C’est, entend-on, le «retour de la IVe République» – de l’instabilité et de la paralysie. Pauvre IVe ! Elle faisait face à des enjeux immenses : la guerre froide, qui s’insinuait en politique intérieure via le Parti communiste, lié à Moscou ; les relations avec les Etats-Unis et la construction européenne, rendues difficiles par les gaullistes ; la fin de l’Empire colonial, qui dégénérait en guerre civile. La Constitution n’était pas armée pour cela : rien n’était prévu pour assurer la stabilité gouvernementale, comme en Allemagne de l’Ouest au même moment.
Au Bundestag, on pouvait renverser un gouvernement, mais à condition de s’être entendu, au préalable, sur la coalition gouvernementale suivante – c’est ce que l’on appelle le «vote de défiance constructif» qui, en responsabilisant les opposants, évite les mouvements d’humeur purement destructeurs : neuf chanceliers se sont succédé depuis 1949 – une stabilité en acier trempé qui prouve que le parlementarisme, ce n’est pas nécessairement la «chienlit» que dénonçait De Gaulle, excédé par le «régime des partis» et perdu dans la contemplation mystique du face-à-face entre un homme et son peuple.
Le «pays de Descartes» vaut bien celui d’Abraracourcix
Voyons comment fonctionne une assemblée sans majorité, entend-on aussi (sous-entendu : c’est tout vu !). L’«esprit français», ou on ne sait quel «caractère national» attesté par la lecture d’Astérix et la récurrence des bagarres au village, un poncif auquel on peut à loisir opposer d’autres : le «pays de Descartes» vaut bien celui d’Abraracourcix, et on ne voit pas par quel insondable mystère on ne parviendrait pas à bâtir des coalitions. Celle qui, politiquement, s’impose, est une alliance entre la droite macroniste et l’ex-RPR-UMP : entre ceux qui ont aboli l’ISF et ceux qui ont toujours voulu le faire, les affinités sont nombreuses, et cette logique est souhaitée par des ténors, comme Copé ou Sarkozy, qui emboîtent le pas aux précurseurs (Le Maire, Darmanin, Philippe et tant d’autres).
Sauf que le mouvement de droite dit gaulliste ne pense qu’à la présidentielle : Macron la lui a volée en 2017, pense-t-il, et il compte bien la gagner en 2027 – autant, donc, ne pas s’allier avec un président carbonisé qui, par ailleurs, ne peut se représenter. Au FN (RN), le rejet de Macron se conjugue à l’absence totale de culture parlementaire (la culture politique d’extrême droite est autoritaire) et à l’amateurisme d’un parti qui ne forme pas de cadres, présente n’importe qui aux élections, a été le premier surpris par son succès et qui, lui aussi, ne parle que de l’Elysée. Il reste que, dimanche soir, les téléspectateurs ont assisté, médusés, à un appel du garde des Sceaux au groupe RN : sur la sécurité, la justice et l’autorité, manifestement, l’extrême centre peut s’entendre avec l’extrême droite.
Difficile, en somme, de prétendre inventer une culture parlementaire dans un pays garrotté par le présidentialisme : la radicalité des confrontations, l’ampleur irrationnelle des attentes messianiques attachées à un individu rend improbables les majorités d’idées (sur tel ou tel texte) ou, moins encore, les coalitions.
Les «éléments de langage» du camp présidentiel sont prêts depuis la soirée électorale : la chambre introuvable va accoucher d’un pays ingouvernable, une dissolution se profile déjà.
D’autoritarisme infantile en inaction écologique
Le pari est risqué mais l’on aime, en bon franglais, «prendre son risque» – jouissance personnelle de la «disruption» dont les coûts, catastrophiques, sont payés par la collectivité : d’autoritarisme infantile en inaction écologique, d’affaire Benalla en dilections villiéristes, le pouvoir actuel a mené, sans le dire, la politique de droite la plus brutale au profit des plus aisés. Ignorant des questions de long terme (climat, injustices), il a donné dans le court-termisme le plus politicien, pêchant – au gros – à droite, godillant – un peu – à gauche, avant de conspuer les «extrêmes», qui se «rejoignent» en amalgamant le RN à l’union de la gauche !
En cinq ans, il a multiplié par onze le nombre de députés d’un parti qui a été bien mieux banalisé par Macron qu’il n’a été dédiabolisé par Le Pen. La gauche-qui-fait-barrage tous les cinq ans a été mise sur le même plan qu’un parti fondé par les résidus de la Waffen SS française et de l’OAS. Un candidat issu du Parti socialiste (PS) a été qualifié «d’anarchiste d’extrême gauche» (islamo-wokiste, tant qu’on y est – ce goût des montages sémantiques est typique des illettrés de l’histoire et de la politique). La panique d’une Montchalin était typique de ces élites qui se croient propriétaires du pouvoir et considèrent que la gauche ne peut, comme en 1924, comme en 1936 ou en 1981, parvenir au pouvoir que par «effraction» (François Baroin) ou qui, à la fin des années 30, murmuraient «plutôt Hitler que Blum».
Difficile de créer de l’échange, du compromis ou du consensus dans ces conditions. La seule bonne nouvelle, c’est que le «régime» se parlementarise de nouveau. Les «marcheurs» qui ont tout fait pour congédier la politique la reprennent comme un boomerang.