aux densités et aux trafics qu’il faut assurer. 3. Offrir des emplois qui ne soient pas uniquement réservés aux professions intellectuelles, aux seuls diplômés de l’enseignement supérieur. 4. Construire des écoles et former des professeurs : croit-on que le système scolaire et universitaire soit à la mesure de notre temps ? 5. Proposer une offre commerciale et culturelle de proximité. 6. Cesser enfin de consommer les terres agricoles qui sont parmi les plus fertiles du monde. Pour la seule Seine-et-Marne, mille hectares par an sont stérilisés. N’oublions pas que le sixième de l’humanité a faim. 7. Favoriser une agriculture vivrière de proximité et reboiser les zones inconstructibles. Dans la ville distendue, la nature doit être proche pour des raisons climatiques aussi. 8. Magnifier les vallées, la Seine, la Marne, l’Oise et ses affluents, cesser de mêler dans les égouts l’eau de pluie et les eaux polluées de la grande ville. 9. Enfin, et c’est nécessaire, penser qu’une ville monde a besoin de symboles, de repères qui donnent un sens commun à notre vie, à nos destins. Ce que firent en leur temps Notre-Dame, la tour Eiffel, Beaubourg, le Stade de France. Il faut en prolonger l’élan, pour offrir à cette métropole une vision partagée et urbaine de son avenir. Pour y parvenir, pour réussir, il est difficile de penser qu’une société anonyme du Grand Paris saura provoquer l’adhésion populaire comme l’engagement de tous les territoires et de tous les dévouements qui charpentent la métropole. Article paru dans L'Humanité,