30 Juin 2008
Business Immo : Quel est votre projet pour l'Île-de-France à l'horizon 2030 ?
Jean-Paul Huchon : « L'innovation, la cohésion urbaine et la transition écologique sont les défis majeurs que doivent relever les grandes métropoles mondiales. Un certain modèle de développement urbain européen se joue là. Une spécificité francilienne aussi. Nous avons de très nombreux atouts. Mais il faut se tourner vers l'avenir, anticiper des solutions aux conséquences des changements climatiques et énergétiques, en explorant de nouvelles formes de densité urbaine et d'éco quartiers. Nous devons réinsérer les activités dans la ville, compte tenu des conditions à venir de mobilité, par la priorité aux transports collectifs et aux circulations douces et proches ; compter sur toutes les formes d'innovation et de création, des centres de recherche jusqu'aux espaces publics urbains. Enfin, avec bien d'autres responsables locaux, je suis convaincu que la cohésion sociale et la solidarité financière sont deux des clefs du rayonnement francilien, ainsi que miser sur la confiance et la négociation, dans une région historiquement très conflictuelle, voilà notre stratégie. »
BI : Quelle est votre définition de l'Île-de-France ?
JPH : « La "marque de fabrique" de l'Île-de-France tient à sa qualité de vie urbaine, ses réseaux d'infrastructures, sa force d'inventivité et de rayonnement. Avec des atouts décisifs pour être une éco-région exemplaire et un laboratoire urbain d'innovations sociales et économiques. »
BI : Comment s'articule votre action avec celle du secrétariat d'État à la région capitale ?
JPH : « La création de ce secrétariat d'État a surpris. Il faut remonter au siècle dernier, voire au XIXe siècle, pour retrouver un tel symbole d'intervention autoritaire de l'État. Partisan convaincu de la décentralisation, je ne peux que regretter cet affichage gouvernemental... qui cherche à masquer un désengagement financier bien réel. Ceci étant, je fais confiance à Christian Blanc, un ami de longue date, pour prendre la mesure des projets, des initiatives et des attentes portées par les collectivités franciliennes. Pour comprendre que l'Île-de-France n'est pas en déclin, bien au contraire comme l'attestent les récents indicateurs internes (le taux de chômage par exemple) et externes (l'implantation d'entreprises étrangères). Pour soutenir nos propositions concernant certains points clefs de la cohésion, et donc de l'attractivité francilienne : relance de la construction de logements, accélération des grands chantiers d'infrastructures, expérimentation dans le domaine de l'urbanisme... »
BI : Dans le processus de révision du SDRIF, pouvez-vous dresser l'état des lieux, le calendrier et les enjeux ?
JPH : « La révision du SDRIF, premier schéma directeur de la Région Île-de-France élaboré par la région, est le fruit de quatre années de travail. Après concertation, le projet a été voté, le 15 février 2007, par les élus régionaux, puis a été transmis, à nouveau, pour avis aux conseils généraux, au conseil économique et social régional, aux chambres consulaires. L'État a également rendu un avis sur le projet. Cinq départements sur huit ont exprimé un avis favorable au projet, là même où pour le précédent SDRIF, celui de 1994 élaboré par l'État, toutes les collectivités locales avaient émis un avis négatif.
Du 15 octobre au 8 décembre 2007, la Région a organisé l'une des plus importantes enquêtes publiques menées en France. Le rapport du président de la commission d'enquête sera rendu public le 11 juin 2008. Le projet sera alors ajusté en conséquence, avant son adoption par un vote du conseil régional le 25 septembre 2008. Il sera ensuite transmis à l'État pour son approbation définitive, par décret du Conseil d'État, puisque que c'est lui qui, à la fin, valide le document et lui donne sa force juridique.
C'est un effort sans précédent réalisé pour ce type de document. Mais l'avancée n'est peut-être pas suffisante puisque reste à l'Etat la faculté d'approuver, ou non, in fine, un document élaboré et concerté par d'autres que lui. »
BI : Le gouvernement a récemment pointé du doigt deux sujets « insuffisamment traités » par le SDRIF : le développement de la plaine de France et du plateau de Saclay. Quel est votre projet pour ces territoires ?
JPH : « Ces deux territoires sont bien évidemment identifiés comme stratégiques dans le SDRIF et soutenus par la Région, y compris financièrement, de longue date. Rappelons les investissements massifs en équipements scientifiques sur Orsay-Saclay et la création de l'établissement public plaine de France présidé par la Région. Le projet de SDRIF comporte ainsi, pour ces deux « portes » internationales franciliennes décisives - l'une scientifique, l'autre aéroportuaire et logistique - un ensemble de prescriptions de développement et de préservation négociées avec l'ensemble des parties prenantes. L'enjeu aujourd'hui est d'engager les chantiers correspondants, dont beaucoup dépendent... du gouvernement, en mettant fin, par exemple à Saclay, aux atermoiements dans la cession des terrains de l'État ou en améliorant significativement la question des nuisances autour de Roissy ! »
BI : Stimuler l'activité économique et garantir le rayonnement international : c'est l'un des objectifs du SDRIF. Quel est votre projet et vos préconisations pour y parvenir ?
JPH : « Le SDRIF est effectivement un formidable outil de rayonnement de la métropole francilienne. Plus généralement, compte tenu des problèmes auxquels sont confrontées les autres villes mondiales, Londres par exemple, l'ambitieux programme d'infrastructures de transport comme la priorité donnée au doublement de la construction de logements constitueront des atouts décisifs et distinctifs de l'Île-de-France. La vitalité économique de Paris et de l'ensemble de la région est sur un trend désormais très dynamique, n'en déplaise aux déclinologues. Mais il nous appartient d'anticiper de nouveaux défis liés à l'innovation, au changement énergétique, au développement des cleantechs, voilà des enjeux décisifs. »
BI : Vous avez également inscrit comme objectif d'«offrir un logement à tous les Franciliens, avec un objectif central : construire 60 000 logements par an pendant 25 ans et viser un taux de 30 % de logement social à terme ». Comment y parvenir ?
JPH : « Effectivement, en matière de logement, le SDRIF définit des objectifs qui doivent devenir la référence des pouvoirs publics : la construction de 60 000 logements annuels dont 20 000 logements locatifs sociaux (auxquels s'ajoutent 14 000 logements entrant dans le parc social par acquisition/amélioration).
Je crois que pour y parvenir, le logement, et notamment le logement social, doit devenir la priorité pour tous les acteurs concernés en Île-de-France. Priorité dans les documents d'urbanisme, c'est pour cela que je suis favorable à une territorialisation des objectifs de réalisation de nouveaux logements. Priorité dans les projets de construction ensuite, et pour cela, la Région aide massivement les maires qui choisissent de construire du logement sur leur commune. Priorité dans les financements enfin. La Région mobilise chaque année plus de 150 M€, pour construire et réhabiliter 240 000 logements sociaux entre 2004 et 2010. »
BI : À l'occasion des États généraux du logement, vous avez formulé, à l'intention de Christine Boutin, plusieurs propositions. La Région Île-de-France dispose-t-elle vraiment d'une marge de manœuvre en matière de logement ?
JPH : « Lors des États généraux du logement, j'ai fait part au ministre des mesures qui, selon moi, sont nécessaires pour résoudre effectivement la crise du logement en Île-de-France. La crise du logement ne pourra se régler sans une meilleure coopération et la coordination de l'ensemble des acteurs concernés. C'est pourquoi je propose la mise en place d'une gouvernance au niveau régional pour la gestion des aides à la pierre. Sur le modèle du STIF, une autorité organisatrice rassemblant la région, les départements et les intercommunalités aurait pour mission de définir les objectifs de construction et la programmation des aides à la pierre. C'est ce que j'appelle le SLIF, le syndicat du logement en Île-de-France.
Nous savons aussi qu'en Île-de-France le logement social est le levier qu'il faut activer pour répondre aux besoins réels des Franciliens. Depuis plusieurs années, la Région a choisi, alors que ce n'est pas de sa compétence, d'aider massivement la construction de logements sociaux. Mais elle ne peut être la seule à payer ! L'État doit aussi prendre ses responsabilités. C'est pourquoi, j'attends du gouvernement qu'il apporte les financements nécessaires à la relance de la construction du logement. C'est ce que j'appelle le plan d'urgence pour le logement social.
Enfin, je crois que l'objectif des pouvoirs publics doit être de favoriser la mixité sociale sur le territoire francilien. Il faut donc construire des logements sociaux dans toutes les communes. Pour y parvenir, l'État doit faire respecter et renforcer la loi de Solidarité et Renouvellement Urbain. Voilà pourquoi, je propose le triplement des sanctions de non-respect de la loi SRU.
Alors, vous me posez la question de savoir si la Région a encore une marge de manœuvre en matière de logement en Île-de-France. La réponse est simple. Nous avons consacré plus de 1,2 Md€ en faveur du logement depuis 1998. Pourtant, cette question n'est pas normalement de la compétence de notre collectivité. Aujourd'hui, nous souhaitons poursuivre notre effort. Mais nous savons que nous ne pourrons résoudre durablement la crise du logement si nous sommes les seuls à agir. Pour être efficaces, nous devons tous aller dans le même sens. J'attends donc de l'État qu'il prenne ses responsabilités et qu'il se mobilise, comme nous et avec nous, en faveur de la relance de la construction de logements sociaux en Île-de-France. »
BI : Le levier, c'est le foncier. Vous avez été à l'origine de la création de l'EPF Ile-de-France pour lutter contre la spéculation immobilière. Cet outil foncier a-t-il porté ses fruits ?
JPH : « Conformément à nos engagements de campagne, nous avons décidé d'impulser la mise en place de l'Établissement public foncier d'Ile-de-France qui constitue un outil stratégique de relance du logement et de lutte contre la spéculation foncière. L'EPFIF, présidé par Jean-Luc Laurent, s'est fixé des objectifs élevés : 150 à 200 M€ seront ainsi consacrés chaque année à des projets élaborés avec les collectivités locales pour une plus grande mixité sociale.
Aujourd'hui, l'Établissement public foncier d'Île-de-France a signé 34 conventions depuis sa création en 2006. À terme, ce sont près de 10 000 logements, dont 30 % de logements sociaux, que nous allons construire sur les terrains rachetés ainsi que quelque 350 000 m² consacrés à des activités économiques. Il faut donc renforcer cet outil et lui permettre d'intervenir véritablement sur l'ensemble de l'Ile-de-France. »
BI : Quelles sont les conclusions de la commission « Scénario pour la métropole » en matière de compétitivité économique, d'urbanisme et de logement ?
JPH : « Sur ce sujet complexe, et parfois miné, l'apport décisif de la commission aura été d'identifier les besoins spécifiques de la zone dense et les outils ou politiques devant relever d'une échelle régionale. Au sein de la métropole francilienne, les interdépendances entre le cœur parisien et la vaste agglomération, qui va jusqu'aux villes nouvelles telles que Roissy et Saclay, sont en effet très fortes. C'est pourquoi la zone dense doit faire l'objet de dispositifs spécifiques. La commission a ainsi ouvert des pistes autour d'une charte d'aménagement, du développement des intercommunalités et, plus largement, du renforcement de la conférence métropolitaine au service d'un pilotage commun. Mais l'attractivité et la cohésion de la métropole appellent aussi de nouveaux outils d'envergure régionale en matière de logement (création d'un « SLIF »), des modalités renouvelées d'association entre collectivités et partenaires économiques ou encore une accélération des rapprochements entre établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Enfin, et surtout, il nous faut changer la donne en matière de péréquation financière et fiscale. »
BI : Que pensez-vous du rapport Dallier qui propose une fusion des quatre départements centraux ?
JPH : « Identifiant différents scenarii, le rapport Dallier a choisi d'en privilégier un, « à la hussarde ». Peu partagée, cette option correspond assez mal aux réalités de la métropole d'aujourd'hui. Revenir au département de la Seine, c'est renoncer aux atouts de notre agglomération polycentrique, c'est faire l'impasse sur les espaces de développement de demain et c'est aussi créer un nouveau mur d'octroi déplaçant - sans les résoudre - les défis de solidarité et de cohésion urbaine. Nous sommes en train de créer, en Île-de-France, un modèle très original de gouvernance collective entre collectivités, permettant de nous accorder sur des priorités très sélectives tout en assurant le respect des identités locales et des politiques de proximité. Ce modèle commence à faire ses preuves, les projets se concrétisent. Le désorganiser au profit d'une nouvelle structure extrêmement lourde et conflictuelle nous ferait perdre une décennie. »
BI : Les transports ne constituent-t-ils pas le point noir de la région Île-de-France ?
JPH : « Il faut bien noter que la mobilité de la population en Île-de-France s'accroît et les besoins des Franciliens en matière de transports évoluent : les déplacements de banlieue à banlieue, majoritaires depuis plusieurs années, sont en forte croissance et 81 % d'entre eux s'effectuent en voiture. Pour améliorer la qualité de l'air et modérer la circulation automobile et ses nuisances, nous encourageons le recours aux transports en commun et aux circulations douces.
Dans le cadre du contrat de projets, que la Région a signé avec l'État en mars dernier, les transports collectifs représentent un engagement de 2,48 Mds€, dont 1,88 Md€ apportés par la Région, et 802 M€ par l'État. Nous avons retenu plus de 40 projets de transports collectifs. Parmi les actions phares : la modernisation des réseaux RER B, C et D, le démarrage des travaux du tramway Saint-Denis-Garges-Sarcelles, du tramway T2 de La Défense au pont de Bezons ou du bus en site propre Pompadour-Sucy-Bonneuil. Je suis bien conscient que les conditions de transports ne sont pas toujours optimum, aussi, pour désaturer certaines lignes, le contrat prévoit des avancées significatives, comme pour la ligne 13 du métro par exemple, ou des études pour le futur projet Arc Express. »
Propos recueillis par Sandra Roumi