10 Avril 2009
Audition de Bertrand DELANOE, maire de Paris
Mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales
Sénat, 1er avril 2009
Paris Métropole : une nécessité incontestable, une dynamique engagée
Bien avant 2001, j’ai acquis la conviction que le développement de Paris, le maintien de son rang de métropole mondiale ne pouvait se concevoir qu’en regardant au-delà du périphérique. Les destins de Paris et de son agglomération sont liés. Les habitants, comme les entreprises, ont depuis longtemps aboli les frontières administratives : chaque jour 900 000 Franciliens viennent travailler à Paris et près de 300 000 Parisiens font le chemin inverse. L’avenir de Paris se joue donc à la fois sur son territoire propre et plus largement dans son imbrication avec les dynamiques territoriales et dans sa relation aux grands pôles de l’Ile-de-France et du Bassin Parisien.
En 1998, j’avais pris clairement position pour la création d’une communauté urbaine. J’avais alors fait face à de multiples oppositions, de toutes tendances politiques, fondées sur la crainte d’un « Grand Paris », et alimentées par plusieurs décennies de mépris, de défiance et de tensions objectives dans les relations prévalant entre Paris et la « banlieue ».
J’ai également pris conscience alors de ce que le fait métropolitain n’était pas encore clairement perçu par tous.
Dès mon élection, en mars 2001, j’ai voulu changer l’image que nos voisins avaient de Paris : une ville tournée sur elle-même, hautaine, qui ne les regardait que pour y implanter ses cimetières, ses garages à bennes, ses usines d’ordures ménagères, une ville qui perdait des habitants et envoyait ses pauvres en banlieue. Il a fallu un travail patient, méthodique, d’écoute et de collaboration pour retisser des liens, avec la Région, commune par commune, département par département, pour élaborer des projets communs.
Finalement, parce que nous avons suivi cette méthode, nous sommes allés assez vite. Il a fallu moins de sept ans pour que de nouveaux liens, de nouveaux quartiers, naissent de ces solidarités inédites : couverture du périphérique entre Paris, Vanves et Malakoff, ou encore entre Paris et Les Lilas, lancement du premier quartier intercommunal « Gare des Mines- Fillettes » entre Paris et Plaine commune, renouveau des Portes de Vincennes et de Montreuil, travaillés actuellement avec Montreuil, Vincennes et Saint Mandé, financement du prolongement du tramway T2, entre Issy les Moulineaux et la Porte de Versailles, création du quartier « Docks de St Ouen » qui comprendra plus de 1000 logements, financement d’une part importante de la construction du centre nautique d’Aubervilliers…
C’est de ce processus, de cette dynamique de dialogue, qu’est née la Conférence métropolitaine, en juillet 2006, soit cinq années seulement après le lancement de notre démarche de coopération.
On a beaucoup écrit sur cette Conférence métropolitaine en en soulignant les limites liées à son caractère informel : sa mise en place a clairement marqué le franchissement d’une étape majeure en créant, pour la première fois depuis la disparition du département de la Seine, un lieu de débat politique entre les élus locaux de ces territoires au service des intérêts de nos concitoyens, et au-delà des clivages partisans. Jusqu’à la création de cette conférence, aucun lieu n’avait permis de réunir les élus de l’agglomération dont beaucoup se sont rencontrés pour la première fois à cette occasion.
Depuis sa séance d’installation, la Conférence s’est réunie à Vanves, Montreuil, Cachan, Vincennes, Nogent sur Marne, quatre fois à Paris, a tenu ses Assises à Saint-Denis en juin dernier et a rassemblé 200 élus de droite et de gauche. Plus de 138 Maires, Présidents d’intercommunalités, de Départements, ainsi que le Président de la Région Ile de France se sont réunis pour travailler sur des politiques publiques majeures – déplacements, logement, développement économique - et identifier ce qui, aujourd’hui, ne fonctionne pas ou pas assez pour répondre aux besoins des populations de nos territoires et maintenir la métropole parisienne dans le peloton de tête des « villes monde ». Car l’enjeu se situe bien à ce niveau pour un territoire, Paris Ile-de-France, qui est la première région d’Europe par le PIB, le premier parc européen d’immobilier d’entreprise, la première destination mondiale touristique, le 2ème pôle mondial d’implantation des 500 plus grandes entreprises internationales (derrière Tokyo)…
Aujourd’hui, le fait métropolitain est devenu une évidence. Et le processus engagé depuis 2001 y a puissamment contribué. Si ce débat apparaît souvent comme un débat institutionnel, « d’experts », les habitants de Paris et de la métropole ont conscience d’appartenir à la même agglomération.
La transformation de la conférence métropolitaine en syndicat mixte Paris Métropole au premier trimestre 2009 (le Préfet doit arrêté la création du syndicat dans les jours qui viennent) concernera concrètement plus de 8 millions d’habitants, soit quelques 200 collectivités de petite et de grande couronne, des communes, des EPCI, tous les départements franciliens et la région : le syndicat répond à la demande des élus, de toutes tendances politiques, de se doter d’un cadre adéquat pour avancer vers plus de coopération et concevoir ensemble les instruments et les méthodes d’une gouvernance adaptée aux spécificités – sans équivalent – de la métropole parisienne. La force de cette démarche est qu’elle émane des élus eux-mêmes, qu’elle se développe à leur initiative, dans le respect de leur légitimité démocratique mais aussi de leur diversité.
Originalité de notre démarche, Paris Métropole associe également les principaux représentants du monde économique et social qui, à leur demande, sont partie prenante du syndicat dans le cadre d’un comité des partenaires présidé par le président de la CCIP.
A l’échelle de cette métropole, notre ambition est bien de promouvoir une nouvelle solidarité entre les territoires et leurs habitants y compris dans la répartition des richesses et des ressources et un dynamisme économique durable, seul garant de la solidarité et de la pérennité de la place de la région parisienne dans la compétition internationale. Nous pensons que les problématiques de l’aménagement - les grands projets métropolitains -, de l’environnement, du logement, de l’attractivité économique, doivent se penser à l’échelle métropolitaine. Nous croyons qu’il nous faut inventer une nouvelle solidarité, notamment financière, pour permettre un meilleur développement de la zone agglomérée.
Un processus de partage et de travail en commun est en marche, il est même en voie d’accélération ces derniers mois avec la création de ce lieu de médiation et de construction politique. Quand on se replace dans l’échelle de temps évoquée au début de ce propos, et quand on prend en compte « l’héritage relationnel » également souligné, l’évolution est incroyablement rapide.
Le « retour » de l’Etat qui souhaite apporter sa vision du devenir de l’Ile de France, avec la nomination d’un secrétaire d’Etat chargé de la région capitale et le lancement par le Président de la République d’une grande consultation internationale « Le grand pari de l’agglomération parisienne » accompagne le mouvement initié par les élus locaux. Que l’Etat se soucie de la première région française est un fait positif après des années de désengagement massif notamment au plan budgétaire, mais à condition qu’il respecte les décisions et les compétences des élus locaux. La Ville de Paris participe d’ailleurs activement à la consultation internationale qui rassemble des équipes de grande qualité,et Paris Métropole est le lieu de dialogue entre les élus locaux et les équipes de la consultation pour passer des projets à leur traduction concrète. Une première rencontre le 30 mars a permis de décider d’un calendrier de travail commun.
Au sein de la métropole, la question institutionnelle n’a de sens que si elle permet une réelle amélioration de la gouvernance pour plus d’efficacité, de dynamisme, de cohérence, de solidarité, et pour avancer dans la recherche du bon modèle de développement d’une métropole mondiale du XXIème siècle.
Cela passe d’abord par une réflexion sur les échelles territoriales. Or, la bonne échelle pour une métropole du XXIème siècle n’est ni Paris, ni même Paris et la petite couronne mais un territoire plus large qui s’appuie aussi sur des pôles de développement en grande couronne. C’est pour cette raison que le syndicat mixte s’est ouvert d’emblée aux territoires des deux aéroports (Orly et Roissy), ainsi qu’aux grands pôles de développement économique que sont Saclay et les villes nouvelles. Ces pôles situés en grande couronne sont essentiels au développement métropolitain et ne peuvent eux-mêmes inscrire leur développement qu’en cohérence avec celui du cœur de l’agglomération. C’est pourquoi ils ont vocation à faire partie de Paris Métropole, ainsi que les conseils généraux de grande couronne, gage d’un lien et d’une cohérence dans le développement de la petite et de la grande couronne.
Toute réflexion sur l’organisation territoriale ne peut donc faire l’économie de la réalité du fonctionnement métropolitain d’aujourd’hui. La question qui se pose à nous est donc de concilier une réforme des collectivités locales en Ile de France qui soit cohérente avec les territoires et les projets d’une métropole du XXIème siècle. Celle-ci n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était au moment de la disparition du département de la Seine.
De plus, le paysage intercommunal en Ile-de-France ne se présente pas comme une page blanche : il existe d’abord de grands syndicats techniques qui se sont constitués depuis longtemps, sur des périmètres très variables et qui donnent entière satisfaction : c’est le cas par exemple du syndicat des transports d’Ile de France, le STIF, du syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne, le SIAAP, ou du syndicat de traitement des ordures ménagères de l’agglomération parisienne, le SYCTOM, qui ont chacun leur propre périmètre, répondant tant à l’histoire de notre territoire qu’au fonctionnement propre du service qu’ils rendent aux habitants. Il existe aussi un nombre croissant de structures intercommunales : on en dénombrait 105 au 1er janvier 2007, rassemblant 5,4 millions d’habitants soit 61% de la population francilienne hors Paris et les projets actuels d’intercommunalités en petite couronne couvrent des territoires majeurs : une dizaine de ville de Seine Saint Denis autour de Pantin, Bondy, Montreuil, Rosny sous Bois, Bobigny…soit plus de 400 000 habitants concernés, le rapprochement des intercommunalités existantes autour de Boulogne Billancourt et d’Issy les Moulineaux, soit quelques 300 000 habitants, ou encore le projet d’intercommunalité de la boucle nord des Hauts de Seine. Rien ne serait pire que de vouloir les rayer d’un trait de plume.
C’est pourquoi la constitution rapide d’une communauté urbaine ou d’agglomération, visant à faire rentrer la métropole parisienne dans le droit commun, reviendrait à faire l’impasse sur cette double réalité.
De même, l’idée d’un retour au département de la « Seine » ou d’une solution similaire, rassemblant dans une structure unique les départements de petite couronne, se heurterait à un inconvénient majeur. En effet, le cœur des compétences obligatoires des Départements portent sur l’action sociale (aide sociale à l’enfance, dépendance, handicap, insertion, RMI) et leur mise en œuvre exige toujours plus de proximité, d’adaptation aux réalités locales, de déclinaisons territoriales. Remonter le pilotage de ces politiques au niveau d’une structure à l’échelle de plus de 8 millions d’habitants – sans équivalent en France - se traduirait par une véritable perte d’efficacité de ces dispositifs. Cette proposition, qui était celle du comité présidé par M Balladur, semble aujourd’hui écartée.
Enfin, il me semble que toute avancée sur la gouvernance au sein de la métropole parisienne se doit de faire une place à part entière à la région Ile-de-France. Comment peut-il en être autrement quand cet espace métropolitain de 8 millions d’habitants rassemble 70 % de la population francilienne et concentre les grands pôles de développement de la région ? Or, aujourd’hui aucune structure existante d’intercommunalité ne permet d’associer à part entière l’institution régionale.
Pour avancer sur la gouvernance, il convient de s’appuyer sur quelques principes directeurs :
le souci de l’efficacité d’abord : la gouvernance doit s’adapter au projet métropolitain et tenir compte de la réalité de son territoire, condition d’une réponse opérationnelle aux grands enjeux de demain ; les déclarations récentes du Président de la République lors de la remise du rapport du comité Balladur ne disent pas autre chose : d’abord le projet, ensuite la gouvernance. Ainsi, la future structure de gouvernance doit éviter de créer une nouvelle ligne de fracture (une nouvelle frontière), au sein de l’Ile-de-France, entre les collectivités de petite et de grande couronne.
la nécessité de la proximité ensuite : l’amélioration de la gouvernance doit porter sur le renforcement des solidarités et des cohérences, le développement de nouvelles dynamiques et de projets ambitieux ; en revanche, elle ne doit pas se traduire par moins de démocratie et moins de proximité entre les élus locaux et les concitoyens, car l’exercice de nombreuses compétences au sein d’une agglomération d’environ 8 millions d’habitants exige un contact rapproché qui ne peut se réduire à un simple maillage administratif ; c’est pourquoi, en Ile de France, du fait de la très forte imbrication des territoires, seule une stratégie de rassemblement de toutes les collectivités a une chance d’aboutir (collectivités, Etablissements Publics de Coopération Intercommunale, syndicats).
l’exigence démocratique enfin : l’Ile-de-France en général et la métropole parisienne en particulier, ne constituent pas des territoires d’exception dont les élus locaux seraient moins légitimes que les autres à rechercher ensemble les voies adaptées à l’amélioration de leur gouvernance.
Cette dynamique est engagée et doit se poursuivre à partir de Paris Métropole. Celui-ci a vocation à devenir un lieu d’action qui entreprend, porte des projets d’envergure métropolitaine, assure plus de cohérence et de cohésion entre ses membres. Car effectivement le besoin de plus de coordination entre les collectivités de la métropole parisienne est réel et Paris Métropole se doit d’agir sur les sujets qui fonctionnent pas ou mal aujourd’hui. De manière prioritaire, elle devra se fixer comme mission première, de développer de nouveaux instruments de solidarité financière entre les territoires, notamment par la refonte des dispositifs existants. Ainsi, le Fonds de solidarité de la région Ile-de-France (FSRIF) ne porte que sur un montant très limité (177 millions d’euros auxquels Paris contribue à lui seul à hauteur d’environ 100 M€). Il est de plus très fragilisé par la réforme de la taxe professionnelle. Paris Métropole devra penser une nouvelle « génération » de FSRIF, plus redistributif, plus équitable, avec un effet de levier beaucoup plus important.
Ses champs d’actions pourraient porter sur :
le portage de grands projets urbains ou équipements d’intérêt métropolitain
le logement, politique sur laquelle il manque aujourd’hui incontestablement une structure de coordination et d’impulsion des politiques d’habitat conduites à l’échelon des territoires ;
l’attractivité économique et touristique, les réseaux universitaires et de recherche, en coordonnant mieux les différentes interventions publiques pour parler d’une seule voix au niveau international et mieux organiser les différents sites de développement économique dans un souci de rééquilibrage de l'accueil des entreprises sur le territoire métropolitain ;
l’environnement avec l’élaboration d’un plan climat métropolitain ;
l’hébergement d’urgence pour mieux répondre à la nécessité de développer de nouvelles offres de places sur l’ensemble du territoire métropolitain.
Les interventions de Paris métropole porteraient sur des échelles territoriales adaptées à chacun des sujets traités, sans se substituer à telle ou telle collectivité, mais en donnant plus de force et de cohérence aux collectivités adhérentes.
Alors faudra t-il aller plus loin ? Clairement, je réponds oui. A ce stade, Paris Métropole est un socle, pas un aboutissement. Dessiner des perspectives volontaristes pour la métropole parisienne doit donc partir de ce socle. Sur ces bases, il faut imaginer collectivement les conditions d’une étape nouvelle, à partir de notre vision commune du XXIème siècle francilien. Et en déduire un instrument fédérateur qui coordonne, impulse et renforce ainsi les dynamiques nécessaires autour des vrais enjeux stratégiques.
Observons notamment ce qui se passe à l’étranger. Toutes les grandes métropoles mondiales sont confrontées à une gestion complexe de leur territoire. A chaque fois, elles tentent d’y répondre avec pragmatisme, en inventant des outils souples et adaptés à leur histoire. C'est le cas du "Grand Londres" qui s'appuie sur plusieurs agences spécialisées, pour agir sur un espace de 8 millions d'habitants. C'est également le cas de l'Allemagne qui a conçu des méthodes de projet originales (les IBA) pour penser les reconversions urbaines : une approche flexible, qui privilégie un traitement ciblé de chaque dossier, sur un périmètre donné.
Concrètement, cela signifie que Paris Métropole puisse, progressivement, hériter de compétences stratégiques, reconnues, dans les domaines précédemment mentionnés, où le besoin de cohérence est profond.
Paris Métropole est en marche. Je souhaite que dans leur diversité, ses acteurs démontrent, au cours des prochains mois, leur volonté d’accélérer le processus engagé, en portant un projet dont la force découlera d’abord de leur légitimité. Car Paris Métropole est le symbole d’un territoire qui se saisit de son propre destin et est capable de poursuivre l'innovation dont la conférence a été porteuse, un lieu de médiation, de production de l'intelligence collective, de décision et de mise en oeuvre.