5 Mars 2009
Notes - Ariane Azéma - 04 mars 2009
Le Comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par Edouard Balladur, préconise de créer en 2014 le "Grand Paris", une collectivité locale correspondant au territoire de Paris et des trois départements de la petite couronne. En apparence minimaliste, cette réforme aura des conséquences lourdes, et fait l'impasse sur des initiatives intéressantes déjà engagées. Selon Ariane Azéma, Conseillère du Président de la région Ile-de-France, il faut prôner le consensus politique pour imaginer une métropole capable de faire face aux enjeux de justice sociale et d'identité qui se posent.
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En proposant de créer en 2014, une collectivité locale à statut particulier, le « Grand Paris », correspondant au territoire de Paris et des trois départements de la petite couronne, le Comité présidé par Edouard Balladur est loin de répondre aux exigences d’une véritable réforme.
Les enjeux à multiples bandes du Grand Paris : retour sur quelques spécificités de la métropole francilienne
Creuset d’une configuration politique structurellement conflictuelle, l’Ile-de-France ne peut se réformer sans un minimum d’accord multipartite qui fait manifestement défaut au Comité Balladur.
Au-delà de ses dimensions institutionnelles et politiques, la réforme de la métropole parisienne ou francilienne doit à la fois tenir compte des enjeux d’efficacité métropolitaine au sens large, dont on peut se demander si le modèle du Grand Londres constitue nécessairement la référence indépassable, et intégrer pleinement les réalités d’une agglomération urbaine dépassant largement les frontières du cœur parisien et de la petite couronne.
La fausse bonne idée du Comité Balladur
Techniquement assez minimaliste (comparé aux changements proposés pour les métropoles de province, par exemple), le retour à un département de la Seine élargi, que propose de fait le Comité Balladur est porteur de conséquences très lourdes et, au final, préjudiciables au bon fonctionnement de la métropole. Une métropole amputée, une gouvernance locale introuvable, un club de riches exclusif et un leadership impossible, tels pourraient être les effets à terme du « Grand Paris ».
Une tentation autoritaire à rebours des expériences et innovations pourtant portées par les collectivités
Le Comité Balladur fait l’impasse sur trois séries d’initiatives portées par les acteurs parisiens et franciliens potentiellement prometteuses pour une gouvernance métropolitaine originale :
-le développement intercommunal, aujourd’hui en voie de rattrapage en Ile-de-France, particulièrement dans la zone dense, si ce n’était le blocage créé de fait par l’Etat depuis plusieurs mois ;
-le syndicat Paris Métropole, issu de la conférence métropolitaine, ouvrant la piste à une approche ouverte, adaptée aux recompositions locales et permettant à toutes les parties prenantes, collectivités mais également acteurs divers, de s’impliquer dans une démarche collective ;
-les propositions de clarifications des rôles entre niveaux de collectivités et de création d’outils spécifiques à la région urbaine (sur le modèle du STIF pour les transports).
Trois conditions nécessaires pour une véritable réforme :
- le consensus politique et la préférence pour une stratégie progressive, à rebours de la rupture ;
- l’identification des priorités indissociables d’une réforme fiscale et financière adaptée ;
- une identité métropolitaine à questionner, au cœur de la problématique de la gouvernance.
En proposant de créer en 2014, une collectivité locale à statut particulier, le « Grand Paris », correspondant au territoire de Paris et des trois départements de la petite couronne, le Comité pour la réforme des collectivités territoriales, présidé par Edouard Balladur, réussira-t-il à trancher le débat très médiatiquement relancé par Nicolas Sarkozy en juin 2007 à Roissy ?
Rien n’est moins certain, tant sur ce dossier miné, la solution proposée, apparemment simple et pragmatique, est loin de répondre aux exigences d’une véritable réforme.
Les enjeux de gouvernance de l’Ile-de-France ne se laissent pas résumer simplement. Il s’agit, avec Londres, d’un des plus grands pôles urbains d’Europe. Et la région parisienne ou francilienne est confrontée aux défis rencontrés par toutes les grandes métropoles internationales : rayonnement, cohésion, performance des réseaux techniques, développement urbain durable.
Le creuset d’une configuration politique structurellement conflictuelle
Il faut d’abord revenir sur les dimensions partisanes du « Grand Paris ». Non pour en faire l’alpha et l’oméga d’une question très complexe, y compris politiquement. Mais pour rappeler un arrière plan de crispations qui pèse nécessairement dans les débats. Et développer un angle souvent évoqué par les médias mais rarement précisé plus avant selon le vieil adage « y penser toujours, n’en parler jamais ».
Véritable condensé national, la région parisienne est un bastion politique où tout changement institutionnel emporte des conséquences lourdes. Pour les équilibres politiques parisiens et franciliens mais également nationaux. Hors niveau communal, l’Ile-de-France totalise ainsi plus de 15% des élus de la République : une proportion inférieure au poids de sa population mais d’un volume très conséquent. Surtout, l’imbrication avec le pouvoir politique national est très forte. Depuis les débuts de la Ve République, nombreux sont les gouvernements à avoir compté en leur sein plus de 20% de ministres d’ancrage parisien et francilien, et parfois 30% Actuellement, on atteint un niveau quasiment inégalé puisque le Gouvernement de François Fillon compte près de 17 membres (sur 38) issus de la région parisienne .
L’Ile-de-France est ainsi loin d’être une simple terre politique locale. Que l’actuel Président de la République et son prédécesseur soient eux-mêmes issus de la région (de plus tous deux anciens présidents de conseils généraux du cœur parisien), permet aussi de prendre la mesure de l’impact qu’a constitué la conquête par la gauche d’un poids dominant dans la région capitale. Ancien bastion du socialisme municipal et terre communiste de prédilection dans la ceinture rouge, la région et la majorité des conseils généraux n’en sont pas moins tenues par la droite durant les années 1980 et 1990. Jusqu’à ce que la Région, à compter de 1998 et plus encore en 2004, et la majorité des conseils généraux par le fait d’alternances à Paris mais également en Essonne, en Seine-et-Marne et, plus récemment, en Val d’Oise passent à gauche, et soient désormais gouvernés par des majorités à dominante socialiste.
Or, ce principe démocratique qu’est l’alternance se complique dans le cas francilien. Depuis vingt ans à l’exception de très courtes périodes, la Région et, désormais, la quasi-totalité des conseils généraux (mais pas nécessairement la majorité des communes…), sont en effet systématiquement du camp politique opposé à celui du Gouvernement. Dans un contexte de décentralisation inachevée, le conflit institutionnel susceptible d’opposer Etat et collectivités est ici mécaniquement avivé par une constante fracture politique.
A cette fracture s’ajoutent les clivages voire les tensions internes à chaque famille politique, dont l’Ile-de-France accueille bien souvent, à la différence d’autres régions généralement plus homogènes, les différents courants et sensibilités. En témoignent l’affrontement en Ile-de-France entre les différentes motions socialistes du congrès de Reims, le duel entre sarkozystes et chiraquiens au sein de l’UMP francilienne, la fracture entre les deux familles centristes, les multiples motions des Verts ou encore les conflits propres au parti communiste. Des clivages internes qui se traduisent parfois aussi par des conflits institutionnels entre collectivités.
Ainsi, si chercher à changer les périmètres et les règles du jeu électoral est toujours délicat, une telle perspective prend nécessairement en région parisienne un relief singulier. En toute hypothèse, elle exige un minimum d’accord multipartite. On pourrait ajouter qu’elle doit aussi être en phase avec les enjeux renouvelés de légitimité et de lisibilité démocratiques auxquels la décentralisation, par son importance grandissante et son rôle actuel de contre-pouvoir de fait, doit donner toute leur place.
Ville-monde ou ville à vivre : le dilemme métropolitain
La question de l’image et du rayonnement de la métropole parisienne, et partant de ceux de la nation toute entière, a constitué l’un des motifs les plus débattus pour justifier de la création d’un Grand Paris. Il s’agit d’un point central dans l’intervention du Président de la République de juin 2007 à Roissy : « l’Ile-de-France [doit-elle se laisser] distancer par Shanghai, par Londres ou par Dubaï ? ». C’est également la raison invoquée pour nommer, presque un an plus tard, un secrétaire d’Etat en charge du développement de la région-capitale. Une dimension qui clôt l’exposé des motifs de la proposition du Comité Balladur visant à « donner à la région parisienne une force nouvelle, à la mesure de son prestige international ».
L’exploration des modèles étrangers a d’ailleurs fait florès dans les nombreux rapports, études et publications scientifiques penchés sur le chevet de la région parisienne. Mais, si elle a été l’occasion de pointer les spécificités de la décentralisation à la française (fragmentation communale, absence de hiérarchie entre niveaux de collectivités territoriales, système fiscal très inégalitaire), aucune piste indiscutable de réforme n’a pu être véritablement dégagée pour l’Ile-de-France : « Si l’on observe les métropoles comparables à l’Ile-de-France, partout le système de gouvernance y est complexe et partout les solutions mises en place reflètent cette complexité » .
Le modèle du Grand Londres n’en a pas moins constitué, tout au long des débats, une référence de plus en plus explicite. Parfois paradoxale. D’une part, parce que le modèle londonien, puissamment incarné jusqu’à sa défaite en mai 2008 par Ken Livingstone, est loin de répondre pleinement aux enjeux métropolitains . D’autre part, parce que cette référence se retrouve aussi bien à l’appui de la proposition énoncée par le maire de Paris pour développer le syndicat Paris Métropole que dans la proposition finale faite par le Comité Balladur. Deux propositions pourtant très distinctes.
En fait, par delà ses dimensions institutionnelles, cette référence londonienne a restreint d’une certaine façon les débats du Grand Paris à un enjeu de performance économique. Il s’agissait surtout de questionner la rentabilité du modèle francilien - mais c’était avant que la crise financière ne vienne bousculer certains repères …. Sans même revenir sur le fond des polémiques que celle-ci comporte , les enjeux de cohésion sociale et territoriale sont ainsi parfois passés au second plan. Or, ils sont également pleinement partie prenante de la réussite francilienne. De sa fonction au sein de la mondialisation. Des équilibres induits entre exigences de développement et attentes de meilleure qualité de vie. Des retombées attendues pour l’ensemble du territoire national. Du partage des rôles que cela suppose entre Etat et collectivités.
Difficile en effet, à l’occasion d’une réforme institutionnelle parisienne ou francilienne, de ne pas se prononcer sur le rôle de cette locomotive économique nationale et de ne pas faire la part des choses entre le local et le métropolitain, même si cet équilibre relève d’une lecture politique également clivée comme l’ont montré les conflits entourant l’adoption définitive du projet de schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF), porté par la Région et actuellement bloqué par le Gouvernement.
Les impératifs d’une vaste agglomération urbaine en pleine mutation
Issu de débats centrés sur la zone dense, la question du Grand Paris concerne, en fait, un territoire beaucoup plus vaste que les 124 communes de la petite couronne : celui de l’agglomération et de la région urbaine (cf. en annexe la Figure 1 présentant les grandes entités fonctionnelles de la région Ile-de-France).
C’est à l’occasion de la politique d’ouverture initiée par Paris en 2001 à l’égard des communes limitrophes qu’est réapparue la question du Grand Paris posée dès la Constituante et régulièrement agitée durant la longue histoire de la région parisienne . Il s’agissait aussi de faire droit à des territoires d’une banlieue proche mais délaissée. Ce sujet a cependant débordé le seul cœur parisien à l’occasion des travaux préparatoires du SDRIF.
Ceux-ci ont démontré les très fortes interdépendances entre première et deuxième couronnes qu’il s’agisse de déplacements, de logement ou d’emploi : des interdépendances renforcées sous l’effet d’un desserrement non seulement des logements mais aussi des emplois désormais de plus en plus éloignés du cœur parisien .
Pour nombre d’acteurs et d’experts, les réalités métropolitaines sont désormais d’envergure régionale . Mais ce vaste espace métropolitain vient, tout d’abord, largement achopper sur des systèmes techniques, des politiques et des opérateurs publics aux périmètres plus fragmentés car souvent hérités d’une époque où l’urbanisation se limitait au cœur parisien. La carte des différents syndicats techniques (assainissement, énergie, déchets, etc.) ou encore le duopole que constituent, dans le champ des transports, la RATP et la SNCF l’illustrent assez clairement. Surtout, l’architecture fiscale et financière qui sous-tend ces réalités métropolitaines se révèle de plus en plus inégalitaire. Avec pour conséquences des tensions grandissantes en termes de cohésion et de solidarité territoriale. Ainsi qu’une difficulté à mutualiser pleinement les ressources nécessaires aux besoins d’investissements colossaux d’une métropole confrontée, comme ailleurs, aux enjeux du développement urbain durable.
Bien sûr, aucune réforme institutionnelle ne peut prétendre résoudre par magie l’ensemble de ces enjeux fonctionnels. Mais on peut défendre l’idée qu’elle doit permettre d’en faciliter l’amélioration et d’en clarifier les mécanismes d’arbitrage et de responsabilité.
Examinons maintenant le détail de la proposition formulée par le Comité Balladur. Quel en est le contenu précis ? Répond-elle aux enjeux précédemment évoqués ? Comment s’insère-t-elle dans les initiatives portées par les élus franciliens ?
Le retour au département de la Seine
Précisément, la proposition du Comité Balladur vise à créer une collectivité territoriale à statut particulier qui présenterait les caractéristiques suivantes :
- elle serait une collectivité à statut spécial, au sens de l’article 72 de la Constitution, dénommée « Grand Paris », qui s’étendrait sur le territoire de Paris et des trois départements de la première couronne, ce qui impliquerait « la dissolution de plein droit des communautés de communes et d’agglomération territorialement compétentes dans les quatre départements supprimés » ainsi que des syndicats techniques (à l’exception de ceux dont la compétence excède le territoire du « Grand Paris » tels le SIAAP (compétent pour l’assainissement) et le STIF) ; les communes, et notamment Paris, conservant leur qualité de collectivités locales avec la clause générale de compétence que l’on trouve dans le code général des collectivités, les compétences qu’elles exercent aujourd’hui et les attributions fiscales correspondantes;
- le « Grand Paris » disposerait des compétences d’attribution des départements et des intercommunalités « sous réserve d’un certain nombre d’ajustements », à savoir l’ensemble des compétences d’un conseil général, à l’exception des collèges transférés à la Région ainsi que les compétences communales et intercommunales dans le domaine du logement, de l’habitat, de l’urbanisme, des transports (du moins comme autorité organisatrice de second rang en matière de transports urbains, le STIF, de niveau régional, conservant sa mission organisatrice) ; il pourrait également être compétent pour la « définition des dispositifs contractuels de développement urbain, de développement local et d’insertion économique et sociale et les dispositifs locaux de prévention de la délinquance » ; la culture, l’environnement, la protection du patrimoine demeurant, entre autres, de niveaux communal ;
- cette collectivité nouvelle recevrait « les recettes affectées aux départements qu’elle [remplace] et se [voyant] attribuer, un montant, à déterminer de l’imposition appelée à remplacer la taxe professionnelle perçue par les communes ».
- elle serait administrée par 135 élus, selon un scrutin de liste à deux tours à la représentation proportionnelle avec prime majoritaire, dans 13 circonscriptions de 500.000 électeurs chacune (45 sièges à Paris repartis sur 4 circonscriptions et 30 sièges sur 3 circonscriptions sur le territoire de chacun des 3 départements) ; sachant que les premiers de liste siègeraient au conseil régional, les suivants au conseil du Grand Paris ;
- elle deviendrait également la nouvelle circonscription pour l’action de l’Etat, sous la responsabilité du préfet du Grand Paris, par ailleurs préfet de Région, et le préfet de police de Paris voyant ses pouvoirs et attributions étendus à cette échelle ;
-enfin, le périmètre du Grand Paris serait susceptible d’être « ultérieurement ajusté » aux « communes contigües » par accord des collectivités concernées ou par la loi, « le périmètre des départements de grande couronne étant modifié en conséquence ».
Ayant le mérite de la simplicité, cette option consiste à revenir à la situation antérieure à 1964, c’est-à-dire au département de la Seine, toutefois un peu élargi et doté de certaines missions propres au District de la région parisienne, qui préexistait à la Région de 1961 à 1976 . Il s’agit d’un territoire comprenant plus de 6 millions d’habitants, soit une collectivité locale d’une taille jusque là inconnue et représentant plus de la moitié de la population régionale.
Un changement a minima mais très lourd de conséquences
Qualifié par le Comité lui-même comme d’ « importance » et « novateur », ce changement peut d’abord être analysé comme a minima techniquement (au regard des changements proposés pour les « métropoles » de province). D’une part, la création du « Grand Paris » n’induit aucun redécoupage administratif et se limite à fusionner des compétences, des services et un ensemble de ressources fiscales. D’autre part, sont maintenus, au moins optiquement, les pouvoirs des communes. Enfin, l’interpénétration des scrutins départementaux et régionaux est présentée comme le gage d’une coordination facilitée avec le conseil régional (dont l’une des compétences majeures au travers du STIF est maintenue) qui « [garantirait] contre le risque d’éclatement de la région Ile-de-France en deux entités éloignées l’une de l’autre ». Il s’agit là d’une proposition que l’on peut défendre au nom du pragmatisme et de la lisibilité immédiate.
Mais ses conséquences n’en sont pas moins très lourdes. On peut même penser qu’il s’agit là d’une proposition préjudiciable au bon fonctionnement de la métropole francilienne comme du cœur parisien.
La métropole amputée
Au regard des enjeux propres à la très vaste agglomération urbaine, la création du Grand Paris renforce clairement la coupure fonctionnelle entre première et deuxième couronnes. Au détriment de la coordination de certaines politiques structurantes comme le logement, le développement économique ou encore le développement urbain durable. Et si le Comité a jugé bon de préserver un STIF d’échelle régionale, on comprend mal pourquoi il n’a pas alors proposé la création à cette même échelle d’outils pour les politiques structurantes précédemment citées. On arrive ainsi à une métropole amputée. D’une part, parce qu’elle exclut, de fait, des territoires aussi stratégiques pour son développement que la zone aéroportuaire de Roissy ou le pôle scientifique qu’est Orsay-Saclay. D’autre part, parce que les ressources d’un développement métropolitain viable sont à chercher, bien sûr dans les « délaissés » de la banlieue parisienne mais aussi dans cette « moyenne couronne » qui se tient justement entre la précédente et les villes nouvelles.
Le local introuvable
Si cette coupure a des effets sur les politiques métropolitaines, elle entraîne aussi des incidences fortes sur le local. A commencer par le cœur parisien. A la différence d’une option de communauté d’agglomération ou de communauté urbaine, la nouvelle entité est totalement dissociée de l’échelon communal, et a fortiori du cadre intercommunal dissous « de droit ». Pour le dire simplement, elle ne procède pas des maires ou de l’élection municipale (comme l’est par exemple le système dit PLM), tout en maintenant la fragmentation communale pourtant pointée, par le Comité lui-même, comme un avantage de la métropole parisienne face à Londres. En fait de simplification, se dessine ainsi une montée en charge des problèmes de coordination : entre ce Grand Paris et les communes d’un côté, entre ces communes aux coopérations intercommunales désormais supprimées.
Le club de riches
On peut en outre craindre des effets locaux au-delà du seul cœur parisien, sur le niveau d’équipement et d’administration des territoires situés de part et d’autre de cette nouvelle frontière que serait le Grand Paris. A propos de la première couronne, le Comité Balladur souligne, à juste titre, le contraste en son sein entre des territoires parfois sous-équipés, par exemple en termes de services locaux. Comment ne pas voir que ce sous-équipement est largement la résultante de la coupure historique, aujourd’hui symbolisée par le périphérique, entre Paris et ses voisins ? Et ne doit-on pas en déduire que la proposition conduit à déplacer géographiquement ce clivage, sans le résoudre ? Cette question majeure pour le devenir des habitants de ce que l’on pourrait appeler la moyenne couronne aurait ainsi exigé des propositions spécifiques en matière de fiscalité, de finances locales et d’outils de péréquation. En l’absence de celles-ci, force est de constater que le Comité propose en fait de refermer sur-lui-même un territoire qui, nonobstant ses très fortes disparités internes, est le plus riche de France, et l’un des plus riches d’Europe.
L’impossible leadership
Enfin, sur un territoire aujourd’hui dirigé par trois conseils généraux de gauche sur les quatre qu’il comprend, le Comité prête flanc au soupçon de manipulation politique, fût-elle repoussée à 2014. La création de nouvelles et vastes circonscriptions, ayant aussi de surcroît un impact sur l’élection régionale, sans plus amples précisions de méthode, ouvre en effet la porte à toutes les manipulations et le gouvernement actuel a déjà démontré, à propos du redécoupage des circonscriptions pour les législatives que l’on pouvait nourrir quelque inquiétude . Bien sûr, on peut considérer que rien n’interdit d’adapter les périmètres et que c’est ensuite aux règles démocratiques de s’appliquer. Mais la difficulté supplémentaire de cette proposition, et ce, quelles que soient les alternances à venir, c’est qu’elle ne résout en rien la question du leadership. On pourrait même dire qu’elle se complique avec la création d’un infernal triptyque entre le maire de Paris, le président du Grand Paris et le président du conseil régional.
Au final, le « Grand Paris » du Comité est trop petit là où il faudrait voir grand. Et trop vaste là où il faudrait être proche.
Un dernier point fondamental tient au processus de décision privilégié par le Comité Balladur, et en cela conforme à l’esprit de la mission définie par le Président de la République : le recours à la loi ex abrupto, sans véritable concertation et sans marge explicite d’adaptation.
D’aucuns jugeront, et ceci pour l’ensemble de la réforme des collectivités territoriales au-delà même de la seule Ile-de-France, que c’est la seule façon de passer outre à ce qui serait le conservatisme intrinsèque des élus locaux. Mais on peut aussi défendre l’idée que le Comité a, au contraire, choisi de récuser les initiatives portées par ces mêmes élus locaux, au bénéfice du retour à un modèle autoritaire disparu depuis plusieurs décennies.
Au titre de ces initiatives locales, visant à répondre aux enjeux de coordination entre collectivités, on citera tout d’abord le développement intercommunal. Moins développé en première couronne parisienne , il a pourtant connu depuis le début des années 2000 un mouvement de rattrapage qui pourrait déboucher, si l’Etat consentait à le soutenir , sur la structuration d’une dizaine de bassins de vie et de développement autour de Paris. La « dissolution de droit » des intercommunalités de la première couronne que propose le Comité conduirait donc à supprimer ainsi l’un des outils opérationnels existants de coopération locale, au profit d’une très vaste entité aux prises avec une fragmentation communale toujours prégnante.
On évoquera, ensuite, parmi ces initiatives, le syndicat mixte Paris Métropole, issu de la conférence métropolitaine. Sur un territoire certes encore discontinu mais débordant la seule première couronne, ce syndicat en devenir est ainsi pour les différents niveaux de collectivités, y compris intercommunales, qu’il fédère un cadre de coopération destiné à répondre aux projets et priorités de la métropole. Pluraliste quoique majoritairement porté par des collectivités de gauche, cette initiative est explicitement récusée par le Comité.
Et pourtant, elle présente potentiellement trois innovations fondamentales :
-un périmètre ouvert qui évite de relancer la « guerre des couronnes » tout en étant à la mesure de l’agglomération ou de la région urbaine c’est-à-dire aux réalités de la métropole (cf. Figure 2 en annexe);
-un processus au sein duquel les intercommunalités pourraient continuer à se développer et à monter en puissance, en liant ainsi coopération locale et stratégie plus globale, ce qui est l’enjeu métropolitain par excellence ;
-un cadre de coopération avec toutes les parties prenantes ; les différents niveaux de collectivités, auxquelles reviendraient ensuite la charge de la mise en œuvre dans le respect de leurs compétences et de leurs opérateurs (syndicats, agences, etc.), mais aussi d’autres acteurs : milieux économiques, partenaires sociaux, associatifs, établissements publics (d’enseignement supérieur et de recherche, hospitaliers notamment) .
Ces innovations pourraient être complétées par un approfondissement de la décentralisation, c’est-à-dire des compétences et des outils propres à chaque niveau de collectivités (et des évolutions en retour sur l’Etat et ses services particulièrement enchevêtrés en Ile-de-France…), en tenant compte réellement des spécificités de la région francilienne. Par exemple, on pourrait étendre à d’autres secteurs comme le logement, voire le développement économique, le système original du STIF pour les transports publics , ce qui permettrait d’éviter l’impasse sur la région urbaine, à laquelle conduit la proposition du Comité Balladur exclusivement centré sur un Grand Paris limité au cœur parisien.
En conclusion, une réforme de la gouvernance francilienne est possible et nécessaire, à plusieurs conditions.
On insistera, tout d’abord, sur l’incontournable besoin d’un large consensus politique que la proposition Balladur ne peut recueillir . Dans une région politiquement si sensible, l’usage et la mise en scène de la « rupture » sont certainement, plus encore qu’ailleurs, contre productifs. La proposition relative au Grand Paris sera, ainsi, très largement contestée, non seulement parce que les deux membres socialistes du Comité Balladur, à savoir Pierre Mauroy et André Vallini, s’en sont d’ores et déjà explicitement désolidarisés, mais aussi, parce que, le Comité ayant choisi de privilégier l’option défendue par Philippe Dallier, il y a pas de chance que la proposition du sénateur de Seine Saint Denis soit aujourd’hui acceptée alors qu’elle avait été très largement refusée il y a plusieurs mois à gauche comme à droite
On devrait préférer un processus de concertation, nécessairement étalé dans le temps et associant également les habitants également oubliés par les travaux du Comité Balladur. Et l’on peut, en définitive, se demander si les longues années nécessaires pour réaliser effectivement la fusion administrative et technique du « Grand Paris » ne pourraient pas être utilement consacrées à des changements ciblés de l’architecture actuelle.
Ensuite, on rappellera qu’une réforme demande avant tout une véritable réflexion sur les objectifs qu’elle porte en priorité. Outre qu’il est très largement inopérant pour les métropoles, le mot d’ordre de simplification ne peut en tenir lieu. Où sont les urgences fonctionnelles de la métropole d’aujourd’hui ? Et, plus encore quelles sont celles de demain ? N’est-ce pas à partir de celles-ci que l’on peut identifier l’architecture la plus adaptée pour gérer, à des niveaux nécessairement distincts, ce qui doit relever du local et de la proximité d’un côté, du métropolitain de l’autre, tout en assurant la cohérence, forcément complexe dans les très grandes régions urbaines, de ces deux dimensions et en incluant nécessairement un véritable big bang fiscal et financier à la hauteur des enjeux. Ce dernier sujet est évidemment capital. Et ce pour trois raisons : d’une part, le rôle et la nature des coopérations entre collectivités est bien entendu intrinsèquement lié à leur marge de manœuvre et d’initiative financière, tandis que définir une architecture institutionnelle sans préciser ressources et dépenses reste un trompe l’œil ; d’autre part, la région parisienne est l’un des espaces nationaux les plus contrastés et inégalitaires qui soit. Outre les enjeux de justice sociale, se jouent également des effets très contre-productifs que certaines politiques publiques s’épuisent en quelque que sorte à compenser. Et, au final, l’une des questions de fond posées aux métropoles tient à leur capacité collective d’investissement, a fortiori à l’heure où il s’agit d’assurer un véritable tournant en matière de développement urbain soutenable. Le système actuel ne s’y prête absolument pas.
Enfin, comment ne pas s’interroger sur le sens de la réforme ? L’identité, ou plutôt les identités avec lesquelles il s’agit de composer aujourd’hui. Celle(s) qui constituera(ont) la métropole de demain. Car là est bien une question majeure, quoique ténue, souvent implicite, ayant émergé des travaux des experts, des débats du SDRIF, des échanges au sein de la conférence métropolitaine ou encore des réflexions des dix équipes d’architectes de la consultation internationale. Longtemps « délégation de toutes les provinces », la métropole francilienne est aujourd’hui peuplée d’habitants majoritairement nés en Ile-de-France, tout en accueillant, sous l’effet de la globalisation et des mouvements migratoires internationaux, des populations venues de plus en plus loin. Et ce, au sein de territoires aux identités hérités très marquées (y compris en dépit de changements sociologiques majeurs mettant à mal certaines images d’Epinal…). Et, en tout cas, souvent très ségréguées. Alors, comment faire sens ? Faut-il volontairement privilégier une identité forgée depuis le cœur ? Ou au contraire forte d’une mosaïque ? Ou encore plus globale ? Un vaste sujet dira-t-on mais là se noud une dimension incontournable de la gouvernance de la région parisienne.