La reconnaissance, mardi dernier, par le président français, Emmanuel Macron, de la responsabilité de l’armée française dans l’assassinat, pendant la bataille d’Alger en 1957, du responsable et avocat du FLN, Ali Boumendjel, a été globalement accueillie avec satisfaction par les historiens et les militants anti-colonialistes, en France.
Dans une déclaration à Liberté, le président de l’Association Josette et Maurice-Audin a estimé qu’il s’agit d’un “acte très important pour les descendants d’Ali Boumendjel et pour les Algériens”. Pierre Mansat estime, néanmoins, qu’il “faut aller plus loin, plus fort et plus vite”. “Les disparitions forcées, les tortures, les assassinats et les exécutions sommaires par l’armée et la police concernent des dizaines de milliers de personnes qu’il faut reconnaître, du moins symboliquement”, préconise-t-il.
Pierre Mansat déplore, par ailleurs, les restrictions administratives qui entravent la consultation des archives et la quête de la vérité autour des disparitions forcées. Il y a quelques semaines, l’Association Josette et Maurice-Audin, des historiens et des archivistes ont introduit un second recours auprès du Conseil d’État français pour dénoncer de nouveaux blocages. “Le communiqué de l’Élysée parle de l’ouverture des archives.
En 2018, Emmanuel Macron avait annoncé une dérogation générale à ce sujet. Or, ce n’est pas le cas, puisque des instructions gouvernementales empêchent l’accès aux archives. Il y a donc une contradiction qui devient insupportable entre les déclarations positives du président de la République et les dispositions de blocage prises par les ministres. Le chef de l’État doit donner des consignes à son gouvernement pour que ses déclarations soient suivies d’effet”, souligne Pierre Mansat.
En outre, notre interlocuteur estime que la France doit s’engager davantage dans la reconnaissance de la colonisation et pas seulement des disparitions forcées. “Elle doit reconnaître toute la violence des crimes commis à l’égard du peuple algérien pendant toute la durée de la colonisation”, précise-t-il, en recommandant une plus grande coopération entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoire.
Fabrice Riceputi, enseignant d’histoire et co-fondateur du site 1000 Autres.org sur les disparus pendant la guerre de l’indépendance, se félicite également de la décision de Macron de rétablir la vérité autour de la disparition d’Ali Boumendjel. Le nom de l’avocat figure sur la liste des disparus, qu’il a dressée avec l’historienne Malika Rahal, à la suite de la reconnaissance par Macron de la responsabilité de l’État français dans la disparition de Maurice Audin.
Sur le site Histoire Coloniale.net, Fabrice Riceputi a d’ailleurs tenu à rappeler les similitudes entre les affaires Audin et Boumendjel, ainsi que la mobilisation qui a suivi leur disparition. “Mais si la disparition de Maurice Audin est devenue une affaire qui a vite défrayé les médias et scandalisé une partie croissante de l’opinion française, cela n’a pas été le cas pour Ali Boumendjel, bien que René Capitant, grand résistant et ministre du général De Gaulle, son professeur à la faculté de droit de Paris, a écrit aussitôt au ministre de l’Éducation nationale”, observe l’enseignant d’histoire.
Outre Ali Boumendjel, plusieurs de ses proches ont également connu le même sort. Les petits-enfants de l’avocat ont, d’ailleurs, tenu à voir figurer leurs noms dans le communiqué de l’Élysée. Il s’agit de Belkacem Amrani, beau-père de l’avocat, d’André Amrani, son beau-frère, et de son ami Mohamed Selhi. Le document a également rendu hommage à Malika, la veuve du disparu, décédée récemment, sans connaître les circonstances exactes de l’assassinat de son mari.
“Elle voulait que la vérité soit connue et reconnue de tous, pour sa famille, pour l’Histoire, pour l’Algérie et pour la France où certains de ses enfants et petits-enfants construisaient leur vie”, a souligné le communiqué de l’Élysée. Pour le militant anticolonialiste, Henri Pouillot, cette vérité est indispensable. Comme Pierre Mansat, il considère que l’État français doit “reconnaître et condamner l’ensemble des crimes dont la France porte la responsabilité durant la guerre de Libération nationale”.
De son côté, le président Macron s’est engagé, devant les petits-enfants d’Ali Boumendjel, à poursuivre et à approfondir, dans “les prochains mois”, le travail de mémoire. “Regarder l’Histoire en face, reconnaître la vérité des faits ne permettra pas de refermer des plaies toujours ouvertes, mais aidera à frayer le chemin de l’avenir.
La génération des petits-enfants d’Ali Boumendjel doit pouvoir construire son destin, loin des deux ornières que sont l’amnésie et le ressentiment. C’est pour eux, désormais, pour la jeunesse française et algérienne, qu’il nous faut avancer sur la voie de la vérité, la seule qui puisse conduire à la réconciliation des mémoires”, a conclu le communiqué de l’Élysée.
Samia Lokmane-Khelil
- 24 mai 1919 : Naissance à Relizane au sein d'une famille originaire de Taourirt Menguellet, wilaya de Tizi Ouzou.
- 1946 : Membre dirigeant de l'Union démocratique du manifeste algérien fondée par Ferhat Abbas.
- 1955 : Il intègre les rangs du Front de libération nationale et devient l’un de ses avocats les plus en vue.
- 9 février 1957 : Arrêté pendant la bataille d'Alger, il est détenu dans divers lieux de la région d'Alger et torturé.
- 23 mars 1957 : Sur ordre de Paul Aussaresses, il est jeté du sixième étage d’un immeuble situé à El Biar.
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