3 Octobre 2009
kelisi : Pour quelles raisons le gouvernement prend-il en main le Grand Paris en lieu et place des maires de Paris et des communes voisines ?
Roger Karoutchi : Pour une raison simple : sur la superficie du Grand Paris, il y a moins cinq cents communes, pratiquement les huit départements concernés et la région Ile-de-France. Et à un moment donné, si l'on veut rendre du souffle à un grand projet collectif, il faut un maître d'œuvre. La région a échoué dans le fait d'être ce maître d'œuvre, il faut donc qu'une puissance publique représente l'intérêt général, c'est l'Etat.
joz77 : La création de ce Grand Paris va générer la création d'une entité de contrôle supplémentaire. A qui va revenir la gouvernance ? Les communes , la région, la société du Grand Paris ?
Roger Karoutchi : Je me suis opposé très clairement à la création d'un nouvel échelon territorial sur le Grand Paris. Il y a suffisamment d'échelons comme ça. Le projet de loi envisage une société du Grand Paris sur les investissements lourds en matière de transports publics. Mais pour le reste, ce sera de la concertation et de la négociation organisée entre les différents niveaux de collectivités et l'Etat.
Karim : Ce projet ne signe-t-il pas, sans l'avouer, la "mort clinique" des départements ?
Roger Karoutchi : Il n'y a pas de création d'une superstructure territoriale qui s'ajouterait au mille-feuille territorial et qui serait par définition négatif. Non, lorsque le projet est apparu, je me suis posé la question de la région, et non pas des départements. Mais à partir du moment où le fond du projet ne remet pas en cause les structures territoriales, et crée une société du Grand Paris seulement pour les investissements en matière de transports, l'Etat est plus présent pour organiser la négociation entre les collectivités que pour les supplanter. Donc les départements comme la région n'ont pas de craintes sur leur avenir.
Paris : Quelle est votre réaction vis-à vis du nouveau droit d'exception que l'Etat se donne dans la région capitale, via ce projet de loi ?
Roger Karoutchi : Je l'ai revendiqué. Je l'ai appelé de mes vœux. Donc j'y suis favorable. Nous sommes une région originale, nous sommes une région très difficile car très étendue, très peuplée, très dense, avec de nombreuses collectivités riches, puissantes, et concurrentes. Tous les grands projets d'aménagement régional ont eu d'énormes difficultés à réussir depuis vingt-cinq ans. Tout simplement parce que l'Etat s'était désengagé. J'ai donc appelé de mes vœux le retour de l'Etat, financièrement, structurellement et au niveau de la loi, notamment pour faciliter les grands projets et les grands chantiers. Cela ne veut pas dire nier le pouvoir et les compétences des collectivités locales. Cela veut dire qu'au-delà des intérêts locaux légitimes, il faut la définition d'un intérêt général par la puissance publique et seul l'Etat en a la force en Ile-de-France.
Kraka : Vous étiez chantre d'une région forte et vous n'hésitez plus à défendre un projet qui sape durablement le rôle des collectivités locales. N'est ce pas un retour en arrière ?
Roger Karoutchi: Je reste partisan acharné du renforcement de la région et je suis un défenseur des textes de décentralisation. Je me suis battu pour, par exemple, le transfert de la compétence transports à la région Ile-de-France. Mais parce que je connais bien le système de l'intérieur, j'en connais aussi les faiblesses et si je souhaite une adaptation, une évolution, une meilleure concertation entre l'Etat, la région et les départements, c'est parce que nous avons un vrai problème d'efficacité. Les 12 millions de Franciliens ne peuvent plus accepter la dégradation des transports, les difficultés de logement, les délocalisations.
Bouworms : Mis à part l'amélioration des transports en commun, quels grands changements sont prévus avec le "Grand Paris" ?
Roger Karoutchi : En dehors d'un nouveau schéma d'avenir des transports publics, il y a deux actions fortes qui sont d'ores et déjà engagées : d'une part, l'action sur le logement et l'aménagement urbain, avec notamment le doublement de la construction du nombre de logements en Ile-de-France (soixante-dix mille contre trente-cinq mille aujourd'hui). Cela veut dire action des architectes sélectionnés, phénomène d'urbanisme nouveau pour créer une nouvelle ville.
L'autre action qui est conduite est celle liée à l 'attractivité économique, avec la définition de ce qu'on appelle les "territoires de projet", où on va lancer aussi bien une Silicon Valley à la française qu'un grand centre scientifique, qu'un grand centre de cinéma, c'est-à-dire la définition de grands projets créateurs d'emplois et de dynamisme.
Le Parlementaire : Ce projet veut renforcer le centralisme de la capitale…
Roger Karoutchi : Sincèrement, que veulent les usagers des transports ? Ils veulent plus de liaisons interbanlieues, et une desserte enfin digne de ce nom en grande couronne. Pour le reste, tous les usagers veulent la rénovation des lignes de métro et de RER et des trains qui ne correspondent plus aux "petits gris". En la matière, il faut redonner un rôle à l'Etat pour qu'il se réengage financièrement. D'ici à 2025, les transports franciliens ont besoin, pour la création de nouvelles lignes ou pour la rénovation, de 25 milliards d'euros. L'Etat doit revenir et payer sa part. Sinon, on n'arrivera pas à transformer le schéma de transports publics en Ile-de-France. Mais je suis d'accord pour dire qu'à terme, il faut maintenir le pouvoir décentralisé des collectivités.
Nous sommes dans une situation exceptionnelle de crise et de risque de cassure de notre système de transport. Tous les acteurs doivent coopérer pour sortir de la crise, et ensuite nous verrons.
Dnl273 : Verra-t-on le nombre d'élus, devenus inutiles, réduit du fait de cette réorganisation ?
Roger Karoutchi : Je suis favorable à la création en 2014 des conseillers territoriaux. Ce qui signifiera une réduction de moitié du nombre des conseillers généraux et des conseillers régionaux en Ile-de-France. Il est clair qu'une meilleure gestion des deux collectivités, départements et région, s'impose.
Stan : Partagez-vous, avec le président, la conception d'un Grand Paris ouvert sur Le Havre ?
Roger Karoutchi : Quand le président a affirmé cette ouverture jusqu'au Havre, il ne s'agissait pas de dire qu'on allait amener la région Ile-de-France sur la Manche. Il s'agissait de dire : voilà une région numéro 1 pour l'économie française, plusieurs aéroports, de très nombreuses lignes de TGV, de très nombreuses lignes autoroutières et routières. Pour que l'économie francilienne devienne un vrai poumon pour toute la France, elle a besoin d'un débouché maritime, et c'est Le Havre.
Donc cette vision du Grand Paris jusqu'au Havre, c'est de dire : ce Grand Paris a des débouchés internationaux, aériens, ferroviaires, routiers, fluviaux et maritimes.
Kraka : Vous dites qu'"il faut redonner un rôle à l'Etat pour qu'il se réengage financièrement". c'est donc que l'Etat n'avait plus de rôle en IDF ? qu'il n'existait plus depuis de nombreuses années ? Ou c'est que la région étant de gauche, l'Etat refusait de payer pour les Franciliens ?
Roger Karoutchi : Je vais être très clair : les gouvernements successifs depuis vingt ans, de gauche comme de droite, ont considéré la région Ile-de-France comme riche et privilégiée, et ils se sont détournés en grande partie de l'Ile-de-France pour financer des infrastructures en province. Et très souvent, gauche comme droite, ils ont imposé des carcans à la région. Je pense par exemple à la taxe sur les bureaux, ou sur les entrepôts, qui n'existe qu'en Ile-de-France. Je pense à toutes les aides apportées aux entreprises qui quittent l'Ile-de-France pour aller en province. Et je dis clairement aujourd'hui que le gouvernement, le président, souhaitent se réinvestir en Ile-de-France, j'appelle toute la gauche à dire tout de suite banco, de manière à inverser un processus qui, depuis vingt ans, nous laissait en marge des investissements de l'Etat.
Ce n'est donc pas lié à la couleur politique de la région, mais à un comportement de la part des gouvernants successifs. Ce comportement doit changer.
Sylvie C : Comment analysez-vous la polémique qui a opposé Christian Blanc, secrétaire d'Etat chargé du Grand Paris et le premier ministre François Fillon ?
Roger Karoutchi : Lorsque j'étais ministre chargé des relations avec le Parlement, j'ai assisté à des dizaines d'arbitrages difficiles entre les ministres thématiques et Matignon. C'est normal, chaque ministre considère son texte comme son bébé, et Matignon intègre le texte dans un ensemble. Je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup plus de difficultés pour ce texte. La polémique a été utilisée, mais à l'arrivée, c'est un texte à l'équilibre.
Joz77 : Vous parliez de réduire de six à deux le nombre de zones, cela se fera-t-il encore aux dépens de l'usager ?
Roger Karoutchi : Nous avions huit zones de Passe Navigo. Nous sommes passés à six zones. Cela reste encore trop cher, plus de 120 euros par mois pour ceux qui sont en zone 6. Je souhaite à moyen terme parvenir à un Passe Navigo à tarif unique sur toute la région. Mais après discussion avec les entreprises de transports, je pense qu'on peut imaginer une première étape avec un œur d'agglomération et la grande couronne, étant entendu qu'à terme je reste favorable à un Passe Navigo à tarif unique, qui réduirait considérablement le prix du transport public pour les usagers.
Pendragon : Quelle place restera-t-il pour les espaces "écologiques", parcs, bois, ceinture verte ?
Roger Karoutchi : Nous sommes très favorables à la création et à la protection de parcs naturels régionaux. Il faut naturellement recréer, développer une ceinture verte autour de Paris. Lorsque nous disons qu'il faut construire davantage pour répondre aux besoins des habitants, nous sommes conscients qu'il faut construire et densifier dans les espaces déjà urbanisés. Nous sommes très opposés au mitage, c'est-à-dire aux constructions qui se multiplient dans les zones rurales. Et nous sommes partisans de l'adoption d'une charte écologique en Ile-de-France, qui définirait de vastes secteurs boisés, forestiers, qui seraient définitivement préservés.
Dionysien : Le président de ce Grand Paris sera-t-il élu ?
Roger Karoutchi: Pour le moment, ce n'est pas une structure territoriale nouvelle, mais seulement une Société du Grand Paris. Le président sera élu par le conseil de la société. Ce n'est pas une nouvelle collectivité. Mais l'avenir nous dira ce que l'évolution du Grand Paris nous réserve.
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