28 Novembre 2008
La durabilité des villes n'est pas seulement une question économique, elle dépend aussi de leur qualité urbaine en tant qu'espace de la vie sociale. La construction de tours est-elle compatible avec l'insertion et la cohésion urbaine ? Des villes comme New-York ou Vancouver démontrent que la grande hauteur peut être conciliée avec une ville ouverte, attractive et vivante, a contrario des expériences parisiennes qui, en implantant des tours ou des groupes de tours rompant trop brutalement avec la trame urbaine traditionnelle et faute de solution de continuité, ont constitué des enclaves mal insérées, dont la greffe n'a pas su prendre. La qualité urbaine de Manhattan vient de l'articulation de ses gratte-ciel avec l'espace public, de la lisibilité de sa trame viaire et de la perméabilité de ses rez-de-chaussée. Inversement, une mauvaise articulation de la tour à son environnement urbain est presque toujours à l'origine de son rejet. La qualité du traitement du pied de la tour, c'est-à-dire son enracinement dans la ville, est un facteur primordial d'intégration urbaine qui impacte l'ensemble du quartier où elle s'implante. Ce traitement peut prendre des formes très différentes selon que la tour est isolée comme à Montparnasse, associée à d'autres comme dans le quartier d'affaires de La Défense ou banalisée comme à New York mais, il exige toujours un effort exceptionnel dans la conception et la gestion des espaces ouverts au public.
La tour, par nature et par vocation, est un objet architectural très prégnant dans le paysage urbain. Cela est particulièrement vrai en Ile-de-France où le site naturel n'offre pas de dénivelé excédant 200 mètres. La butte Montmartre, qui domine Paris, n'est qu'à une centaine de mètres au-dessus de la Seine. La construction de tours modifie donc considérablement le paysage et la silhouette de la ville. Dans les années soixante-dix, l'apparition aléatoire d'immeubles de grande hauteur dans cette silhouette parisienne a conduit à leur interdiction totale. Aujourd'hui, nul ne souhaite la « bruxellisation » de Paris, c'est-à-dire la poussée de tours au hasard des opportunités foncières et immobilières. Mais faut-il pour autant refuser partout toute construction de grande hauteur ?
La Tour Eiffel est le symbole de Paris, capitale touristique du monde. La Tour Montparnasse elle-même, qui n'est pas un modèle de créativité architecturale, a trouvé sa place en signalant l'un des principaux lieux de centralité parisienne. A coté de ces monuments qui jalonnent la ville, la silhouette que constituent les 71 tours de La Défense participe à ce paysage parisien et dialogue avec la butte de l'Etoile, Montmartre ou la Montagne Sainte-Geneviève. Elle participe à sa lisibilité, à son identité et signale sa puissance économique. En revanche, multiplier sans précaution des tours conduirait progressivement à enlever toute signification à ces gestes architecturaux et à banaliser le grand paysage de Paris et du cœur de l'Ile-de-France.
Il y a trois manières d'insérer les tours dans la ville. La plus simple et la plus ancienne est la tour monument. C'est une tour isolée, signalant un des pôles de la ville. Dans cette catégorie, on trouve notamment la Turning Torso à Malmö, la tour Agbar à Barcelone, la tour Gherkin à Londres. Une deuxième manière est d'en faire le gabarit ordinaire de la ville. Une de ses versions historiques est la fameuse ville de San-Giminiano en Toscane, mais elle s'est surtout diffusée au XXème siècle dans les villes américaines comme Chicago, New-York, Sao Paulo, etc. puis dans les métropoles asiatiques, Hong-Kong, Singapour, Shanghai etc. Elle est plus rare en Europe où Francfort reste une exception. La troisième manière, plus sophistiquée, est la création d'une grappe de tours formant un quartier d'affaires à l'exemple de La Défense, de Canary Wharf à Londres ou du projet de Zuidas à Amsterdam. Il n'est pas question d'en faire le gabarit ordinaire de l'agglomération parisienne mais les deux autres manières y sont présentes et restent envisageables pour l'avenir. Encore faudra-t-il en maîtriser l'usage à l'échelle du grand paysage, ce qui suppose de disposer des outils de simulation permettant d'avoir une vision de l'impact paysager des projets, mais aussi d'un lieu de décision collectif qui évitera la multiplication désordonnée des initiatives communales.
L'immeuble de grande hauteur est donc un ingrédient urbain à utiliser en pensant à la ville et à son usage. Cela doit nous conduire à ne plus le considérer seulement comme un monument d'architecture ou un produit immobilier d'exception mais comme un élément constitutif de la ville qui doit participer à son projet urbain. Au moment où s'agite le débat sur le Grand Paris, n'est-il pas temps de resituer dans une vision partagée de l'armature urbaine et du grand paysage les multiples projets de Paris et des communes qui l'entourent afin de concevoir une silhouette urbaine séduisante, cohérente et lisible qui permettra à Paris et à l'Ile-de-France de redevenir, comme au début du siècle précédent, un modèle de métropole associant identité, modernité et qualité de vie. Le débat mérite en tout cas d'être poursuivi, approfondi et éclairé, à moins que la tempête financière, qui s'est levée au milieu des tours de Wall Street, ne ramènent les métropoles à des ambitions plus modestes !