Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Pierre Mansat et les Alternatives

Luttes émancipatrices,recherche du forum politico/social pour des alternatives,luttes urbaines #Droit à la Ville", #Paris #GrandParis,enjeux de la métropolisation,accès aux Archives publiques par Pierre Mansat,auteur‼️Ma vie rouge. Meutre au Grand Paris‼️[PUG]Association Josette & Maurice #Audin>bénevole Secours Populaire>Comité Laghouat-France>#Mumia #INTA

Tribune : Le discours du RN imprègne le cadrage politico-médiatique du procès

Le discours du RN imprègne le cadrage politico-médiatique du procès

Malgré un jugement méticuleusement étayé, la large diffusion de la rhétorique des prévenus, outre qu’elle contribue à discréditer le travail des juges, laisse peu de place à l’analyse des pratiques de détournement de fonds publics

Estelle Delaine

Le jugement du tribunal de Paris, rendu lundi 31 mars dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national (FN), ancêtre du Rassemblement national (RN) et condamnant les dirigeants du principal parti d’extrême droite français, était attendu. Si le motif de ce procès n’est pas inédit en France, l’ampleur du détournement de fonds publics dont est accusée la direction du FN est sans commune mesure dans l’histoire de la Ve République et a nécessité, depuis 2017, de nombreuses audiences et vérifications des preuves. Mais, loin d’être perçue comme l’effet de la méticulosité du travail des juges, l’extension des procédures est interprétée par certains journalistes et membres de la classe politique comme la traduction d’un traitement différencié réservé aux dirigeants du RN.

Des articles du code pénal établissent le détournement de fonds publics comme un délit (art. 432-17), exposant les auteurs à plusieurs peines dont l’« interdiction des droits civils, civiques », et notamment l’« inéligibilité » (art. 131-26-1). La loi Sapin 2 (8 décembre 2016) et celle « pour la confiance dans la vie politique » (15 septembre 2017) rendent obligatoire une peine complémentaire d’inéligibilité dans ce cas (sauf circonstances particulières de l’infraction, régies par le code).

En effet, dans une démocratie, non seulement les ressources et les financements publics doivent servir au bien commun, et non être appropriés pour des entreprises individuelles et collectives, mais l’égalité devant la loi est une exigence de valeur constitutionnelle prévenant tous privilèges.

Focalisation sur la présidentielle

Dès 2017, les prévenus ont pu s’exprimer abondamment dans la presse sur l’affaire alors en cours. Les dirigeants du RN n’ont eu de cesse de répéter un argumentaire centré sur trois points : les juges s’apprêteraient à rendre une décision politique ; ils seraient des adversaires de leur parti ; et, plus généralement, il serait inopportun qu’un tribunal puisse décider du résultat d’élections en « empêchant » un ou une candidate de se présenter, une telle possibilité étant qualifiée d’« acharnement », de « violence », d’« atteinte à la démocratie ».

Cette rhétorique n’est pas surprenante : elle est mobilisée par les cadres du parti depuis les années 1980, comme l’indiquent les spécialistes de l’analyse de leurs discours. Il est plus étonnant, en revanche, que ce discours imprègne le cadrage politico-médiatique de ce procès au point que les analystes peinent à le dépasser.

La couverture dont il fait l’objet éclaire en effet les spécificités du champ politico-médiatique contemporain à plus d’un titre. Elle révèle, tout d’abord, la focalisation de certains de ses acteurs – et surtout de certains commentateurs – sur l’élection présidentielle : le jugement de la Cour est ainsi souvent perçu non pas comme une sanction du détournement massif d’argent, mais comme une décision motivée par le scrutin de 2027.

Transparaît également l’hyperpersonnalisation de la vie politique, qui conduit à commenter surtout les effets de la condamnation, notamment, l’impossibilité, pour Marine Le Pen, de participer aux élections, celle-ci contrariant des pronostics sondagiers qui la voyaient au second tour de l’élection présidentielle.

Les observateurs qualifient alors cette condamnation de « séisme » dans la vie politique française et soulignent l’imprévisibilité de la future élection, reprenant plus ou moins explicitement la rhétorique frontiste qui érige le RN en « premier parti de France ». De la même manière, certains membres de la classe politique, comme Jean-Luc Mélenchon, regrettent que soit ainsi confisquée la possibilité de débats-duels perçus comme sains et loyaux.

Surprenant renversement

Enfin, la sensationnalisation du débat politique, impliquant une conception particulière du « contradictoire » journalistique, conduit à la valorisation des opinions tranchées et à la présence en plateau de personnalités d’extrême droite pourtant controversées, qui s’en trouvent normalisées. Le politiste Erik Neveu, dans le no 118 de la revue Réseaux (2023), a noté l’application paroxysmique de cette logique dans les émissions d’« infotainment » depuis les années 2000, tout comme dans certaines émissions politiques : être condamné par la justice vaut invitation dans les médias les plus suivis, et permet à des politiques de se justifier et de contester les décisions de justice.

Ainsi, comme au soir même des réquisitions du tribunal, en novembre 2024, Marine le Pen a-t-elle été invitée au journal télévisé de TF1 le soir même de sa condamnation. Sur un plateau de télévision ou de radio, le temps de parole offert, les questions posées, le vocabulaire mobilisé (reprenant parfois sans recul critique la rhétorique des mis en cause, comme l’expression paranoïaque « gouvernement des juges »), créent un surprenant renversement de logique, les condamnés devenant les victimes d’un « système ».

Ces tendances sont bien connues des sociologues, et nous conduisent à nous interroger sur les manières dont la médiatisation du débat public accompagne les évolutions des démocraties contemporaines. En plus de contribuer à discréditer le travail des juges (qui s’appuient sur un arsenal de preuves, des heures d’audiences, des témoignages accablants et concomitants, pour rendre leur jugement) en diffusant largement la rhétorique des prévenus, le cadrage politique et médiatique accorde finalement peu de place à l’analyse des pratiques de détournement de fonds publics et à la question de l’exercice effectif du pouvoir.

L’un des objectifs de la sanction des comportements répréhensibles des gouvernants est pourtant bien de préserver la démocratie de ce qui en menace les piliers. Si les responsables politiques souhaitent, comme l’indiquent les titres des récentes lois, restaurer la « confiance dans la vie politique », il est grand temps que les mandatés (comme les observateurs de la vie politique) ne considèrent pas leurs fonctions comme des postes de pouvoir, mais bien comme des délégations qui les obligent.

Estelle Delaine est maîtresse de conférences en science politique à l’université Rennes-II. Elle a écrit « A l’extrême droite de l’hémicycle. Le Rassemblement national au cœur de la démocratie européenne » (Raisons d’agir, 2023)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article