17 Mars 2008
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ANALYSE
Le statut des villes-capitales : le délicat compromis entre intérêt local et intérêt national
En 1883, à l’occasion du débat sur la loi municipale, Pierre Waldeck-Rousseau, alors ministre de l’Intérieur, défendait le maintien d’un statut dérogatoire pour Paris en ces termes : « Paris ne peut jouir des honneurs d’une capitale et des prérogatives laissées aux municipalités »1. Cette position peut étonner de nos jours, à l’heure où prévaut plutôt l’opinion inverse. Il est en effet indéniable que depuis la loi du 31 décembre 1975 ayant supprimé la Ville de Paris en tant que collectivité territoriale à statut particulier et rétabli la fonction de maire de Paris, le législateur a considérablement rapproché les règles applicables à Paris de celles applicables aux autres collectivités territoriales2. Dans le cadre du statut actuel, la capitale française est ainsi à la fois une commune, la commune de Paris, et un département, le département de Paris, auxquels sont par principe applicables les règles du droit commun. L’alignement
La raison généralement avancée par le législateur pour justifier de telles dérogations ne tient pas, contrairement à ce qu’on lit parfois, à l’importance de la population parisienne mais plutôt au rang de capitale de Paris : ce dernier supposerait certaines dispositions spécifiques. À l’heure où le débat sur le Grand Paris se trouve relancé4, il a paru opportun de tenter de dépasser l’argumentation de principe selon laquelle, Paris étant la capitale, il est logique que le droit qui lui est applicable diffère, en
totalité ou sur certains points, de celui applicable aux collectivités territoriales de droit commun. La présente note se propose ainsi de s’interroger sur le droit applicable aux villes-capitales en portant le regard sur certaines capitales de grandes démocraties occidentales comparables à Paris en raison de leur importance démographique5. Une étude en trois temps est envisagée : d’abord, revenir sur la
La capitale : une définition problématique
Le terme de capitale est d’usage si courant que l’on pourrait penser que sa définition est aisée. Ce n’est pas le cas : il n’est que de se reporter aux dictionnaires usuels pour s’en convaincre. La capitale y est définie tantôt comme la ville principale d’un État6, tantôt comme la ville où siège le gouvernement d’un État7. Il arrive parfois que ces deux éléments soient compris dans une seule et même définition : Le Robert évoque ainsi la « ville qui occupe le premier rang dans un État, une province et qui est le siège du
gouvernement »8. On comprend dès lors qu’un auteur ait pu affirmer à propos de la notion de capitale qu’il s’agissait de « l’une des plus mal définies du vocabulaire politique et administratif »9. En vérité, la définition de la capitale d’un État comme la ville principale de celui-ci encourt deux critiques. La première tient à son imprécision : de multiples critères, d’ordre démographique, économique ou socioculturel, sont en effet susceptibles d’être utilisés pour identifier celle qui occupe le premier rang parmi les villes d’un État ; il y a ainsi autant de classements possibles que de critères envisageables. La seconde critique tient à son manque de rigueur : de nombreuses capitales ne peuvent être considérées comme les principales villes de l’État ; c’est le cas en particulier des villes-capitales des États fédéraux, comme Washington, Canberra ou Brasilia. Il convient donc d’écarter la définition fondée sur la notion de ville principale pour lui préférer celle fondée sur la notion de siège des pouvoirs publics : la capitale peut ainsi être définie comme la ville où siègent de manière permanente les plus hautes autorités de l’État.
Deux fonctions apparaissent alors attachées à la notion de capitale telle qu’elle vient d’être définie. La première est celle de symbole de l’unité nationale. La capitale n’est en effet pas seulement le centre de l’activité politique, c’est également, au même titre que le drapeau ou l’hymne national, l’incarnation même de l’État. On peut en donner deux illustrations. D’abord, que la structure politique de l’État soit fédérale ou unitaire, la capitale est le lieu où est définie la politique nationale. Elle est de manière parallèle le lieu où l’on s’y oppose, sous les formes les plus diverses, de la simple pétition à la manifestation revendicative d’envergure, voire à une contestation plus radicale. Ensuite, la capitale joue un rôle important au regard de l’unité nationale. Dans un État en voie de construction ou engagé dans de profondes réformes institutionnelles, le choix par les gouvernants de la ville-capitale peut témoigner de
Les règles applicables à la capitale : un enjeu politique, administratif et financier
Une fois définies la capitale et ses fonctions, on comprend mieux l’enjeu que constitue son statut : il s’agit de savoir si la présence des pouvoirs publics et des représentations diplomatiques sur le territoire de la ville-capitale doit entraîner l’adoption de règles spécifiques. À cette interrogation deux réponses sont envisageables.
La première, la plus respectueuse des libertés locales, consiste à considérer que la présence des pouvoirs publics n’a aucune incidence sur la distinction entre les affaires d’intérêt local et les affaires d’intérêt national10 : des règles spécifiques à la ville-capitale ne sont donc pas nécessaires et le droit commun peut trouver à s’appliquer. Bruxelles peut illustrer cette conception. Bruxelles est à la fois la capitale d’un État fédéral et une entité fédérée à part entière. Il convient en effet de rappeler que la région de Bruxelles-Capitale est l’une des trois régions qui composent la Belgique. Elle est formée de 19 communes dont les habitants élisent les 89 membres du Parlement bruxellois, lesquels désignent les ministres et secrétaires d’État du gouvernement bruxellois, organe exécutif de la région mais également de l’agglomération, qui dispose de pouvoirs analogues à ceux des autres gouvernements régionaux. Si l’on met de côté les spécificités liées aux questions linguistiques, on peut affirmer que Bruxelles-Capitale est soumise au droit commun. Tout au plus peut-on remarquer qu’en 2001, le législateur fédéral a décidé la création d’un Fonds de financement du rôle international et de la fonction de capitale de Bruxelles11.
La seconde réponse consiste au contraire à considérer que la présence des pouvoirs publics provoque un rétrécissement des affaires d’intérêt local au profit des affaires d’intérêt national :
« Que Paris soit troublé, qu’il y ait une émotion, un désordre, qui oserait affirmer que le reste de la France sera tranquille ? »12 ; ainsi revient-il à l’État de pourvoir aux affaires de la capitale sur le fondement de règles spécifiques. Washington D.C. est l’illustration emblématique de cette seconde conception. Défini par la loi fédérale du 24 décembre 1973, le statut de Washington consacre une véritable autonomie administrative au profit de la capitale fédérale. La ville est ainsi administrée par un conseil municipal (D.C. Council) composé de treize membres et un maire (D.C. Mayor), tous élus au suffrage universel direct pour quatre ans : le D.C. Council constitue ainsi à la fois le législateur et l’assemblée délibérante de la capitale, tandis que le D.C. Mayor cumule l’ensemble des fonctions exécutives et administratives correspondantes. Le texte prévoit cependant de nombreuses limitations à cette autonomie au profit de l’État fédéral. Les lois votées par le D.C. Council doivent être transmises au président de chacune des deux chambres du Congrès : elles n’acquièrent force exécutoire que dans la mesure où, dans les trente jours suivant leur transmission, la Chambre des Représentants et le Sénat n’ont pas adopté une résolution concurrente de désapprobation. En dépit de la délégation accordée au D.C. Council en matière législative, le Congrès a le pouvoir d’édicter toute disposition législative concernant n’importe quel sujet relatif au district fédéral. Le budget adopté par le D.C. Council doit être transmis au président des États-Unis, lequel est chargé de le soumettre au Congrès pour approbation. Ce n’est qu’une fois approuvé par le Congrès par le biais d’une loi fédérale que le budget du district devient exécutoire. Le président conserve le droit de nommer tous les juges des tribunaux du district. Il faut ajouter que si les habitants de Washington ont le droit de vote s’agissant des élections municipales et présidentielles, ils n’ont pas de représentation dotée du droit de vote au Congrès : ils élisent un représentant à la Chambre des Représentants mais celui-ci n’a pas le droit de vote ; ils n’élisent personne au Sénat13.
Le choix en faveur de l’une ou l’autre de ces réponses a bien entendu des incidences sur le plan politique puisqu’il détermine la répartition des compétences entre, d’un côté, les représentants de l’État et, de l’autre, les autorités locales élues. Il a par ailleurs des incidences sur le plan financier : il déterminera très largement la répartition des coûts entre les différentes personnes publiques, étatiques et locales, pour l’exercice de telle ou telle compétence.
Les pistes d’évolution statutaire envisageables pour Paris
D’un point de vue statutaire, Paris ne se singularise certainement pas, parmi les villes-capitales, par la manière dont y est arbitré le conflit entre intérêt local et intérêt national. En la matière, il est en effet difficile d’identifier un point d’équilibre absolu : il existe plutôt des points d’équilibre relatifs, propres à chaque État, à sa culture, à son histoire et à sa tradition juridique. La capitale française paraît en revanche plus isolée s’agissant de son architecture institutionnelle : alors que la plupart des autres
La première est la transformation de la région Île-de-France en Grand Paris sur le modèle de la communauté
autonome de Madrid ou sur celui de la ville-État de Berlin. L’État espagnol est fondé sur le principe de l’autonomie territoriale : son territoire est ainsi divisé en communes, provinces et communautés autonomes qui « jouissent de l’autonomie pour gérer leurs intérêts respectifs »15. Madrid présente la particularité d’être une communauté autonome composée d’une seule province, dont l’une des communes est tout à la fois la capitale de l’État16, le chef-lieu de la communauté autonome et celui de la province. À ce titre, il est affirmé dans la loi sur le statut de la communauté autonome de Madrid qu’« en raison de sa spécificité comme capitale de l’État, il pourra être prévu des transferts et des délégations de compétence en faveur de la seule commune de Madrid »
À cela il faut ajouter que le président, élu, de la communauté exerce d’importantes fonctions en matière de planification, de coordination et de gestion des services métropolitains comme l’urbanisme, l’environnement ou les transports.
La seconde piste d’évolution est la création d’une structure sui generis souple sur le modèle du Grand Londres. Après avoir été longtemps maintenue sous une étroite tutelle de l’État, Londres s’est vu doter en 199919 d’une assemblée élue de 25 membres et d’un maire également élu par les citoyens au cours d’un vote spécifique. En collaboration avec l’assemblée, le maire de Londres est, selon les dispositions de la loi de 1999, chargé d’élaborer les stratégies métropolitaines dans les domaines
L’étude du statut de certaines capitales étrangères ne permet pas de faire émerger un modèle de conciliation entre l’intérêt local et l’intérêt national. Elle permet en revanche de confirmer l’isolement de la capitale française à l’égard des autres collectivités franciliennes. Le « désenclavement » de Paris apparaît ainsi comme un défi de l’action publique territoriale qu’il est urgent de relever. Il convient cependant de veiller à ce que la formule choisie ne soit pas une source de complexité administrative : la répartition des compétences doit rester lisible pour le citoyen.
> Olivier Renaudie, Département Institutions et Société
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