4 Juin 2009
01 06/2009
Les mutations d'un Grand Paris, qui se rêve en métropole de l'après Kyoto, font la part belle aux mobilités. Plus ou moins visionnaires, les projets des dix équipes esquissent des pistes pour repenser l'espace-temps d'un quotidien francilien dominés par les déplacements. Si quelques-uns accordent la primauté au renforcement ou à la construction d'infrastructures lourdes, la plupart soulignent le besoin de "hubs intermodaux" associés à des espaces de proximité urbains (multifonctionnels). Les plus ambitieux lancent le défi de limiter à 20 minutes les trajets du quotidien des Franciliens… Ambitieux, mais au moins le temps du citadin prévaut désormais dans le discours de l'aménagement de la ville.
En revanche, "la vie en mouvement" est encore peu traitée. C'est précisément ce que déplore l'équipe Nouvel qui regrette que "la révolution de tous les bidules portables" n'ait pas engendré une recomposition urbaine adaptée. Est-ce une référence implicite à des tiers lieux ? A des bureaux en réseaux ? et plus généralement aux points d'appui d'une ville 2.0 – c'est-à-dire à l'implication des citadins dans la construction des outils de la gestion urbaine et dans la recherche d'une maîtrise d'usage. Les infrastructures numériques participeront demain de la recomposition territoriale comme de celle du quotidien de ses résidents permanents ou passagers.
Les propositions des dix équipes sollicitées pour le Grand Paris font la part belle aux mobilités.
Le droit à l'urbanité s'exerce partout, quelles que soient les densités urbaines, mais comment y intègre t-on les mobilités dont le droit cherche de nouvelles extensions (numériques ?), mais dont la raison appelle à des réductions (physiques ?) ? Bouger mieux pour bouger moins ? Ou comment la ville en mouvement doit-elle répondre à la vie en mouvement ?
Le plus simple est d'interroger les projets sur leur acception du terme mobilité. La vision de ces mobilités n'est pas restreinte aux transports. Des concepts clefs nourrissent la réflexion, élaborés autour de trois champs sémantiques :
A leur confluence, des espaces-temps président à l'aménagement du territoire.
Comment cela se traduit-il selon les équipes?
Un diagnostic commun aux dix équipes : la dichotomie Paris-banlieue est d'emblée envisagée selon l'angle des connexions, de la "reliance". A la desserte dense intra muros dont jouit la capitale (dont on oublie un peu vite les congestions sans réponse) s'opposent des liaisons lâches et insuffisantes que soulignait déjà le projet du Schéma Directeur de la Région Ile de France.
Frédéric Gilli, directeur de la Chaire Ville de Science Po, s'en inquiète et indique l'incapacité des politiques à décider d'investissements massifs dans les infrastructures de transports en commun ces 25 dernières années (voir son intervention sur la métropole durable au Pavillon de l'Arsenal). Les équipes répondent à ces déficiences avec force propositions, qu'il s'agisse du métro automatique en viaduc de l'A86 de Castro ou du métrophérique annulaire de Portzamparc; autant de grands projets symboles de la naissance du Grand Paris.
L'APUR interroge la capacité de ces superstructures à créer du lien ("Une petite synthèse du Grand Pari(s)"). On peut également questionner leur pertinence face aux postulats de départ qui disent placer la mobilité verte au centre des réflexions. L'équipe Lion-Descartes se démarque par le développement de territoires à fort potentiel grâce à la combinaison de modes de transports autour des voies rapides transformées en boulevards et la construction de segments stratégiques de transports en communs.
L'enjeu est non seulement de lier les différents polycentres du territoire métropolitain mais également de connecter les éléments internationaux, dans un souci de compétitivité territoriale. Les équipes s'accordent ainsi à inventer des réseaux hiérarchisés.
Ce dernier point introduit le concept de "mobilités graduées" – comment relier diverses échelles de mobilité ? – repris, avec différentes typologies, par les équipes Lion-Descartes, Portzamparc, Grumbach, Nouvel et LIN. L'équipe Nouvel/Duthilleul, dans une métaphore des trames ferroviaires, propose ainsi de définir et d'articuler trois types de réseaux :
Ce système de déplacement définit un outil d'aménagement et de compétition économique. Il tend à relier trois types de pôles: (1) les pôles pivots de transports du Grand Paris des aéroports et des ports autonomes, (2) les pôles de recherche et pôles universitaires, (3) les centres d'affaires. Ces transformations seront accompagnées de développement du réseau ferré pour les échanges logistiques.
La question du temps de trajet est dès lors cruciale pour une politique de mobilité pertinente. Réduire d'une demi-heure par jour le temps de déplacement pour le groupe Lion-Descartes, rejoindre en moins d'une demie heure tous points du réseau pour Nouvel et opter pour la ville à 20 minutes pour Grumbach.
A la base de ces propositions, le groupe Lion-Descartes fait le constat des limites de l'élasticité des déplacements et refuse de céder à des logiques exponentielles d'accroissement de la mobilité pour elle-même. Les questions de vitesse et de déplacements nourrissent la réflexion globale d'aménagement du territoire et d'organisation des lieux. La stratégie de l'équipe se décline selon trois axes :
Des suites servicielles assurent une fluidité des parcours et priment sur la vitesse.
L'équipe Grumbach mise sur la "Ville à 20 minutes", en tout cas pour la durée de l'itération domicile-travail. Elle est structurée par un réseau de transports en commun qui combine tous les modes. En 2001, d'après les chiffres de l'INSEE, la durée moyenne de déplacement domicile-travail, tous modes de transports confondus, était de 36 minutes en Ile-de-France. C'est donc une réduction de 16 minutes de transport que propose l'équipe. On retrouve là une idée émise dans un ouvrage de 2002, "La France à 20 minutes" (préfacée par Pierre Mauroy qui introduisait "un ensemble d'espaces-temps superposés [qui permettrait] de passer de l'aménagement du territoire à l'aménagement de la mobilité"). 20 minutes comme canon des accessibilités ? Pourquoi pas si cela doit réduire le temps contraint.
Du point de vue de l'aménageur, cela signifie que les nœuds intermodaux qui maillent le territoire tissent une trame de lieux destinés à intensifier le tissu métropolitain discontinu, relié par les divers modes. Dit autrement, le développement ou le renforcement de ces centralités structurerait les tissus intersticiels (Studio 09). La compacité ne vient pas de la densification du bâti, mais des services urbains, laissant le champ libre à la valorisation des espaces de proximité (Lion-Descartes).
La prise de conscience de ces espaces-temps préside à la volonté d'aménager de nouvelles centralités, constituées autour de hubs intermodaux et permettant de redistribuer la mobilité.Les gares tiennent à cet égard une place importante : lieux d'échanges, de l'intermodalité et espaces de vie. Elles sont considérées comme des espaces métropolitains par excellence : Gare de l'Europe des équipes Portzamparc et MVRDV, 3 nouvelles gares pour Castro ou "hubs de la mobilité" pour Nouvel et Grumbach.
Cette dernière équipe parle d'écomobilité et propose de développer et d'associer ces hubs à des "conciergeries", auberges de vies nomades. Dans leur proposition, les pôles multimodaux – transports en commun rapides, covoiturage et parcs de deux roues – sont connectés à des conciergeries, "espaces hybrides" proposant divers services de proximité afin de limiter les déplacements. L'équipe Castro Denissof Cassi encourage la création de nouvelles gares où diverses formes de mobilités se conjuguent et s'articulent, en fonction des espaces urbains.
Ces nouvelles centralités deviennent des "cœurs" de ville – selon la terminologie de l'équipe Nouvel –, et structurent une agglomération plus compacte. A la logique fonctionnaliste des gares de banlieues des années 1970 s'oppose une logique de mixité fonctionnelle et de bassins de vie perméables et ouverts sur la ville. Le déplacement n'est plus une parenthèse, il est la trame sur laquelle se repensent l'urbain.
Ville 2.0Prenant acte du desserrement urbain de la capitale et prolongeant la logique d'extension progressive des passes de transport, l'équipe Lion-Descartes propose d'étendre la carte Imagine R à tous les usagers tandis que l'équipe AUC suggère une tarification unique pour les transports en commun en Ile de France. Dans tous les cas, La "ville en mouvement" est actée (où on retrouve le regard de Saskia Sassen).
L'urbain est généralement pensé comme un sédentaire en sursis. Ainsi, l'impact du numérique et de ses contributions à l'aménagement de l'espace urbain est encore embryonnaire. Les équipes pensent peu l'urbain dans les pratiques qui s'esquissent déjà à l'ombre des services à distance. La question des réseaux trouve néanmoins un écho dans le discours de l'équipe LIN. L'usager de la ville devient nomade et l'émergence des technologies digitales l'affranchit en partie des contraintes spatiales. La multiplication des polarités renforce encore cette autonomie. Répondant à l'expression de Mike Davis, "le bureau sera là où vous êtes", peut-être faudrait-il assumer "le quotidien sera là où vous êtes." Chiche ?
Tags : grand paris, urbanisme, mobilité durable, hubs, démobilité