14 Avril 2009
Qu'un pays comme la France puisse avoir comme capitale une métropole qui fait jeu égal avec New York, Londres ou Tokyo, bien devant les capitales de pays infiniment plus peuplés et même économiquement plus prospères montre la singularité française et par là même, en un apparent paradoxe, nourrit un sentiment de fragilité, plus psychologique que réel.
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Paris et le désert français, paru en 1947, eut on le sait un écho considérable. Cette mise en cause de la ville tentaculaire, de cette pompe aspirante se nourrissant comme une pieuvre du sang de la vraie France, reprenait les positions malthusiennes de l'avant-guerre.
Il y a un demi-siècle, le volontarisme des villes nouvelles, "ces cités antibanlieues", construisait du neuf par lequel la capitale pourrait régner. Ce choix qui se débarrassait du cadre utile du département de la Seine, était un choix d'agglomération, un choix prémétropolitain. Que l'action de Paul Delouvrier : autoroutes, aéroports, défense et villes nouvelles, RER enfin, ait permis de faire fonctionner l'agglomération, nul n'en doute. Mais la force propulsive de ce schéma est épuisée. Il nous lègue un périmètre de travail, une situation de déséquilibre est-ouest, qui n'a pas été réduite, un distendu urbain, qui constituent des données métropolitaines.
Et que dire des nouvelles situations qui se sont imposées depuis lors ? Si l'inscription des villes nouvelles dans le projet métropolitain est évidente, en revanche, celle de la place et des rôles des aires aéroportuaires reste posée. La question des grands ensembles est d'une difficulté plus grande encore. On peut rêver de tous les démolir, ce n'est pas répondre à la question de leur transformation et de leur inclusion comme au devenir de ceux qui y habitent. Comment accepter des poches de vie sous-développées, bien que proches du centre de la capitale, parce qu'il faut pour les atteindre plus d'une heure de trajet.
La plus grande difficulté est de voir et de comprendre la réalité métropolitaine d'aujourd'hui, d'une complexité que tous reconnaissent, et de savoir comment, dans quel temps, et avec quels moyens, on peut mettre en mouvement une situation pour tirer parti de ce qui est. Comment transformer ce qui vit, ce qui existe, pour le rendre davantage métropolitain. Et puisque certains évoquent la compétitivité et l'attractivité des métropoles, ce qui les distingue est aussi ce qui leur donne leur rang. C'est la singularité de la métropole parisienne qu'il faut renforcer sans reproduire des modèles qui découlent d'autres histoires, d'autres géographies ou d'autres cultures.
Il était demandé aux équipes de réfléchir à la métropole de l'après-Kyoto. Est-ce en imaginant des prothèses à la situation actuelle, quelques panneaux photovoltaïques, quelques éoliennes, des circulations douces ou des moteurs hybrides qu'on peut y répondre ? Non, bien sûr : c'est d'un monde autre, d'une autre façon de voir et de développer ce monde qu'il s'agit. Et pour prendre un exemple, ce n'est pas au moment où le modèle du centre commercial géant de rase campagne, au milieu de ses champs de parkings, commence à vaciller, qu'il faut proposer des développements urbains de même type, sur le plateau de Saclay ou ailleurs.
La métropole n'est pas une cité idéale, une utopie, mais une réalité protéiforme. L'objectif est bien celui d'une construction à partir de l'existant. Certains le disent. C'est le statut de l'existant, du déjà-là, qu'il nous faut d'abord transformer dans notre perception et nos têtes, et n'est pas radical celui qui entend faire du nouveau seulement à partir de la table rase.
En matière urbaine, il n'y a que la guerre qui y parvient. La transformation soutenable consiste à prendre ce qui existe, à le réemployer pour l'inscrire dans la durée ; la durée, ce n'est pas l'éternité, c'est le passage de témoin des mémoires, des choses et des hommes. Pour y parvenir, une évidence : moins d'esprit de système et plus d'à-propos. Ce n'est pas d'un nouveau plan des artistes que nous avons besoin.
Les mobiles de Calder fournissent un modèle spatial assez compréhensible du fonctionnement métropolitain. Système complexe, qui tire son mouvement de l'extrême imbrication de ses topologies, mais aussi de leurs différences de densité, de surfaces, d'accroches. Evidemment, on ne peut transposer terme à terme, ce qui n'est qu'une sculpture, fût-elle spatiale, mais retenons comme une simulation intéressante de l'urbanité contemporaine la motricité de l'équilibre instable de chaque mobile, sans cesse recomposé par l'ajout d'un nouvel élément, par le décentrement d'une connexion.
Il faut savoir quelles interconnexions sont nécessaires pour mieux faire fonctionner l'économie des flux et des stocks actuels ; et de quels équipements, de quels logements, de quels emplois nous avons besoin pour faire jouer leur place métropolitaine aux noeuds les plus évidents de l'agglomération.
L'intérêt de la consultation en cours, lancée alors que la crise mondiale n'en était qu'à ses signes avant-coureurs, pose une question qui concerne la société française tout entière. Paris, la métropole parisienne sont historiquement une question nationale. Cette question ne peut se résoudre par une exposition de maquettes. Elle doit être éclairée par le travail de ce que l'on souhaiterait appeler par anticipation l'Ecole de Paris.
La question urbaine est la question sociale du XXIe siècle, il serait utile pour le succès même des études en cours qu'elles se prolongent pour interroger la situation et constituer le corps, aujourd'hui dispersé entre trop d'institutions, des faits avérés de la métropole parisienne.
Une bonne gouvernance est aussi à ce prix. Car vouloir, avant de comprendre exactement ce qu'est la métropole parisienne, et choisir une forme d'organisation qui vaudrait projet et imposerait son ordre face à l'intrication des compétences actuelles, c'est se priver d'une vision claire et en quelque sorte faire sien le vieux slogan "l'organisation décide de tout". A rebours, il faut faire partager une politique urbaine, rendue intelligible par l'opinion publique pour provoquer l'acceptation d'une meilleure gouvernance du projet métropolitain.
Le mot prêté au général de Gaulle survolant avec Paul Delouvrier dans un hélicoptère la région parisienne : "Mettez-moi de l'ordre dans ce bordel !", ne peut devenir le slogan de la consultation. On a envie de répondre en citant le vieil Emile Aillaud : "Désordre apparent, ordre caché". C'est cet ordre, non hiérarchique et interterritorial, qui est celui des métropoles, qu'il appartenait de discerner. Elles ont pour la plupart répondu à cette attente. Ne laissons pas passer cette chance et délaissons enfin les schémas épuisés des politiques territoriales.
Paul Chemetov, Architecte, Grand Prix national d'architecture
Michel Lussault, Géographe