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Pierre Mansat et les Alternatives

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Archives : le coup de force de l’été

Un entretien avec le juriste Noé Wagener, animateur du collectif Accés aux Archives publiques

L’Histoire : Depuis plusieurs mois, un débat public sur une restriction d’accès aux archives a soulevé des réactions chez les historiens. Pouvez-vous le rappeler ?

Noé Wagener : Pour l'expliquer de manière simple, depuis 2011, un texte du gouvernement de valeur réglementaire qui s’appelle l'Instruction Générale Interministérielle (IGI) n°1300 bloquait l'accès aux documents d’archives publiques chaque fois que ces documents portaient une marque de classification – ce qui consiste concrètement en un tampon « secret défense », alors que le code du patrimoine –, tel qu’issu des lois du 3 janvier 1979 et du 15 juillet 2008, prévoyait, lui, que les documents classifiés étaient librement communicables après des délais de 50 ans, 75 ans ou 100 ans en fonction des cas.

Plus précisément, l’IGI 1300 obligeait à déclassifier ces archives pour y avoir accès – une procédure lourde et tout entière entre les mains des administrations qui avaient apposé les marques de classification – alors même que légalement elles étaient librement communicables.

Les Archives nationales ont commencé à appliquer l’IGI 1300 assez tôt, dès 2014-2015. Le Service historique de la Défense ne s’y est, lui, résolu qu’en janvier 2020. C'est à ce moment-là que le système d’accès aux archives classifiées de plus de cinquante ans a explosé et que l’affaire est arrivée sur la place publique.

 

L’Histoire : Sur le plan juridique, qu’est-ce qui était si choquant ?

Noé Wagener : Sur le plan juridique on se trouvait en présence d’un texte de valeur réglementaire, l’IGI 1300, qui venait directement mettre en échec l’accès aux archives publiques tel que le code du patrimoine le prévoyait. De ce point de vue, l’illégalité était manifeste, pour une raison simple : un texte de valeur règlementaire (l’IGI) a une valeur inférieure à un texte de valeur légale (le code du patrimoine).

Pour contrer cet argument, le gouvernement a développé une argumentation juridique consistant à dire que cette obligation de déclassifier les documents y compris lorsqu’ils étaient devenus librement communicables trouvait son fondement directement dans le code pénal. Celui-ci prévoit en effet des sanctions pénales si une personne non autorisée consulte des documents classifiés. Avec cette argumentation, le gouvernement construisait de toutes pièces l’idée qu’il y aurait un vide législatif à combler, car le code pénal et le code du patrimoine – deux textes de même valeur légale – n’auraient pas été articulés. L’IGI 1300 avait précisément pour objectif, nous expliquait-on, de procéder à cette articulation, et donc de régler ce problème.

Cet argument est d’autant plus surprenant qu’il est apparu très tardivement. Lors de la préparation de la loi de 2008 sur les archives, par exemple, aucune administration, pas même le secrétariat général à la défense nationale de l’époque, n’avait imaginé soutenir que les délais d'accès aux archives publiques que l’on était alors en train de réformer allaient pouvoir être mis en échec au nom du code pénal.

A mes yeux, c’est d’ailleurs ce qui, dans le combat contre l’IGI 1300, a été le plus fascinant à observer : l’obligation de déclassification des archives publiques librement communicables n’est rien d’autre qu’une construction intellectuelle – une doctrine au sens propre – qui a surgi de nulle part au début des années 2010, hors de toute modification législative, mais qui parvient en quelques années à s’imposer au sein d’autorités comme le ministère de la culture ou la commission d’accès aux documents administratifs comme une évidence dont l’existence ne souffre pas la discussion.

 

L’Histoire : Comment expliquer cette volonté de restreindre l’accès aux archives à partir de 2011 ?

Noé Wagener : C’est une question difficile. Le rapporteur public du Conseil d’État, Alexandre Lallet suggérait dans ses conclusions sur notre recours contre l’IGI 1300 que cette doctrine pourrait avoir été inventée, je le cite, « pour les besoins de la cause en 2010, lorsque le Gouvernement s’est rendu compte que les archives de la guerre d’Algérie allaient progressivement tomber dans le domaine public en raison de l’expiration du délai de 50 ans posé par la nouvelle loi sur les archives ». Plus trivialement, il est sûr, aussi, que le droit des archives a été rattrapé par la grande refonte générale de l’équilibre entre sécurité et liberté qui touche toutes les branches du droit public depuis trente ans. Il faut que le paradigme de la « prévention » soit devenu bien puissant pour rendre pensable l’idée incongrue selon laquelle les archives publiques seraient l’un des talons d’Achille de la sécurité nationale, appelant un contrôle sans limite de temps de l'accès aux documents sensibles, comme le fait l’IGI 1300, et ce, même si la loi permettait leur communication et alors même qu’il est de notoriété publique que les services de renseignement, pour ne prendre que cet exemple, ne versent que de manière marginale leurs documents dans les services publics d’archives.

J’insiste sur le fait que cette logique préventive portée par l'IGI 1300 conduit à faire exploser la forme même du droit d'accès aux archives publiques tel qu'on l'avait construit en France. La forme française du droit d’accès était celle d’un accès aux archives publiques immédiatement ou au terme d'un délai déterminé en amont, par le législateur et par lui seul, et dont l’exécution n’était pas le fait des administrations productrices des documents, mais des services spécialisés d’archives. C’est tout le contraire que l’on a fait avec l'IGI 1300, en construisant un régime d’autorisation par lequel les administrations productrices sont en mesure de vérifier au cas par cas si les documents ne restent pas sensibles avant d’en autoriser l’accès.

Ce qui est très marquant pour les juristes comme moi qui travaillent sur le fonctionnement de l'État, c'est de constater à quel point la représentation d’un risque minuscule – le terroriste qui, se rendant dans un service d’archives, découvrirait les points de faiblesse de la sécurité nationale française – pèse infiniment plus lourd dans la balance que l'exercice des grandes libertés fondamentales telles que le droit d'accès aux archives publiques qui est une liberté constitutionnelle. C’est sans doute bien naïf de le découvrir, mais j’ai été impressionné, lors de nos échanges avec certains très hauts fonctionnaires autour de l’IGI 1300, de constater à quel point ils ne percevaient le droit d’accès aux archives publiques que comme un dommage collatéral, certes regrettable mais inévitable, dans le grand combat pour la sécurité du pays,

 

L’Histoire : La mobilisation des juristes et des historiens a-t-elle obtenu gain de cause ?

Noé Wagener : Oui, pour ce qui concerne l’IGI 1300. Des archivistes, des historiens, des juristes et des associations se sont mobilisés au sein d’un collectif informel baptisé collectif Accès aux archives publiques. Nous avons attaqué les deux versions de l'IGI 1300 devant le Conseil d'État. Celle de 2011 puis la nouvelle version de novembre 2020. Le 2 juillet 2021, les dispositions de l’IGI 1300 qui concernaient l’accès aux archives publiques étaient annulées par le Conseil d’État. Ce fut une belle victoire, accueillie dans le plus grand silence, je me permets de le rappeler, par des administrations qui, au nom d’une obligation de déclassification qui n’existait que dans leur esprit, ont défiguré des centaines de milliers de documents, dépensé plusieurs millions d’euros pour apposer des tampons inutiles et retardé de plusieurs années la recherche historique.

Nous n’avons pas été surpris de cette victoire. Il était évident que l’argumentation consistant à dire que l’obligation de déclassification était imposée par le code pénal ne pouvait pas tenir une seconde devant le juge administratif. De plus, la situation entrait en contradiction directe avec les annonces fortes du président de la République autour de la nécessité de regarder l'histoire en face et d'assurer un plein et entier accès aux archives publiques. Comment, en réalité, a-t-on pu penser une seconde que la situation était tenable, alors que l'IGI venait bloquer l'accès des historiens à des informations qui dans leur immense majorité étaient sans aucun   danger et qui avaient même pour certaines déjà été publiées (cf « Kafka aux archives », L’Histoire n°470) ?

 

L’Histoire : Pourquoi alors l’inquiétude persiste ?

Noé Wagener : Les systèmes d’alerte ont manifestement très mal fonctionné au sein de l’État. Le secrétariat général du gouvernement, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et le ministère des armées ont mis un temps considérable à comprendre que la situation était intenable. Lorsqu’ils sont enfin parvenus à cette conclusion, quelque part entre janvier et février 2021, ils ont réagi de la manière dont on craignait qu’ils réagissent : puisque les pratiques administratives de déclassification des archives publiques librement communicables étaient illégales, il a été décidé de modifier la loi. C’est le sens de la loi votée et promulguée le 30 juillet 2021, dont on comprend, dans ce contexte, qu’elle n'est en aucun cas et sur aucun point une loi d'ouverture d'archives comme on a pu l'entendre. Son objectif est d’allonger les délais d’accès aux archives publiques, mais de manière un peu plus subtile que ne le faisait l’IGI 1300, et – c’est là sa seule vertu – pour un nombre de documents a priori plus réduit.

 

L’Histoire : Quelles sont ces nouvelles catégories de documents qui ne sont pas consultables librement ?

Noé Wagener : Ce sont des documents hétérogènes, tant du point de vue de la nature des documents concernés que de leur volume, qui sont répartis en plusieurs catégories :

- Ce qui est relatif aux caractéristiques techniques des installations nucléaires, militaires, aux barrages hydrauliques de grande hauteur, aux locaux de mission diplomatique, aux détentions de personnes, etc. ;

- Les document concernant la conception technique et les procédures d'emploi des matériels de guerre tant que ces matériels sont utilisés par les forces armées ;

- Les procédures opérationnelles et les capacités techniques des services de renseignement tant que ces procédures opérationnelles et ces capacités techniques conservent une valeur opérationnelle

- Ce qui concerne l'organisation, la mise en œuvre et la protection des moyens de la dissuasion nucléaire tant que ces moyens ont valeur opérationnelle

 

L’Histoire : En quoi cela pose-t-il problème ?

Noé Wagener : Ces catégories, associées à des dangers précis, peuvent paraître relever du bon sens, et ne doivent pas forcément être rejetées en bloc. Le problème est de deux ordres, en fait. D’abord, on ne peut que déplorer la méthode : la loi du 30 juillet 2021 organise incontestablement la plus importante fermeture d’archives publiques par la voie légale en France, mais réussit ce tour de force, dans son exposé des motifs et dans son étude d’impact, de se présenter comme une « loi d’ouverture ». Mais c’est là, finalement, un point de détail. Le point essentiel est ailleurs : il ne tient pas tant dans le principe même d’une fermeture nouvelle, que dans la forme qu’on lui a conférée. Alors que jusqu’à présent, les délais d’accès étaient déterminés par le législateur seul, a priori et pour une durée déterminée, c’est un tout autre modèle que l’on a retenu ici : pour les nouvelles catégories créées par la loi du 30 juillet, le délai d’accès est non seulement indéterminé, mais placé entre les mains de l’administration seule. Et non pas entre les mains de l’administration des archives, mais entre les mains des administrations productrices des documents.

 

L’Histoire : Pouvez-vous donner un exemple ?

Noé Wagener : Prenons l’exemple des documents qui révèlent des procédures opérationnelles et des capacités techniques des services de renseignement qui étaient jusqu’ici accessibles dans la grande majorité des cas au terme d'un délai de 50 ans. Ils sont désormais inaccessibles tant que ces procédures opérationnelles et ces capacités techniques conservent une valeur opérationnelle, autrement dit « sont d'usage dans les services de renseignement ».

Or, ce que nous dénoncions dans le texte tel qu'il était présenté et tel que finalement il a été adopté, c’est le fait qu'un service d'archives est évidemment dans l'incapacité complète de déterminer de lui-même si un document révèle une procédure opérationnelle ayant encore une valeur opérationnelle. De sorte que les services d'archives lorsqu'une telle demande leur sera formulée n'auront pas d'autre choix que de s'assurer auprès du service émetteur – ici le service de renseignement – de la teneur de la réponse qui doit être apportée : « Ces documents révèlent-ils des procédures opérationnelles ? Si oui, celles-ci sont-elles encore considérées comme en vigueur ? »

Si jamais le service d’archives ne suit pas cette procédure, si jamais il n’adopte pas une posture d’extrême prudence, il prend un risque considérable : il risque de commettre une infraction pénale en compromettant le secret de la défense nationale, car les documents classifiés ne seront déclassifiés qu’à la condition qu’effectivement, ils ne révèlent pas de procédures opérationnelles encore en vigueur.

L’objectif du collectif Accès aux archives publiques, comme des parlementaires qui ont soutenu notre action, a donc consisté à convaincre le Parlement de déplacer la charge de la preuve. Nous avons proposé que par principe, tous les documents soient communicables au terme des délais habituels (50 ans par exemple) et que par exception uniquement, lorsque le service de renseignement concerné aura identifié comme sensibles des documents ou des fonds précis, ces documents-là puissent faire l'objet d'une prolongation de délai à la demande de leur service producteur et sous le contrôle du juge administratif et à la condition que l’allongement de délai soit régulièrement réapprécié. Ce type de propositions, plutôt pragmatiques, ont été balayées sans véritable discussion, car jugées trop lourdes alors que le dispositif qui est créé l’est bien davantage.

 

L’Histoire : Que va-t-il se passer concrètement maintenant dans les services d’archives ?

Noé Wagener : Les lecteurs vont demander communication des documents, puis les services d'archives vont juger qu'il y a peut-être un risque que le document entre d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement dans le champ des catégories nouvelles ; prudemment, et pour ne risquer de commettre d’infraction pénale, ils vont alors saisir le service producteur qui devra faire une réponse. Une procédure administrative qui, sous bien des aspects, ressemble en réalité à celle mise en place par l’IGI 1300.

Nous craignons donc fortement qu’il y ait une forme de blocage pour les documents qui entrent dans les catégories qui sont nouvellement introduites par la loi du 30 juillet 2021.

 

L’Histoire : Quel est l’objectif du collectif Accès aux archives publiques ? Comment est-il né ?

Noé Wagener : Le collectif Accès aux archives publiques a toujours eu une existence informelle. Mis en musique par la présidente de l’AHCESR Raphaëlle Branche, cette structure a réussi à mettre en lien de manière inédite archivistes, historiens, juristes, citoyens et usagers des services publics des archives.

Maintenant que l'urgence de ce combat est derrière nous, nous allons sans doute davantage être dans une phase d'observation. Nous organisons une journée d’étude le 13 septembre 2021 pour faire un bilan de la question de l’accès aux archives publiques, en ayant dans un coin de la tête l’idée de créer quelque chose comme un observatoire des archives publiques. L’objectif de cette structure serait d’exercer une vigilance sur les questions liées aux archives publiques : les questions d’accès, bien sûr, mais aussi de versements et de conservation.

L'idée est d’être collectivement mieux outillés pour lutter contre des pratiques telles que celle de l'IGI 1300 qui a bloqué l'activité des historiens et alourdit le travail des archivistes pendant des années. Aussi bien la procédure contentieuse que la procédure de fabrication de la nouvelle loi ont montré qu'il est absolument indispensable de ne pas laisser ces grandes questions liées aux archives publiques entre les seules mains des administrations spécialisées en matière d’archives, largement dépassées sur le plan juridique et écrasées par les grandes administrations en charge de la sécurité nationale. Car si le collectif n’avait rien fait on en serait encore aujourd’hui à devoir déclassifier des documents qui pourtant sont déclarés par la loi communicables.

 

L’Histoire : Quels sont les recours possibles ?

Noé Wagener : Il y a beaucoup de recours juridiques possibles : chaque fois qu'un service d'archives dira qu'il ne peut pas communiquer un document parce qu’il entre dans les nouvelles catégories de la loi de juillet il y a possibilité d'attaquer, c’est-à-dire d'aller devant la commission d'accès aux documents administratifs, puis devant le juge. Non que je me réjouisse de voir les services d’archives portés devant le juge, mais c’est aujourd’hui, je crois, incontournable tant on a laissé prospérer une multitude de pratiques administratives d’accès aux archives publiques que l’immense qualité du travail des archivistes en France ne peut suffire à masquer.  Le secteur des archives souffre en réalité d’avoir été si peu porté dans les arènes juridictionnelles, en matière d'accès aux archives et peut-être encore plus, d’ailleurs, en matière de conservation, de tri, de versement.

De manière plus immédiate, l’un des grands combats à venir dans les mois et années qui viennent sera d'obtenir que la mise en application des nouveaux délais se fasse de manière parfaitement transparente. Nous avons bataillé durant le débat parlementaire pour arracher quelques garanties dans ce sens. Grâce au travail du sénateur Pierre Ouzoulias, le rapporteur de la commission de la culture du Sénat, le Parlement a introduit dans la nouvelle loi une obligation pour les services publics d'archives d'informer les usagers des délais de communicabilité des archives qu'ils conservent, ce qui concrètement obligera, sous peine d’illégalité, chaque service d’archives à identifier et à signaler les fonds qui entrent dans le champ des nouvelles catégories légales.

De plus lorsque le Conseil Constitutionnel a validé le texte il a fait une légère réserve d'interprétation : on ne peut pas refermer les archives contenant des informations qui étaient déjà légalement accessibles avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 2021. Les précisions d’application n’étant pas encore été définies, il faudra observer cela de près car la nouvelle IGI du 9 août 2021 prend, elle, un malin plaisir à passer cette réserve sous silence.

 

(Propos reccueillis par Julia Bellot)

 


 

 

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